JE REVIENDRAI, FINN - 3
Catherine Killarney
Mes rêves me distrayaient de ces cours de comptabilité qui ne m'intéressaient pas le moins du monde et pour lesquels pourtant j'obtenais les meilleures notes de la classe, ce qui rendait mon père fou de joie. Lui me voyait déjà directrice financière dans une grande société, tout comme lui était devenu le numéro 2 d'un gros cabinet d'avocats d'affaires. Au bout de deux ans… je n'en pouvais plus ! Aligner des chiffres et analyser des bilans me répugnait. Et puis on ne cessait de me dire que je devrais abandonner mes jeans et porter des tailleurs, ce serait plus sérieux pour une comptable. Et de me couper les cheveux. Me couper les cheveux ? Quand j'avais dix ans, il fallait qu'ils soient longs, et maintenant on voulait que je les coupe ? Ils étaient devenus ma marque de fabrique, en quelque sorte. Une longue chevelure flamboyante. Tous ces diktats me faisaient hurler de rire. Je serais comme j'avais envie d'être. Je m'habillais comme un garçon et je continuerai !
D'ailleurs cela ne m'empêcha pas de trouver un travail d'aide comptable. J'abandonnai ces études que je détestais. Ce que je voulais, moi, c'était gagner de l'argent pour faire des économies et me payer mon bateau. Inutile d'en parler à mon riche papa, il n'approuverait pas. Et puis j'avais envie de me débrouiller sans lui. Je finis par lui avouer, il soupira et céda enfin :
- Du moment que tu es heureuse… fais donc ce que tu veux…
Ce qui me contraria un peu. Il aurait dû y réfléchir deux ans plus tôt, lorsqu'il refusait catégoriquement que je m'inscrive à l'Ecole maritime.
Je me retrouvai donc assise huit heures par jour derrière un bureau, à brasser des chiffres et du papier. C'était une société de transports, pas très loin des quais. J'étais ravie car j'étais ainsi dans mon ambiance préférée. Par la fenêtre je voyais les mouettes et les mâts de bateaux qui dépassaient derrière les hangars. Et je fis une découverte majeure. Sans doute la plus importante de ma vie. Car sans cette coïncidence, ce signe du destin, tu ne serais sans doute pas né, mon très cher petit garçon.
Dans la pièce d'à côté, il y avait le service d'Agent maritime. Un agent maritime, vois-tu, représente les intérêts de compagnies de navigation. Lorsqu'un de leurs bateaux se trouve en escale dans un port, l'agent qui travaille pour eux, doit prendre soin de lui, de son équipage, et veiller aux intérêts de la compagnie : faire procéder au déchargement dans les délais les plus brefs (une escale coûte très cher), ravitailler en eau, en nourriture, en carburant, accompagner les malades chez les médecins et pharmaciens, aller acheter des articles pour le capitaine… Jouer les nounous pour les marins, en quelque sorte. Or cette société où le hasard (hasard ?) m'avait conduite, représentait trois compagnies de navigation, ce qui, en saison, donnait trois ou quatre bateaux par semaine à gérer. Je n'avais jamais entendu parler d'un tel métier de toute ma vie et je me mis à écouter aux murs et à observer les allées et venues du bureau voisin. Voilà ce que je voulais faire ! Beaucoup plus amusant que d'enregistrer des factures ! Mon collègue discutait au téléphone avec des gens de tous les pays (moi qui adorais les langues étrangères, c'était vraiment LE métier parfait), parlait navigation, technique, et partait à bord plusieurs fois par jour… Je voulais ce job ! Tout en restant citadine, et en gagnant ma vie pour mes projets futurs, je serais déjà complètement dans mon élément.
Mais… il y avait quelqu'un dans la place.
Grande fut ma stupéfaction, quand le collègue démissionna pour un poste qui le passionnait davantage. La chance me souriait. Dans l'immédiat, il fut remplacé par un des cadres, qui semblait bien marri de récupérer la tâche ingrate d'aller salir son beau costume sur des cargos malpropres. Je proposai immédiatement mes services à mon patron, qui tomba des nues :
- Quoi ? Mais c'est un boulot d'homme !
Il éclata même de rire…
- Non mais, vous vous voyez, parmi tous ces marins, les dockers… C'est impossible, impossible !
Je défendis ma candidature avec véhémence. Il m'écoutait, amusé. C'était un homme ouvert, tolérant… mais il restait néanmoins sur ses positions.
- Non, non, Delphine, c'est impossible. C'est beaucoup trop dangereux.
- Dangereux ?
- Ces hommes… et vous si jeune, si frêle…
- Entendez-vous par là que les marins sont tous de féroces prédateurs ? Sachez que mon grand-père était officier de marine et c'était un monsieur très comme il faut. Je ne pense pas qu'il ait jamais violé une femme de sa vie…
Il ne sut que répondre. Je marquai un point. Et je continuai d'argumenter. J'étais si enthousiaste qu'il riait de ma force de conviction.
- Bon. Il faut que je me fasse à cette idée. Il faudra aussi que les directeurs des compagnies, qui sont très machos, admettent aussi le principe. C'est loin d'être gagné. Mais je vous promets d'y réfléchir.
Bien, bien, les choses évoluent favorablement ... très intéressant ...
· Il y a presque 8 ans ·marielesmots