Je suis un être simple calme et doux ...
aronia
Je suis un être simple, calme et doux …
Avant propos : ce que je décris dans ces lignes est arrivé.
Je suis un être simple, calme et doux … mais … voilà trois jours un ancien collègue m’a appelé (je suis pré retraité) :
— Tiens, tu viens de te faire blackbouler par les francs maçons !
Un soupir aussi surpris qu’agacé :
— Exact, comment le sais-tu ?
Il a rigolé franchement :
— Tu seras toujours aussi innocent ! De quoi crois-tu qu’on parle pendant les agapes (Pour ceux qui l’ignorent les agapes, c’est le repas que les franc maçons prennent après leur réunion, leur tenue comme ils disent). On y parle affaire entre soi et on dit du mal des autres comme tout le monde (on prépare les plats dans la salle humide et souvent ceux qui en ressortent le sont un peu). J’étais invité dans une loge quand ils ont parlé d’un type, fiers comme Artaban de l’avoir dégommé. J’ai écouté cinq minutes, je n’ai pas eu trop de mal à deviner de qui ils parlaient. C’est pour ça que je t’appelle, pour te donner le dessous des cartes.
— Et le serment de garder le secret …
— … N’engage que celui qui le prête. Toujours aussi naïf, je vois. Qu’est-ce qui t’a pris de vouloir t’enrôler dans ce nid de guêpes ?
— Tu y es bien toi !
— Mouais, un peu seulement, c’est bien utile quand je veux avoir une soirée libre de temps en temps. Qu’est-ce que tu fais demain midi ?
— Rien que je ne puisse décaler.
— Bon. Je t’invite à déjeuner à l’Entrepôt comme au bon vieux temps.
— Ca marche.
Je restais songeur et me remémorais quelques portraits, rassurez-vous je ne vous les infligerai pas tous.
*
J’ai toujours eu un rapport pour le moins ambivalent avec la franc-maçonnerie. Mon père est apparu dans ma vie alors que j’avais quinze ans. Je me souviens de cette rencontre un soir d’août 1968, je revenais de colonie de vacances :
— Nous avons quelque chose à te dire. Ta mère et moi nous nous sommes mariés il y a une semaine,
— …
— Maintenant tu portes mon nom.
— …
— Désormais je suis le chef de famille.
La guerre était déclarée ; je ne suis pas bâti sur le pardon. J’avais envie d’être médecin, je suis devenu fonctionnaire pour filer au plus vite hors du cadre familial. Vous l’avez deviné, c’est le premier maçon que j’ai connu, violent, tyranneau domestique et professionnel (Il était devenu sur le tard proviseur et jouissait de son petit pouvoir, je l’ai entendu souvent hurler sur ses profs), glacial (je n’ai rencontré que très peu d’êtres capables de réfrigérer une salle aussi instantanément), pervers (laissant une fois mon demi frère alors enfant au bord d’une nationale, revenant une demi heure après pour le reprendre). Vous me direz scènes de la médiocrité ordinaire ? Pas de quoi faire pleurer Margot ! Vous avez raison.
*
Il était surnommé Heavy. Pourquoi ? Certains disaient Heavy sert à rien, je ne suis pas d’accord : Heavy ne servait que lui. C’était un type grand, chauve, maigre, si ce n’est un petit bedon ridicule. Il était cauteleux, patelin, d’une fourberie absolue. Je l’ai connu alors qu’il était le secrétaire du comité d’entreprise de ma boîte, je n’ai perçu que plus tard que c’était parce qu’il était franc mac (c’est lui qui le disait comme ça) qu’il était arrivé là. Il promettait une place sur une liste électorale à l’un, une aide sociale à l’autre, se gardant bien de tenir ses engagements. Une fois que nous étions à une réunion des délégués du personnel, il faisait très chaud, un type que j’aimais bien, un cuistot de la boîte, eut l’initiative heureuse de sortir des bouteilles d’eau fraiche et d’en offrir une à chacun. Lorsqu’il lui en tendit une, Heavy murmura juste assez distinctement pour que le cuisinier puisse l’entendre ah enfin un larbin qui sait rester à sa place, je regrette encore de ne pas lui avoir donné une gifle ; je manque de spontanéité.
Je vous passe d’autres saloperies ordinaires dont j’ai le souvenir. Heavy partit en retraite après une carrière de traitrise hors pair. La direction l’avait remercié quelques mois plus tôt d’un changement d’échelon, d’une prime généreuse. Entre gens intelligents, on sait se renvoyer l’ascenseur.
*
La dernière rencontre est plus récente. Une amie me dit qu’elle avait été contactée par un maçon qui souhaitait l’initier (depuis j’ai découvert que l’initiation pouvait prendre plusieurs formes …). Elle pensait que cela pouvait m’intéresser. J’ai réfléchi, cela m’arrive, je crois que plusieurs regards apportent plus de relief à un paysage, elle m’a donc invité à déjeuner avec lui au Rivercafé. Il était arrivé dans une Mercédès noire, costume étriqué, cravate idoine, il n’avait d’yeux que pour elle, cela ne me dérangeait pas. L’homme, petit, sec s’enthousiasmait. Il vendait la franc-maçonnerie avait verve : il se ventait d’avoir beaucoup d’amis flics (sic), juges et avocats, qu’il faisait sauter toutes ses contraventions, que pour les affaires c’était hyper !!! intéressant. Il ajouta que le premier secrétaire du parti socialiste s’était présenté, que lui, s’était fait un plaisir de le dégager, bref il affichait un réseau à dégueuler, ce que je méprise au plus haut point, un salop ordinaire. Il s’était arrêté de parler, mystérieux (enfin c’est la façade qu’il voulait présenter) et avait parlé :
— Il pleut …
Visiblement, il faisait beau. Je ne comprenais rien. Il se pencha vers mon amie :
— Des oreilles indiscrètes nous écoutent.
Il détaillait la serveuse des cheveux aux orteils. Cette dernière était jolie, compétente, je ne pouvais rien ajouter d’autre. Il me regarda, satisfait !
— Cette gouine nous écoutait.
Je n’ai rien ni pour ni contre les homosexuels, ce sont des êtres humains avec leurs qualités et leurs défauts, que ce type me considère implicitement comme partageant son opinion m’écœurait. Il crut bon de me traduire :
— Entre nous, quand nous disons qu’il pleut c’est que des oreilles trainent.
En dehors du monde professionnel où j’avais souvent baigné dans les négociations, je n’avais rien à cacher, qu’un gnome me dise que notre conversation devait rester secrète m’étonnait, m’agaçait ; ce type était un con (l’expression est lapidaire mais elle résume bien ma pensée). J’aurais du fuir, je ne l’ai pas fait, comme quoi, je suis sans doute un peu con aussi (moins que lui). Il me confia deux de ses exposés, des planches en jargon maçonnique, un salmigondis de banalités précieuses.
Bref, pétri de contradictions, j’envoyais une lettre pour demander mon adhésion à l’association. J’avais tord comme vous le devinez.
*
Pour adhérer à la franc-maçonnerie vous devez passer trois entretiens, des enquêtes comme ils disent, j’ai rencontré trois vieilles dames, si je devais résumer mon appréciation, je dirais qu’elles étaient bienveillantes (cela me rappelle un roman …). Je leur ai confié l’agencement de ma vie, ce dont j’étais fier mais pas que … L’une d’elles me dit qu’elle ne voulait pas qu’un individu vienne aux tenues (aux réunions) en tongs : nous étions en hiver, j’étais venu sur mon trente et un, chemise anglaise, pull en cachemire, pantalon en velours, un peu gentleman farmer, je me demandais ce qu’elle voulait bien dire … Une autre me demanda : quelles sont les qualités les plus importantes pour l’homme. Je pensais qu’elle voulait sans doute parler de vertus, je lui répondis que ces dernières se résumaient à une seule : la bonté. Elle me dit qu’elle reprendrait ça dans ses exposés (j’aurais du lui offrir le petit traité des grandes vertus de Comte Sponville que je vous le conseille vraiment, je crois qu’il est lui aussi franc-maçon, mais je n’en suis pas sûr).
*
Arriva le temps du passage sous le bandeau …Je me retrouvais un soir de juin, rue Jules Breton, un petit homme me voyant attendre me demanda mon nom. Je lui donnais. On me conduisit dans une pièce peinte approximativement, surtout remarquable par ses trainées jaunâtres sur les murs, son odeur prononcée de pisse surie, j’y suis resté cent dix-huit minutes, je ne m’ennuyais pas, j’étais fatigué de ma journée, je fermais les yeux me reposant malgré la pestilence (je n’avais pas rêvé, mon ex collègue me confirma que c’était ainsi depuis des lustres (la salle ne servant qu’aux profanes, cela ne dérangeait visiblement aucun initié), le bruit perpétuel de chasse d’eau me fit comprendre qu’un atelier au moins était sujet à des problèmes intestinaux, on m’a dit plus tard que la salle humide n’était rarement lavée, qu’elle était propice à des infections microbiennes. Je me réveillais lorsque je suis arrivé dans le temple, les yeux bandés, auparavant je l’avais vu vide, quelques sièges en plastique moulé, une estrade, un triangle rouge sombre. Là on vous pose des questions, façon oral de l’ENA à la petite semaine. Je vais vous faire un aveu, je ne suis pas bon à ce jeu des questions/réponses instantanées, j’aime à prendre mon temps. L’une d’elles m’intrigua, un homme trompeta vous vous dites écrivain de la passion, pouvez-vous préciser ? Ah là … je me demandais bien quoi répondre. Les autres peuvent décréter ou non que vous êtes écrivain, pas vous-même, et puis mon intérêt s’est toujours porté sur l’anticipation (une forme de science fiction qui essaie de décrire un futur possible) pas sur la passion (j’adore Flaubert cela dit), d’où ce type au ton prétentieux pouvait-il sortir cette ânerie ? Pour la joie d’humilier sans doute, c’est si simple quand l’autre a les yeux bandés. Que pensez-vous de la démocratie au moyen orient ? Que voulez-vous dire de sensé en deux minutes ? En plus pour ne pas arranger mes affaires, je crois plus aux vertus de la citoyenneté, qu’à celles de la démocratie (ça peut sembler choquant dit comme ça, mais pensons aux braves allemands, français et anglais qui tous démocratiquement ont élu Hitler, Daladier et Chamberlain). N’en concluez pas hâtivement que je suis contre la démocratie, je me dis qu’elle n’est pas la panacée. Dans le doute, j’essais d’être citoyen (ne vous demandez pas ce que les Etats Unis peuvent faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour les Etats Unis, Kennedy – pour les vraiment ignorants -). J’admire Léonidas se sacrifiant aux Thermopyles, non pour sa cité mais pour la culture grecque. Robespierre que j’aime beaucoup, contre la peine de mort en 1789, l’appliquant généreusement quatre ans plus tard était-il démocrate ? Cela nécessiterait bien des explications.
*
L’ami avec lequel je conversai, se mit à rire.
— Reste un penseur libre, je te le répète, tu n’as surtout pas besoin qu’on te polisse. Pose toujours ce regard différent, ne rentre jamais dans un moule. Tu sais certains qui disent chercher la lumière et se cachent dans la nuit sont des vampires. Je ne suis pas resté à ne rien faire, j’ai donc remonté mes réseaux d’informations. Je suis sûr que tu n’as pas compris la morgue de celui qui te parlait littérature. On t’a posé une question sur l’art, je pensais que tu répondrais très bien. Pourquoi n’as-tu rien dit ?
— Tu connais la réponse, j’écris sur un mode mineur et je ne me prétends pas écrivain. J’ai adoré voir des sportifs nager, les quinze cents mètres par exemple, les meilleurs font corps avec l’eau, ils glissent, hors du temps. Qui n’a pas vu Alexander Popov ne peux pas appréhender la beauté qu’il dégage, qu’il travaille. Je t’ai amené une fois à une compét, le papillon, les épreuves de fond sont des tableaux dynamiques que l’on ne peut comprendre que dans l’instant.
— Je ne suis pas sûr qu’ils auraient compris quelque chose. Pense à un art quotidien, trivial ?
— La cuisine ?
— Sujet bateau mais ça marche, ces derniers mois une postulante leur tint le crachoir pendant une demi-heure avec une recette, ils l’ont prise, si j’ose dire. Non je pensais à ce que tu connais des jardins, tu m’as montré ces haies vives plantées dans un quinconce approximative et très travaillée, tu m’as décrit la difficulté de placer un arbre pour qu’en grandissant, l’harmonie des feuilles et des ramures forment un tableau cinétique cohérent. Tu les aurais bluffés, eux qui pensent qu’au-delà d’Albert Kahn, il n’y a point de salut. Zut, j’allais oublier l’essentiel ? Quelle était la dernière question qui t’a été posée ?
— Excuse-moi, je n’en ai pas un clair souvenir.
— On t’a demandé ce que tu craignais le plus chez toi …
— Ah oui et j’ai répondu la violence, c’est une bonne réponse non ?
Il était plié en deux.
— Pour qui te connais, je comprends, tu ne veux pas être entrainé dans la violence ordinaire des mecs qui tapent leurs enfants, leur hurle dessus, la violence d’une phrase qui fait comprendre à l’autre qu’il est une sous-merde en le faisant attendre une salle qui sent l’urinoir défréchi sans s’excuser. Et ce n’est pas du tout ça qu’ils ont retenu, ils ont cru que tu cassais la gueule à tous ceux qui ne te plaisent pas !
— Je suis l’agneau qui vient de naître.
—N’exagère pas, tu sais te battre sur plusieurs niveaux, tu as magnifiquement défendu des types, je pense par exemple à l’un d’eux mort d’épuisement au boulot. Tu as retroussé tes manches et tu t’es pris des coups, je t’ai vu un genou à terre, tu ne t’es pas plaint, mais heureusement que d’autres étaient là, discrètement, pour t’aider. Tu aurais du me contacter avant de vouloir aller plus loin. Ton pseudo parrain est une merde de première, il aurait du être là pour t’accompagner, pas pour te laisser seul. C’est un petit pervers qui aime bien que les autres tombent, une forme de franc-maçonnerie assez répandue. Sur les photos de guerre, ce sont toujours les petits, je ne te parle pas de la taille, qui se font prendre en photo le pied sur un cadavre.
— Tu es d’accord pour dire que la force est une qualité, le courage aussi, elles ne sont positives que lorsqu’elles servent la bonté.
— Je te suis.
— Leonidas, aux Thermopyles était à la fois fort et violent, il a massacré la garde sacrée du Roi des Rois pour faire échapper le Péloponnèse à la destruction programmée par Xerxès.
— Conclus.
— La violence n’est bonne ou mauvaise qu’en fonction de ce qu’elle sert, si c’est la bonté c’est bien, si c’est le vice ça l’est moins.
— Et je m’étonne que tu ne m’ais pas encore parlé de la violence et du sacré. Bon, le travail m’attend, tu ne m’en veux pas de t’avoir appris ce qui t’était arrivé ?
— Je ne tue pas les messagers.
— Méfie-toi d’eux, ils ne sont pas tous malfaisants loin de là, mais ceux qui le sont vraiment, profitent de leur petit réseau et seront vexés comme des poux après ce que tu vas faire.
— Tu l’as deviné ? Tu ne veux pas m’en dissuader ?
— Non. Il faut nettoyer les écuries d’Augias, surtout lorsqu’elles sentent à ce point mauvais.
*
A ma surprise, je fus contacté quelques jours plus tard par une dame dont je n’ai toujours pas compris si elle était une (très vieille) hétaïre, une institutrice, une informatrice de la police.
Mais ceci est une autre histoire aurait ajouté Kipling dont George Orwell disait qu’il était le prophète de l’impérialisme britannique.
Désolé mais pour le moment mon tel est en panne
· Il y a environ 11 ans ·Dominique Deconinck
Je suis d'accord, écrit u. Peu trop vite l'auteur aurait du ce relire. Il a sans doute écrit avec ses tripes
· Il y a environ 11 ans ·biloba1
Un bon récit, à peine terni par quelques maladresses formelles et très corrigibles (gare aux temps).
· Il y a environ 11 ans ·Le portrait de Heavy, notamment, est réussi, bravo.
riatto
ça ne m'étonne pas j'ai déjà eu affaire à ces gaillards, magouille en co. Et pour un Jean Moulin (FM pour ceux qui l'ignoraient) combien de petits affairistes
· Il y a environ 11 ans ·biloba1
"Si le Peuple avait la moindre idée de ce que nous avons fait, il nous traînerait dans la rue et nous lyncherait. George Bush, célèbre maçon et 41eme président des USA ... Ah bon
· Il y a environ 11 ans ·aronia