Je suis Charlie l'indépendant

petisaintleu

À l'échelle du Burkina Faso, Koudougou est une métropole avec ses quatre-vingt-quatre mille habitants, dix fois plus que quand Norbert y naquit en 1950. Mais, deux fois moins que quinze ans plus tôt, quand l'administration française contraignit une partie de sa population à migrer vers les plantations bananières de Côte d'Ivoire ou vers les 100 000 hectares des champs de coton du delta du Niger, pour satisfaire aux besoins de l'industrie textile hexagonale. Un esclavagisme qui ne disait pas son nom. Malgré plusieurs missions d'inspection et les interventions d'André Gide et d'Albert Londres qui s'inquiétèrent des milliers de victimes, obligées de travailler douze heures par jour sans repos hebdomadaire, personne ne s'en émut. À Paris, on préférait fermer les yeux pour admirer les chutes de reins des danseuses de revues nègres et pour se délecter d'un « Y a bon Banania ». Sans s'inquiéter de l'incompétence d'Émile Bélime, le directeur général de l'Office du Niger, surnommé dans un ouvrage de Pierre Herbart « Le chancre du Niger ».

À son entrée au collège en 1964, Norbert se prit de passion pour le journalisme. Tous les matins, il était debout dès 4h30 pour écouter la BBC et d'autres radios étrangères. Ainsi, à 6h30, invariablement, était affichée dans son établissement « La voix du Cour Normal » l'unique exemplaire de ce journal rédigé sur un cahier d'écolier. Ses premiers ennuis ne tardèrent pas et la feuille de chou fut vite interdite.          

Suite à l'obtention de son BEPC, on lui fit comprendre qu'on ne l'avait pas oublié. L'entrée dans le secondaire lui fut refusée. Il parvint tout de même a exercé comme instituteur-adjoint à Barsalogho et réussit enfin à décrocher son baccalauréat en 1975. Le sésame lui permit d'enseigner à Pô puis, clin d'œil sémantique du destin, d'intégrer quatre ans plus tard l'Institut Supérieur de Presse du Conseil de l'Entente à l'Université de Lomé.     Il se prit d'amitié pour un ancien conseiller du président togolais Eyadema, ce qui le mit dans le collimateur des services de renseignements. Suite à la rédaction de son roman « Le parachutage », il évita de peu une première exécution. Il n'eut d'autre choix que de s'enfuir vers le Ghana. Dès sa première nuit, il échappa à l'explosion d'une bombe dans sa chambre d'hôtel, mise à disposition par l'ambassadeur de son propre pays. Reconduit au Burkina, on l'invita pour une année à réfléchir dans une geôle de Ouagadougou.           

Quand on a la liberté chevillée au corps et un besoin viscéral de transmettre la vérité, on ne lâche pas facilement sa vocation de journaliste. Avec l'aide de l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma, il rejoignit l'École Supérieure de Journalisme de Yaoundé en 1984. De retour dans son pays deux ans plus tard, il collabora, en parallèle de son rôle d'instituteur, à différents journaux, notamment au Journal du jeudi et à La Clef. Ses prises de position amenèrent le pouvoir à chercher à l'isoler en l'affectant à Banfora située à quatre-cent-cinquante kilomètres de la capitale. Il s'y refusa et il démissionna pour créer son propre hebdomadaire L'indépendant.               

Il devint rapidement le périodique le plus lu et le plus apprécié jusque dans les hameaux les plus isolés du Burkina. En effet, aussi étonnant que cela puisse paraître aux yeux d'un Occidental, un paysan africain qui habite un trou paumé sait lire et il est en mesure d'avoir un esprit critique.              

En 1998, Norbert s'intéressa de trop près à la disparition de David Ouedraogo accusé de vol de numéraire et chauffeur de François Compaoré, le frère du président burkinabais. Il fut finalement assassiné, ainsi que trois personnes qui l'accompagnaient, le 13 décembre de cette même année.        

L'émotion de sa disparition fut vivement ressentie à travers le pays tout comme dans les pays limitrophes. J'ai cherché à savoir si nos instances s'étaient émues de cette atteinte flagrante et inqualifiable à la liberté de la presse. Je n'en ai trouvé aucune trace. À cela, rien d'étonnant. À cette époque, la Françafrique n'avait pas encore mis à mal par les Chinois. Il était donc urgent de ne pas s'intéresser à ce trublion pour préserver nos intérêts économiques, stratégiques et politiques.               

Demain, si je défile entre République et Nation, je penserais à travers toi, Norbert Zongo, et à tous ces journalistes oubliés, à tous ceux qui n'ont en rien, par des dessins polémiques, provoqué ou choqué. Vous n'aviez qu'un but, au-delà de la liberté de la presse, être les garants d'une démocratie bafouée.      

Demain, Norbert, je serai Charlie L'indépendant.

  • je ne défilerai pas demain ni aucun autre jour mais "#je vous suis, ce sont ces journalistes oubliés qui sont les vrais garants de la liberté de presse et de la liberté de penser !!!

    · Il y a presque 10 ans ·
    Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

    akhesa

    • des héros et des martyrs. Mais bon, qui se soucie de la liberté de la presse dans un pays africain que personne ne sait situer sur une carte ?

      · Il y a presque 10 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

    • Moi je sais, j'ai des amis dans ce pays :-).
      Mais ces journalistes oubliés se trouvent dans chaque pays du monde, même au bout de nos rues.
      Si on les "liquide" demain, personne ne s'en offusquera. Et il n'y aura aucun hommage à leur mémoire de combattants pour la liberté de presse.
      C'est ce qui me désole, 12 victimes, 12 de trop mais si 4 (ou 5, je ne fais plus les comptes) d'entre elles n'avaient pas été des "people", on en aurait très peu parlé ...
      Cette hypocrisie me fait ... vomir/réagir

      · Il y a presque 10 ans ·
      Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

      akhesa

    • Moi, je suis fasciné que ces journalistes, provocateurs, c'était leur choix, fasse tant d'effets de pudibonderie dès que l'on sort du rang pour émettre son opinion !

      · Il y a presque 10 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

    • J'ai perdu mon meilleur ami, une amitié vieille de .. je ne sais plus, 20 ans ? parce que je n'adhérai pas à #je suis charlie" mais que je demandais de ne pas se laisser entraîner dans ce tsunami émotionnel, même si évidemment, je condamne l'acte barbare et toutes les violences quotidiennes moins médiatiques et médiatisées ...

      · Il y a presque 10 ans ·
      Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

      akhesa

    • L'indépendance de pensée et d'action est une notion honnie et oubliée!!. On parle de liberté de pensée et d'expression à condition que le "voisin" pense comme nous

      · Il y a presque 10 ans ·
      Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

      akhesa

    • Nous serons donc au moins 2 cons en marge du troupeau ;-).
      C'est réconfortant, non, de se sentir moins seul ?

      · Il y a presque 10 ans ·
      Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

      akhesa

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