JE SUIS EN RETARD
le_gallicaire_fantaisiste
- Je suis en retard.
Il se mit à courir dans l'escalier. Arrivé à milieu de palier, il eut une sensation étrange, ses pieds perdirent la sensation du sol, l'équilibre lui manqua, était-ce ses pieds ou ses jambes qui lui faisaient défaut, il eût du mal à percevoir exactement le poids de son corps, il se sentit happé vers l'intérieur, pris d'une vitesse tournoyante, tel qu'une feuille de marronnier que le vent dérobe à l'arbre, et son corps si léger soudain traversa la marche de béton qui fût pulvérisée en milliers de morceaux devenus inconsistants. Il se retrouva aussitôt à l'étage du dessous, étrangement couché dans un lit qui n'était pourtant pas le sien. Les draps étaient blancs, le plafond était également d'un blanc lisse parfait. Aucune malfaçon ne pouvait permettre de rendre compréhensible cet évènement. Il se leva pieds nus, ouvrit la porte de la chambre, le carrelage du couloir était glacial sous ses pieds, il atteignit la porte d'entrée de la maison et l'ouvrit pour voir dehors. Il y avait des enfants en chemises blanches qui courraient les uns après les autres, ils riaient, c'étaient le jeu du prisonnier.
- On joue toute notre existence ici Monsieur ! Vous savez ce qui nous attend de l'autre côté ?
- On nous dit que c'est une cause perdue mais on nous pardonnera sûrement si on devient de bons funambules.
- Vous voulez de la poudre blanche pour votre visage et du mascara pour vos cils Monsieur ? Vous faîtes un peu peur, vous avez l'air sombre.
De petits groupes étaient formés de part et d'autre, accroupis les enfants se concentraient sur quelques parties de billes de verre historiques.
Il vit que le soleil brillait, il devait être quatre heures de l'après-midi, il regarda sa montre pour en avoir la certitude.
- Vous allez sûrement arriver trop tard, deux semaines plus tôt auraient tout juste été suffisantes pour changer le cours des choses. On joue pour gagner, on a peu de temps pour s'attacher à quelque chose d'aussi futile que l'endroit ou en sont les autres. On se retourne après pour les chercher mais le vent a balayé le sable et on ne trouve même plus la trace des billes.
Les chaussures des enfants sur les pavés de la place résonnaient de petits coups sourds mais enjoués, vaillants et virevoltants.
Il vit que la porte de la grange était grande ouverte et que des ballots de foins y étaient entassés sans ordre, certains ouverts et souillés d'excréments de bœufs rendant son accès difficile. Il sentit le besoin impératif d'y entrer malgré tout et de grimper tout en haut des ballots pour atteindre le dernier niveau. Là se tenait une personne qu'il connaissait bien et qui le reconnu aussitôt. Elle semblait affligée de quelque chose, elle parût heureuse de le voir. Elle lui désigna du regard un point tout en bas au milieu du dédale de ballots. Il s'y trouvait une drôle de petite poupée de chiffon bleu. Elle le regarda, et lui dit quelques mots qui voulaient dire bien plus que ce qu'on entendait et qu'il comprît chacun dans leur acception pleine et entière, affectueux et rassurant, emprisonnant un sanglot tue par le courage et le respect :
- Ah, il était bien courageux ce petit soldat.
Et lui se mit à pleurer en les entendant avec de grosses larmes chaudes qui coulèrent sur son visage et filèrent à la suite dans le grand vide.
Ils redescendirent et se trouvèrent ensuite avançant avec difficulté au milieu des ballots, faisant de grands écarts et portant chacun placé à une extrémité, une planche de bois épaisse au milieu de laquelle était placé la petite poupée bleue. Ce qu'il y avait dans leur cœur et dans leur tête était une grande tristesse qu'on ne saurait consoler. Le vide ne trouve pas toujours quelque chose qui puisse le remplir.
Le Gallicaire Fantaisiste