Je suis là
Guillaume Creton
Je vous l’avais bien dit que j’étais vivant. Je suis là, je suis là, je vous entends. Non maman ne pleure pas. Mais où suis-je ? C’est un grand voile blanc qui cache mes yeux. Je ne vois rien, que se passe-il ? Je ne me souviens de rien. Un crissement de pneus et le vide intégral. J’entends vaguement des voix. Celle-ci m’est inconnue. Une voix d’homme. « Trois ans Madame … » puis un long silence pesant. « Manque de moyen Madame … », un juron puis un cassant « Mort madame … ». Trois ans ? Quels moyens ? Mort, qui est mort ? Maman ? Non je l’entends lui parler. Enfin, j’arrive à distinguer quelques mots entre ses sanglots et ces cris. « Je ne perds pas espoir ». Puis j’entends ses pas. Une porte qui claque. Non attends maman ne part pas, j’ouvre les yeux. Regarde ! Non c’est impossible. Qui est cet homme ? Je l’entends jurer entre ses dents. De toutes mes forces j’essaye de soulever mes paupières lourdes comme des pierres tombales. Une douleur me parcourt tout le bras. J’entrouvre mes yeux de quelques millimètres. Une blouse blanche est assise à mes côtés. Elle tient une feuille entre ses mains gantées. La douleur me paralyse le corps mais mes yeux s’ouvre de plus en plus, je vais enfin pouvoir montrer à ma mère que je suis vivant. Ma gorge se sert, je ne peux pas crier. Maman qui est cet homme, à qui appartient ce souffle chaud qui me brûle le bras ? Mes yeux sont enfin ouverts. J’arrive à voir les formes, les couleurs, je revis ! Je suffoque. Un mal de tête affreux me brise le crâne. Mes yeux se portent sur le papier sur lequel griffonne l’homme en blanc. Un dernier effort et j’y suis presque. J’arrive désormais à lire. Un frisson me parcoure le corps. Un rictus sadique et vénale au coin des lèvres, le médecin remplit l’acte de décès et me ferme les yeux. Rideau.