Je ne comprends pas

petiteplume

Pourquoi donc, ce jour-là, m'as-tu laissé monter, toi qui ne veux jamais, prétend que je suis sale ? Et pourquoi les enfants avaient-ils les yeux rouges ? Pourquoi reniflaient-ils et m'ont-ils enlacé ? Pourquoi ont-ils trempé ma fourrure de leurs larmes ? Et pourquoi de la main m'ont-ils fait leurs adieux ? Je ne comprends pas.

Nous avons cheminé. J'ai fait très attention, ne voulant pas salir. L'as-tu seulement remarqué ?
Nous avons vu la ville, puis la lande, la forêt. Tu t'y es arrêtée, m'as attaché ma laisse. Nous nous sommes promenés. C'était une belle journée par cet automne naissant. Le vent faisait frémir les feuilles sur les arbres. Les trouées de lumière dansaient sur le sol brun. Soudain, un félin. J'ai aperçu un chat. Plus fort que moi, l'instinct : j'ai bondi sur la bête. J'ai dû tirer trop fort ; tu as lâché la laisse. N'y prêtant attention, j'ai coursé l'animal, m'enfonçant dans les bois. Le vent me soufflait dans les oreilles, le sang battait à mes tempes. Les fougères s'écartaient sur mon passage ou me fouettaient les flancs. Soudain, je me suis étranglé. Le félin en a profité pour filer. La boucle de ma laisse s'était coincée dans un arbre. Trop haut pour pouvoir la décoincer moi-même. J'ai reculé pour pouvoir respirer. J'allais devoir t'attendre.
Et je t'ai attendue. Tu allais finir par t'inquiéter, partir à ma recherche. Tu me libérerais, nous pourrions rentrer. Il suffisait d'attendre. Les heures ont passé. La nuit est tombée. Mais tu n'es pas venue. Ne me trouvais-tu pas ? J'avais faim, un peu froid. Il pleuvait ; ma fourrure était trempée.
Alors j'ai tiré. De toutes mes forces, j'ai tiré sur ma laisse, pour qu'enfin elle se casse, qu'elle me laisse m'échapper de ma prison de feuilles. Il fallait qu'elle cède. Je m'étranglais. Mes poumons recherchaient désespérément de l'oxygène. Mais je continuais. Dans un grand craquement, je m'affalai dans la boue. La laisse avait cédé. Je pouvais respirer, j'allais te retrouver ! J'ai suivi ma propre trace. Mes pattes s'enfonçaient dans le sol spongieux. Ma queue battait d'impatience à l'idée de te revoir enfin. On n'aime jamais autant que dans l'adversité. J'ai retrouvé l'endroit où je t'avais laissée. Mais tu n'étais plus là. Rien d'étonnant : tu avais dû partir à ma recherche. Comme tu devais t'inquiéter !
J'ai aboyé. Peut-être reconnaîtrais-tu ma voix, te dirigerais-tu vers moi. J'ai encore attendu. J'ai encore aboyé. Tu n'es pas revenue. J'ai donc suivi ta trace. Étrange, me suis-je dit : tu n'étais pas allée plus loin dans la forêt. Ton odeur retournait vers la voiture. Mais bien sûr ! Comme tu étais brillante ! Tu comptais m'attendre là-bas. C'était un bon endroit pour se retrouver. Je t'ai encore suivie.
Et tu étais partie. Des ornières boueuses témoignaient du passage de la voiture. Et c'était tout. Tu n'étais plus là. Tu m'avais laissé là.

Allongé sur mon tapis de fougères, la fourrure souillée de boue, j'ai froid, j'ai faim. Cela fait trois jours maintenant, ou bien peut-être quatre. Que je t'attends, qu'il faut que tu reviennes me chercher. Tu étais une bonne personne. Je me rattache à cette idée comme à une bouée. Mais je sais bien, maintenant que je sens mes forces me quitter, que tu ne viendras pas. Et quand bien même tu viendrais, il serait trop tard. Je ferme les yeux, sachant qu'ils ne s'ouvriront plus.
Et je n'ai pas compris.

Signaler ce texte