"Je ne t'embrasse pas" extrait II
Poppy Kuzack
La petite fille de la chambre fermée à clef
Je suis seule quand je vois cette photo heureusement, je suis seule, je me pose contre le mur et je glisse, je ne sais pas pourquoi une déferlante me tombe sur la tête et me voici seule dans ma chambre d’enfant, enfermée chez mon père dans cette si petite chambre, enfermée par une horrible belle mère. Il faut que je pleure pour aller pisser, je suis enfermée et ce n’est pas son châtiment le plus spectaculaire mais c’est le plus cruel. La douche froide nue ou le coiffage de mes cheveux avec ce peigne qui me rentre dans le crane, ses mots horribles qui sortent de sa bouche puant la cigarette et tapent dans ma tête d’enfant ne sont pas comparables à cette torture nocturne. Je m’y vois, j’y suis, je suis murée en moi et je fonds, je veux juste pisser mais je ne peux pas ! Je vais devoir attendre le matin, je vais devoir espérer que passe encore quelques voitures pour regarder leur ombre au plafond pour ne plus penser à pisser. Tout se mélange, je regarde encore et encore mon mari me tromper sous mes yeux et je fonds, je sombre, il a autant d’estime pour moi que cette pauvre folle de belle mère. Je suis de la merde pour eux, pour l’un comme pour l’autre je suis de trop ! Elle s’est bien servi de moi pour avoir mon père et il s’est bien servi de moi pour être là où il est. Maintenant, je ne sers plus à rien, oui je suis de trop, je suis le prix à payer et ils n’ont ni les moyens ni l’envie de me supporter ! Pour elle, j’étais un moyen de se rapprocher de mon père et la voilà trainant un boulet de sept ans un weekend sur deux ! Pour lui j’étais un moyen, pas une fin et me voilà collant comme de la crotte à ses jolies chaussures à la mode … Putain çà tourne dans ma tête, cette photo me pique les yeux, je fonds, je brûle, je me consume, mon cœur : petit morceau de plastique puant me semble se réduire dans ma cage thoracique. Est-ce la colère ? La douleur ? Ou bien tout ça mélangé ?
Je décide de faire ce que je sais faire de mieux : écrire pour ne pas crier, écrire pour ne pas garder tout ça en moi, écrire pour le sens premier d’écrire : coucher ce que j’ai en tête avant qu’elle n’éclate. BON SANG Sandichou réveille toi !! Hurle, tape, pleure, déchire cette photo qui te nargue, mais fais quelque chose ! Mais je ne peux pas, ça déborde, je trouve un bout de papier, un crayon et voici ce que j’écris à la petite fille de la chambre fermée à clef.
« Ma Chérie,
Je t’écris cette lettre pour te dire de dormir maintenant. Ferme tes beaux yeux d’enfant, calme toi, je suis là tout près de toi, tu n’es plus seule dans cette chambre. Les adultes font parfois des choses que l’on ne comprend pas et ce que tu vis là, personne ne peut le comprendre. Tu n’es pas responsable de toute cette haine, tu n’y es pour rien, tu n’as rien fait de mal rassure toi, c’est à toi qu’on fait du mal.
Je sais que je ne peux pas venir t’ouvrir cette porte, te prendre dans mes bras et courir mais je le veux si fort que ce soir je peux même m’asseoir près de toi et te dire tout mon amour pour toi.
Ta vie ne sera pas toujours ce qu’elle est aujourd’hui, tu grandiras, tu pardonneras ce qui te semble cette nuit aussi inexplicable qu’injuste.
Ton avenir c’est toi qui le créera toi-même et personne ne pourra te refaire du mal comme ça, ne t’inquiète pas tout ira bien, tout ira mieux.
Viens contre moi mon ange, ne pleure pas, chut.
Un jour tu feras de belles choses, tu seras aimée et protégée et ta vie sera belle, presque aussi belle que toi mon poussin. Un jour tu seras grande, ma chérie, et tu décideras de ce qui te fais du bien ou du mal et personne ne t’obligera à faire ce que tu ne veux pas faire ! Ferme tes beaux yeux, petit chat, ne sois plus triste, je t’aime et je suis là, tout près de toi.
Dors ma beauté, oublie, je te donne ma force, je suis indestructible et sache que je suis là, je suis en toi, je SUIS toi.
Ne t’inquiète plus je vais mettre mes bottes en kevlar pour botter le cul de tous les méchants qui oseront te blesser, crois-moi, je vais leur faire passer le goût du pain…
A tout à l’heure, quand tu seras grande… »
Je ne peux pas laisser cette enfant que j’étais subir, plier, obéir, se taire à nouveau ! Ce que je lui promets dans cette lettre c’est de ne plus vivre je ne peux pas le reproduire, je n’ai pas le droit ! Au nom de QUOI, au nom de QUI, devrais-je laisser cette enfant que j’étais se retrouver enfermée de nouveau ? Je regarde une dernière fois ce cliché où mon mari embrasse langoureusement une autre pomme que moi. Je la prends dans ma main et je serre mon poing. Elle à disparu, je me relève bien décidée à ouvrir LA porte…
Je n’ai pas marché forcément de nuit comme le dit Farid Paya mais j’ai effectivement tenté de trouver le miroir de mon âme ailleurs qu’en moi-même. Le temps est venu pour moi de regarder en moi afin d’évoluer. Je me suis laissé tromper par un homme que j’aimais, je l’ai laissé faire, même si je sentais au fond de moi que cette route que je prenais était la mauvaise et qu’elle m’éloignait inexorablement de moi, de ce que je veux, de ce que je suis. Il ne s’agit pas de faire demi-tour mais de décider maintenant du bon chemin à prendre et d’avancer main dans la main avec la petite fille de la chambre fermée à clé. Je ne veux pas être toute ma vie de la merde collée au pied ! Que comptait-il faire au juste ? Tâter toutes les pommes du marché ? Non mais ! Il va apprendre à se méfier des pommes qui tombent de l’arbre.