Je ne vous entends pas avec mes lunettes (part. 1)

Ivan Caullychurn

Où quand un Occidental rencontre la jungle thaïlandaise.

Après un total de dix-huit heures de trajet, j'arrive enfin au cœur de ma mission qui va durer six mois dans la jungle thaïlandaise. 
Trois enfants de neuf à treize ans, deux adultes français et une Thaï m'accueillent dans ce lieu aux antipodes de mon Paris quotidien. Les enfants ont l'air ravi de me recevoir. Il y a un volontaire anglais et une Japonaise. Après les présentations, on m'invite à aller poser mes affaires dans mon « dortoir ». Je dois traverser une rivière pour y accéder en posant mes pieds sur trois morceaux de bambou attachés les uns aux autres par du fil de fer. Chose faite avec mes valises sur le dos, non sans la vive et crispante appréhension de finir trempé dès mon arrivée. Quelques pas et ho, que vois-je... un serpent. Une énorme queue noire vient de passer à trois mètres de moi. Je reste un tout petit peu pétrifié je l'avoue. Les derniers mètres me séparant de mon lieu de nuit deviennent un véritable champ de mines. Mes yeux parcourent le maximum de recoins pour tenter de surprendre n'importe quel mouvement suspect. Sachant qu'à cet instant précis, n'importe quel mouvement m'était suspect. Plus rien heureusement. J'ai dû répéter cent fois un gros mot anglais, mon cerveau ayant rapidement pris le pli de la langue internationale imposée. Cette frayeur digérée, je suis invité à me baigner dans la rivière, ladite rivière vers laquelle se dirigeait le serpent. Fantastique. Le jeu du chat finit par me détendre (jeu où il ne faut pas se faire toucher par la personne désignée chat).

Le soir venu, nous dînons entourés de criquets, scorpions et moustiques. Mais j'apprends déjà à vivre sans y prêter attention. J'offre mes cadeaux un peu empli d'appréhension. Une bouteille de vin rouge pour des gens ayant choisi l'option de vivre sans produits transformés, bravo Ivan. Le jeu de société Jungle Speed pour des enfants dont les parents ont choisi l'option de ne pas éduquer leur progéniture dans l'esprit de règles imposant une hiérarchie avec son vainqueur et son perdant, bravo Ivan. Et mon premier livre, Travers de porcs, recueil de nouvelles acerbes critiquant le comportement irrespectueux des gens au quotidien, un livre empli d'agressivité, d'animosité et de haine, tout ce que les gens ici ont voulu quitter et oublier... bravo Ivan. Mais à ma grande surprise, ils accueillent bien ces présents.

Nous dégustons entièrement le vin et passons la soirée à échanger. Et comment dire ? Vous savez, les filles, quand vous êtes conviées à un dîner de présentation chez les parents de votre nouveau petit ami et que la mère vous reçoit avec un « Ha, je m'attendais à mieux ». Vous réalisez alors que la soirée va être longue. Eh bien ici, en plein cœur de la jungle thaïlandaise, cette première journée des six mois à venir a donné le ton puisque qu'entres autres sujets, celui du sort des Juifs durant la Seconde guerre mondiale a été abordé par le « père » de famille. Je suis quelqu'un d'ouvert de nature, j'écoute et suis rarement choqué par ce que j'entends. Mais quand les mots suivants arrivent à vos oreilles : « Il faut se demander si les Juifs n'ont pas mérité leur sort », vous avez beau être ouvert, ça picote un peu. Vous tentez d'abord de déceler un sourire sur le visage du responsable de ces paroles quelque peu choquantes pour réagir à une plaisanterie de sa part et puis comme vous ne percevez qu'un air sérieux, vous essayez de dissimuler votre étonnement et rétorquez que vous avez du mal à suivre cet argument. Vous ne voulez pas vous mettre à dos les hôtes qui vont vous accompagner durant six mois, alors vous changez de sujet et évoquez cette belle verdure luxuriante qui vous entoure.

La nuit est tombée. Il faut rentrer dans une obscurité totale, reprendre le même chemin où j'ai précédemment croisé un serpent. Muni d'une simple lampe de poche, je commence à prier. Oui, moi l'athée activiste en appelle à l'indulgence d'une force supérieure. Comme quoi, cela ne sert à rien de vouloir convertir des gens à coups de pubs, affiches et autres manifestations. Mettez dix personnes dans une jungle en prenant le soin de leur préciser qu'il existe des dizaines de serpents, araignées et scorpions autour d'eux et vous obtenez neuf croyants convertis. Le dixième ayant succombé à une surdose d'anxiété.

  • Bonjour
    puisque vous mettez en avant la correction orthographique, je m'autorise une question : Pensez vous que le "où" avec accent dans votre sous-titre soit approprié ? moi je mettrais "ou" sans accent indiquant un titre alternatif plutôt qu'une notion de lieu.
    qu'en pensez vous ?

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Dsc 4971 195

    manu88

    • Bonjour,
      après avoir vérifié (à nouveau) et demandé à une amie également correctrice, la conjonction "ou" s'utiliserait pour un titre alternatif, comme vous le soulignez bien. Tandis que le "où" avec son accent évoque le contenu du texte qui va suivre. Je reconnais que la construction de cette phrase est quelque peu bancale et aurait pu être autre, par exemple : Où un Occidental rencontre la jungle thaïlandaise" ou encore, "Quand un Occidental rencontre..."
      Toutefois, et vous l'aurez remarqué, j'ai un style d'écriture oral qui, je l'assume, entraîne ce type de controverse, mais me permet de rester fidèle à mon inspiration lexicale.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      N651408269 1831118 4989555

      Ivan Caullychurn

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