JE SUIS NéE QUAND TU ES MORT

marief

25 mai 2007, 5h18.

La sonnerie de mon portable me sort de mon sommeil, je l'ai posé au sol, près du lit, aussi je lance mon bras afin de rapidement l'attraper. Un geste devenu presque habituel depuis plus d'un an; j'appuie instinctivement sur la touche verte et réponds d'une voix fatiguée.

-Hum, allo!!

L'interlocutrice dit:

-Dépêche toi, viens, viens vite... il te réclame, cette fois c'est grave, je crois que c'est la fin...

-J'arrive, ai-je répondu.

En temps normal j'enfile rapidement un jean et un t-shirt préparés la veille avant de me coucher, pour être certaine de gagner quelques minutes et partir au plus vite.

Ce jour là, après avoir raccroché, j'ai posé mon portable sur le bord du lit, j'ai enfoui mon visage dans mes mains et j'ai pensé: «et si c'était vraiment la fin ? ». J'ai cherché, au creux de mon esprit, une lueur d'espoir puis très vite la raison m'est revenue, je devais ouvrir les yeux, rester concentrée.

J'ai décidé de prendre mon café avant même d'avoir enfilé mon jean, qui d'ailleurs ne se trouvait pas prés du lit mais dans la salle de bain...

je me suis dirigée d'un pas tranquille vers la cuisine, ai allumé ma cigarette puis ouvert la fenêtre. Je fumais avec à l'esprit les paroles excitées de mon interlocutrice: « Dépêche toi, viens, viens vite...»

J'ai vidé goulument ma tasse et me suis dirigée vers la salle de bain. Là, je me suis assise sur le rebord de la baignoire et de nouveau, j'ai pris mon visage dans mes mains. J'ai attendu quelques instants puis me suis levée et regardée dans le miroir.

Un visage triste, dévoré par les larmes et tordu de fatigue m'est apparu comme un malheureux reflet. Une seule question m'est venue à l'esprit; pourquoi moi?

J'ai essuyé mes yeux, pris une douche rapide et me suis habillée.

J'ai appliqué un rapide maquillage sur mon visage afin de lui donner un peu d'humanité et me suis dirigée vers le salon pour prendre mon sac a main. J'ai sorti les clefs de la voiture mais de nouveau d'affreuses pensées m'ont immobilisée.

6h30:

L'appartement baigne dans un silence que seule l'aube peut nous offrir, le calme qui règne dans la pièce en devient étrange.

En règle générale je ne me couche pas avant deux heures, deux heures trente. Après avoir éteint la télé, je me glisse dans les draps pour me délecter de quelques pages du dernier roman à la mode. Il y a très souvent du passage dans le couloir, un des enfants passe pour aller à la cuisine ou aux toilettes, ce qui fait qu'il y a toujours un peu de vie dans notre grand loft, le silence m'est donc quasi inconnu.

Mon portable a sonné une nouvelle fois, le numéro qui s'y est affiché était toujours le même...

J'ai décroché sèchement et d'une voix plus vive, presque agacée j'ai répondu sans même attendre qu'elle ne puisse dire allo.

-Oui ai-je dit, j'arrive, c'est bon.

La voix a fait:

-Mais qu'est que tu fous?? ça fait une heure que je t'ai demandé de venir, d'habitude tu es là en même pas trente minutes, ton père te réclame. Ecoutes, il perd complètement la tête et je ne sais plus quoi faire...

-Et bien appelle le S.A.M.U, ai-je fait, n'attends pas que je sois là.

La nervosité commençait alors à me gagner et mon réveil devint tout a coup plus vif.

La fameuse voix au téléphone, c'est la femme qui m'a été imposée en guise de belle mère et la raison pour laquelle je dois sans cesse me déplacer à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, c'est mon père, que je nommerais "Mon géniteur" bien plus tard et qui se meurt d'une leucémie..

6H40:

Je suis finalement descendue dans le parking de mon immeuble et suis montée dans ma voiture puis j'ai mis le contact et ai démarré dans un crissement de pneus.

Tout de suite j'ai freiné, me voici une nouvelle fois à poser mes mains sur mon visage, celui-ci plaqué sur le volant, je pense, pense et pense encore.

J'ai relevé la tête, face à moi le mur du parking, une seule pensée obscurcit mon esprit, pourquoi ne pas appuyer sur l'accélérateur et foncer droit dans ce mur??

Il a fallu que je pense très fort aux enfants pour que la raison me revienne, je ne pouvais décidément pas envisager une telle solution.

J'ai démarré la voiture et pris la route en direction de chez « mon père ». La voiture aurait presque pu y aller seule, le nombre incalculable d'aller-retour faisait qu'elle n'avait même plus besoin de moi pour me conduire là-bas.

7h05:


Je me suis garée en bas du 1 rue de la croix, sous la fenêtre, comme à chaque fois. Avant d'ouvrir la portière et sortir, j'ai jeté un oeil au travers du pare brise. Là, j'ai aperçu derrière le rideau de la cuisine le visage de la vieille, à l'affut telle une fouine.

J'ai pris une grande respiration, soufflé doucement par petits coups puis j'ai fini par un long soupir. Je suis sortie de la voiture avant de faire un signe de la main et monter les rejoindre.

Je n'étais pas encore arrivée au second quand de nouveau elle a crié.

-Allez, dépêche toi un peu.

J'ai accéléré mon pas et j'ai grimpé deux par deux les marches. Une fois devant la porte qui venait de s'ouvrir, je l'ai trouvée face a moi, le visage plein de colère mais sec de toute larme; « étrange».

Sans même l'écouter je me suis dirigée droit vers la chambre du « père«, je suis entrée et ai constaté que son état était effectivement plus grave que d'habitude, il était allongé sur son lit, son regard exprimait la peur.

L'espace d'un instant j'ai trouvé ça jouissif de le voir là, la peur au ventre.

Ce jour là, les rôles se sont inversés, il avait peur et je jouissais. Le nombre de fois ou ce regard fut le mien, un regard terrifié par lequel je le suppliais d'arrêter afin qu'il comprenne que la douleur était insupportable.

Ce jour la c'est lui qui souffrait, une souffrance différente mais qui lui faisait aussi mal que ce qu'il avait pu me faire subir.

La raison pour laquelle j'étais venue m'apparue soudain et fit disparaître les images qui tournaient en boucle dans ma tête.

Il avait la main gauche levée et visait la petite armoire qui était au dessus de leur lit, je savais ce qu'il voulait et je n'allais surement surement pas lui faire ce plaisir.

Il avait pour habitude de laisser une de ses armes a feu prés de lui, les quelques dix-huit ans qu'il avait passé dans l'armée lui avait dérangé l'esprit et sa crainte permanente d'être attaqué par je ne sais qui le perturbait terriblement. J'ai fait mine de ne pas comprendre puis lui ai pris la main afin de reposer son bras le long de son corps tremblant.

Il ne pouvait plus parler et ses mouvements devenaient de plus en plus lents, je prenais enfin le pouvoir. Derrière moi la voix de la belle mère qui hurlait sans cesse afin de me donner des ordres commençait à sérieusement m'agacer.

j'ai du élevé le ton, passé au dessus d'elle et lui aboyer de quitter la chambre pour aller appeler le S.A.M.U. A ma grande surprise elle s'exécuta sans un mot.

je me suis retrouvée seule avec lui, assise au bord du lit a lui tenir la main, je l'ai fixé droit dans les yeux, ce que je n'avais jamais pu faire avant.

je sentais que j'avais peu de temps devant moi pour poser toutes les questions qui me tourmentaient depuis la petite enfance,il ne pouvait plus parler mais comprenait encore ce qu'il entendait, je devais faire vite avant que son regard devienne totalement vide. J'ai senti un noeud se former en plein milieu de ma gorge, une envie de vomir puis les sanglots et les larmes se sont ajouter a mon mal être. Une seule phrase pu sortir de cette même gorge qui me faisait si mal, une seule que je tentai d'exprimer aussi clairement que possible et, surtout, pour la première fois. - - - - - - Pourquoi, pourquoi tu m'as fait ça?

Je n'ai, évidement, obtenu aucune réponse. A ce moment précis l'entrée brutale de la furie dans la chambre renvoya toutes mes questions au fin fond de mon esprit torturé, leur place habituelle.

Je lui ai alors demandé quand les types du S.A.M.U étaient censés arriver et sa réponse fut à deux doigts de m'étourdir.

-Ben ils me disent d'appeler plutôt une ambulance parce qu'ils ne peuvent pas venir.

Je lui ai arraché le téléphone des mains en lui ordonnant froidement de sortir de mes jambes.

J'ai composé le 15 et suis tombée sur une standardiste a qui j'ai commencé à expliquer la situation. Elle m'a immédiatement passé un médecin à qui j'ai rapidement décrit l'état dans lequel « le père » se trouvait. La réponse fut rapide, il m'expliqua qu'il ne fallait surtout pas le bouger mais le laisser allongé. Une ambulance allait très vite arriver...

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