Je pense donc je sexe

Philippe Fournier

Pascal disait : « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraye. » Mais il parlait de quoi ? Du métro ? Du Pôle Nord ? Des films de Wajda ? De la robe de chambre de ma belle-mère ? Pascal est un grand penseur, bien qu'il ne soit pas grec. Condition de l'homme : Inconstance, ennui, inquiétude. Il oublie quand même le désespoir, le stress et le thé au jasmin. Et les steaks hachés bio. Et Juliette Binoche.  A l'âge de 12 ans, Pascal s'intéressait déjà la géométrie. Moi aussi. Je m'intéressais à la géométrie des seins de mon institutrice. Ma femme dit : « A quoi ça peut te servir, Pascal ? » Ben quoi, le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.  Pascal, je ne le classe pas en haut. En haut, il y a d'abord Scarlett Johansson. Mais bon, je le mets au milieu, pas trop loin. Ovide, Sophocle, Platon, Pascal... Non : Ovide, Sophocle, Groucho Marx, les Rolling Stones... Pascal dit qu'il y a deux sortes d'esprits : l'esprit de justesse et l'esprit des géométries. Moi j'en vois au moins un troisième : l'esprit de survie. J'ai tellement l'esprit de survie que je ferme ma porte à clef devant l'infini qui commence au bout du jardin ! Beethoven n'était pas marié. Ça ne lui servait donc à rien d'être sourd ! Rod Stewart – J'aime beaucoup Rod Stewart – Il s'est marié souvent, Rod Stewart. C'est un excellent chanteur, mais ça n'a rien à voir avec ses mariages.  Si Rod Stewart était resté célibataire, il aurait aussi bien chanté. Je ne suis pas contre le mariage. C'est une expérience spatio-temporelle passionnante.  Le problème, c'est qu'il faut vivre à deux, et il n'y a qu'une meilleure place sur le canapé. Autrement, on prend un chat, et on l'installe sur la meilleure place du canapé. Ma femme dit que je suis très égoïste. C'est faux ! Moi, j'ai un fauteuil, je n'y vais pas sur le canapé ! Égoïste, non. J'apprécie énormément quand ma femme met sa nuisette sexy glamour.  Et son porte-jarretelle voile extensible et résistant aussi. Et sa Robe Lingerie longue Ajourée Dentelle. Le canapé est toujours utile. Dans la précipitation, la meilleure place on l'oublie. Il ne faut pas écraser le chat, c'est tout… Selon Aristote, toute action tend vers un bien. Bon alors, je fume, c'est bien. Je bois du Martini, c’est bien. Je mange du thon sauce catalane, c'est bien. Je refuse de répondre au téléphone, c'est bien. Pour Aristote toujours, le bonheur est un bien qui se suffit à lui-même. Alors... oui mais... Par exemple, on est vachement heureux au soleil sur une chaise longue. Mais si on nous apporte un cocktail, c'est quand même encore mieux. Remarquez, moi je peux me passer de la chaise longue et du soleil si j'ai le cocktail.  Bon d'accord, il faut un siège. Un tabouret. Ou une poubelle peinte en jaune, si on est design. C'est sympa quand on est deux à partager un cocktail. Enfin, partager, chacun son verre. J'aime prendre un cocktail avec ma femme.  Mais attention ! Uniquement si on n'a rien à se dire ! Parce que sinon, ça devient tout de suite un tsunami verbal. Si je commence à lui dire : superbe journée aujourd'hui. Elle, elle embraye : tu as remis la porte de l'armoire ? Tu as rangé tes chaussures ? Tu as nettoyé le lavabo ? J'adore la peinture ; les tableaux sont silencieux… L'univers est en expansion. J'ai acheté un studio, bientôt j'aurais un loft. L'expansion de l'Univers se manifeste par l'observation d'un éloignement apparent des objets astrophysiques lointains. C'est quoi un objet astrophysique ? Une planète, une étoile, un trou noir... En fait, c'est tout ce qu'il y a dans l'espace. Un cosmonaute russe n'est pas vraiment un objet astrophysique. Sa bouteille de vodka non plus.  Il y a quelques années, je regardais les étoiles ; c'était très ennuyeux, ça faisait un peu film polonais avec des sous-titres. L'univers est en expansion, est-ce que c'est rassurant. Non ! Depuis que ma femme fait de l'aquagym, j'ai du mal à la voir. Alors si en plus l'univers est en expansion, je mangerai mes radis tout seul. Ce sera vraiment un trou noir en continue ! Moi, je suis en quelque sorte une comète, j'orbite autour de ma femme. Mais si ma femme n'est pas là, j'orbite autour de rien du tout. Ou autour de Moi, ce qui est pareil. « Le premier homme à jeter une insulte plutôt qu’une pierre est le fondateur de la civilisation. » C’est Freud qui a écrit ça quelque part ; dans son agenda. Je suis assez d’accord. Mais moi, j’aurais peut-être choisi la pierre ; avec une simple insulte on n‘est pas sûr d‘assommer un ennemi. Je suis pour la civilisation. Seulement, ma civilisation stoppe à ma porte. Elle comprend ma femme, moi, ma télévision, mon mixeur à carottes et ma collection de CD de Brahms. La civilisation, c’est super, mais il ne faut pas être trop nombreux. La civilisation grecque a chuté parce qu’il y avait des types qui étaient pour le satellite et d’autres pour la TNT.  Au départ, les types se réunissent et ils disent on va faire ceci, on va faire cela, on plantera des tulipes devant, on mettra des guirlandes sur les arbres, on achètera des meubles chez IKEA, on invitera les Schmolps à manger des crevettes, et après ça commence à merdouiller, il y en toujours un qui refuse de s’adapter ou qui écrase les tulipes avec son tracteur. Ma femme dit que j’exagère, que la civilisation est très vivable pourvu qu’on ait le permis de conduire et un bon assureur. Mais quand les Schmolps sont venu chez nous pour fêter Halloween, ils ont essayé de me vendre un abonnement à la revue Écologie & Thromboses et lui, il a bouffé toutes les cacahuètes en déglutissant comme une chaudière à mazout. Freud et Jung n'étaient pas d'accord sur tous les sujets. Leur avis divergeait sur l’inceste : pour Carl Jung, l’inceste est désiré parce qu’interdit et il est interdit parce que trop angoissant. Pour Freud, le père interdit l’inceste parce que l’enfant désire réellement la mère et si l’idée en est angoissante c’est à cause du tabou qui l’interdit. L'inceste n'est pas un thème fantastique pour une soirée entre amis. Le viol non plus. J'ai vue une femme à la télé, dans l’émission Bacchanales et putréfactions, elle disait qu'elle était mariée depuis 20 ans et que son mari la violait depuis 19 ans.

-         C'est totalement ridicule ! Me suis-je exclamé, abasourdi.

-         Tu ignores tout de la vie de couple ! M'a répondu ma femme.

-         Ben quoi, nous sommes mariés, non ?

-         Oui...

Ma psychanalyste m’a demandé si j’avais éprouvé des pulsions sexuelles pour ma mère. « Non ! Mais j’ai souvent eu envie de l’assommer avec le buffet normand ! Malheureusement, il était trop lourd ! » Pour moi, le sexe n’est pas compliqué : il y a ma femme, moi et un lit. Il peut aussi y avoir un ascenseur, la table de la cuisine, le canapé ou le tiroir des chaussettes. Le lit, c’est le plus simple, une fois que j’ai fait l’amour, je remonte la couette et je dors. « Tu devrais essayer sur la machine à laver en marche ! C’est super impressionnant ! » m’a dit Gros Nul. C’est pour ça que Sylvie, sa femme, sent toujours le thym frais.  Dans son Introduction à la psychanalyse, Freud écrit : « Une fête est un excès permis, voire ordonné ». « S'il y a du bon vin, oui ! » ajoute Gros Nul. La fête ! C'est un terme qui me fait peur et m'irrite. Ma femme affirme que je n'aime pas faire la fête. Oui, je ne lance pas de confetti. Je ne suis pas attaché aux soirées organisées. En général, il y a toujours du saumon fumé. On invite huit personnes et un saumon fumé. Le truc horrible, c'est la boisson des Antilles, je ne sais plus son nom, le punch voilà. Ça c'est affreux ! Ça a le goût d'un mauvais médicament.  Le bonheur n'existe pas, ça se saurait. C'est un mot à inscrire sur un T-shirt, c'est tout. On ne peut pas être heureux sur une longue durée. On est heureux 5 minutes, 3 minutes, 30 secondes, le temps qu'il faut pour jouir.  Quand je fume mon premier cigarillo le matin, je suis heureux. Mais ça dure à peine, j'ai immédiatement envie de faire caca.  « Tu n'es jamais heureux, c'est désolant ! » me dit ma femme. J'ai discuté de ça avec Gros Nul :

-         Tu crois au bonheur, toi ?

-         Ah oui !

-         Mais tu l'espères ou tu l'as déjà vécu ?

-         Je le vis ! Avec Sylvie, c'est méga hyper super !

-         Si elle part deux jours chez sa mère, tu restes seul, avec sa photo, es-tu autant heureux que lorsqu'elle est là ?

-         Oui ! Il y a trois ou quatre photos d'elle qui sont sympa !

-         Moi, je pense que le bonheur est une illusion pour les pauvres, les célibataires et les filles moches !

-         Donc, pour toi, le bonheur n'est destiné qu'à une certaine élite ?

-         Non ! Il n'est pour personne ! Seulement, si tu conduis une Ferrari, tu peux avoir le sentiment d'être comblé !

-         Ou un 4X4 ?

-         Ouais... En plus, avec un 4X4, tu fais chier les écolos, et c'est bon !

J'ai été dans un jacuzzi dans un club de thalasso. Je n'ai pas apprécié ; j'avais l'impression que des cafards galopaient sur mon corps ; à un moment donné j'ai même cru qu'il y avait une rascasse. Ma femme, elle, elle s'est éclatée. Je suis un peu opposé à toutes les nouveautés, aux trucs que je ne connais pas.  Le yaourt mangue-fraise, par exemple, je l'ai directement balancé aux toilettes sans passer par la case estomac.  Le rap, je le classe dans la même catégorie que les avalanches, les inondations et les maladies vénériennes.  Je ne confonds pas tout ça avec le progrès. Je suis pour le progrès, scientifique notamment. Je suis pour le clonage. J'aimerais volontiers avoir un clone. Il serait névrosé, comme moi. Il pourrait tester mes médicaments ; si ça marche sur lui, je les adopte illico. Nous parlerions ensemble de ma femme, mais lui il n'aurait pas le droit d'évoquer ses seins ou son pubis, ou uniquement par la langue des signes.  Un clone n’est pas envisageable actuellement. Mais ça va venir, dans très peu d’années. En attendant, je peux avoir une secrétaire, une hôtesse d’accueil ou un barman. « Heureusement que tu es unique ! » m’a dit ma femme.

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