Je parle comme un livre (Inauguration de la Maison du Livre de Nouvelle-Calédonie)

Laurent Ottogalli

Je suis un livre, même si je ne parais pas,

Je suis un livre, je n’vous raconte pas d’histoire,

Je n’vous raconte pas de conte.

Vous en seriez-vous rendu compte

Si j’avais mis une jolie jaquette, une paire de manchettes,

Ou m’étais habillé en page…

Je suis un livre, je me livre à vous, je m’ouvre à vous,

Mais je ne veux pas tirer pas la couverture à moi,

Je préfère vous faire bonne impression,

Que vous me trouviez exemplaire, unique,

Et vous donner envie de méditer…

Qui a dit «bon à tirer » ?

Si vous m’cherchez, vous allez m’trouver,

Vous avez vu dans quel état j’erre…

 

Je suis un livre, un livre Calédonien,

Je suis ici chez moi…

Rien à faire, je coince la bulle, d’ailleurs,

En repartant, faites attention aux plates- bandes

(Dessinées), oh, j’ai le droit de m’amuser

Ici, c’est pas un musée, c’n’est pas

Le Louvre du Livre, comme à Paris…

Quand j’pense à La Maison des Calédoniens à Paris,

J’parie que tous les Calédoniens n’ont pas une maison ici.

Mais on nous livre pour Maison du Livre

Celle hier qui fut la Maison Cellières

C’est bien pour une fois que l’élu

Satisfasse les lecteurs…

Là-d’ssus, je salue le zèle des élus

 

Les élus lisent-ils ?

A l’Elysée, le Petit Nicolas

Il lit pas assez, à c’qu’il parait

Là c’est l’délire, j’mets le holà :

Allez lisez, Monsieur le Président…

C’est pareil en Italie, on n’y parle plus de lire,

J’sais pas si j’ai la berlue, mais j’en ai pas vu.

Y a qu’en Angleterre où j’ai encore trouvé des livres

 

Suivant les gouvernements

Y a des grands livres blancs

Des petits livres rouges

Des livres de toutes les couleurs

Qui nous livrent toutes les douleurs

Et nous délivrent des maux.

Je suis un livre et quand j’ai mal je m’écris un mot,

J’ai moins l’angoisse de la page blanche

Que des pages noires de l’Histoire,

Avec ces armes, j’ai l’jet lacrymal,

Avec ces larmes, là j’écris mal …

Et quand j’écris mal, j’peux pas me relire

Alors mieux vaut que je parle,

Je parle comme un livre, c’est une image

Là, j’parle à livre ouvert,

J’me délivre, j’me découvre,

Là l’parle à découvert

 

Je suis un livre, plein de caractère,

Je suis un livre, mais aussi vorace, cannibale lecteur…

Déjà, tout petit, je jouais à déchiffrer des lettres,

Adolescent, j’m’amusais tout seul,

Tenant la couverture, d’une seule main,

J’vivais des aventures, sans lendemain,

J’lisais des livres de poche,

Avec une lampe de poche…

 

Depuis, j’dévore des vers acerbes, des verbes verts, des versets débiles,

Des biles déversées, des billevesées…

D’en avoir trop dévoré,  j’dois bien reconnaître

Qu’aujourd’hui j’ai quelques livres en trop, surtout pour un petit homme…

Quoi ? Pouah ! Y a des livres qui ont du poids

(Qui pèsent au moins deux livres…)

Y a aussi des livres plus légers, qui ne manquent pas d’air

Y a des livres qui font du bruit

Des bouquins d’enfer

Et parmi nous y’ a pas que des intellectuels

Y aussi des manuels

C’est ce qui nous relie

J’allais oublier les fabliers

Avec eux le temps c’est cool…

 

 

Le pire pour un livre

C’est terminer comme cale

Pour un meuble bancal

(Une étagère pleine de livres…)

Ou sous le pied d’une table :

J’aime pas les dessous de table,

Quoique, si, les yeux dans les yeux : j’aime bien les dessous de table…

Sauf quand j’me retrouve face à terre

Sous les talons d’la propriétaire…

 

Je suis un livre, arrivé en fin au dernier chapitre,

Je tourne la page, la dernière page

Je me referme sur moi-même,

Cette fois, je retire la couverture à moi,

En piteux état, je me relie,

Une peau de chagrin,

Je sais faire, j’en connais un brin,

C’est pas au vieux sage qu’on apprend à fermer le grimoire

J’pense alors à celui, seul, qui lit dans son lit

Avec, seul, un livre à son chevet

Au terme de sa vie achevée

Plus de voix au chapitre,

Epilogue, postface,

Et pis paf, une épitaphe,

Entièrement résumé, un commentaire,

Je me recueille devant tous ces recueils,

Gravés dans le marbre ou au tronc d’un arbre,

Un livre plein de feuilles mortes,

Plein de lettres restées mortes,

Sur la pointe des pieds, des vers en sortent,

Des vers libres à l’air est-ce pire encore ?

Non, c’est plutôt bon signe, je crois…

Alors je me signe, d’une croix…mon nom,

Parce que je crois que non, il n’est pas mort,

Chut… le livre dort,

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