Je suis une plaie

little-wing

Je suis une plaie. Je pleure encore de mes larmes rouges qui ne sont que la représentation physique de mon mal intérieur. Une plaie profonde qui ne se referme pas, ouverte aux vents qui charrient l’odeur d’un passé heureux oublié. Une plaie abandonnée telle les villes d’antan, où ne subsistent que des ruines pouvant encore prouvé l’existence d’une gloire éphémère. Je suis une plaie effacée du monde qui l’entoure, ignorée dans sa complaisance de n’être qu’une immense douleur aux yeux de tous. Un masque de souffrance pour cacher la réelle envie qui se trouve derrière : envie de partager le savoir du doute, de l’ignorance, de la déchéance, de la trahison, des cadavres mis à mal sous le plancher pourri. 

    Je suis une plaie qui a connu, et connaît encore, les sept honteux pêchés. Une plaie qui se traîne dans l’ombre, de peur de subir d’autres souffrances car quand elle a le malheur de se présenter sous les yeux du monde, ceux-ci se font révulsés par tant de laideur, horrifiés de voir ce qui se cache parmi eux, terrifiés de constater que cette plaie n’est que le fruit de leurs fautes qu’ils auraient rejetés aussitôt enfantés. Cette plaie, là, devant eux, leur jette en face la vérité qu’ils cherchent tant à nier.

    Alors cette plaie tente de s’oublier dans la luxure, la gourmandise, l’envie, la paresse, la colère, l’orgueil, l’avarice. Elle est animée dans ses derniers soubresauts de vie, mais même la Mort ne veut pas d’elle, la condamnant à une éternelle agonie. Elle a pactisé avec le Diable, qui refuse toujours son âme déchirée alors qu’elle l’appelle de ses cris déchirants. La plaie est devenue l’insipide Indifférence, abandonnée au vagabondage. Elle a changé de rôle pour enveloppé de sa cape de mensonges les vérités qui font mal, elle les a emportés avec elle, devenant de ce fait le sombre présage d’un funeste destin pour le fou qui voudrait la détenir. A son passage, les portes se ferment, les volets claquent, les rues se font désertes. La plaie est devenue Nuit. Une nuit rouge, apportant des vents hurlant de charognes venus chercher leur pitance. Et la plaie, enfermée dans son chemin de solitude, absorbe le sang et les larmes du peuple qui l’ignore.

    Je suis une plaie de silence, de mensonges mêlés à des vérités, de douleur, d’indifférence, de solitude. Je suis une plaie béante qui prend tout ce qu’on veut bien lui laisser, ce ne sont alors que des restes de complots, de vengeances, de guerres violentes, des vieillards trop séniles et des malades sans espoir, des débauchés n’ayant trouvés leur salues que dans mes bras décharnés où mes veines sont tailladées sous leurs ongles, tant ils veulent échapper à mon étreinte.

    Je ne suis une plaie que parce que vous ne voulez pas me voir. Et quand, par malheur, l’on se croise, vous affichez un air d’indifférence, si ce n’est de la répugnance. Je vous fais si honte que cela ? Vous n’osez ouvrir la bouche, de toute façon, pourquoi parler à une chose qui n’est censé existée ? Et pourtant, j’existe et c’est pour ça que je vous fais mal, car vous aimeriez que je disparaisse définitivement. Hélas, mes bons maîtres, je ne puis satisfaire vos désirs bien égoïstes car tant que vous brandirez le poignard de l’Intolérance, je naîtrais à chacun des coups donnés. Vous voulez m’abandonnez ? Continuez de m’ignorer ? Soit, je remplacerais votre ombre et de là, je vous observerais de mes orbites vides, attendant qu’un geste de haine vous traverse.

    Vous ne pouvez exister sans moi, comme moi je ne peux exister sans vous. Je suis votre mal, ou du moins je le suis devenu. Pour vous. Car vous l’avez désiré, même contre votre volonté.

    Je suis, certes, une plaie. Mais je suis avant tout le résultat des actes que vous n’avez pas assumez, que vous regrettez. Je suis la culpabilité. Je suis la fugace douleur quand vous faites preuves de lâcheté et d’égoïsme. Je suis vous et vous êtes moi. Mais vous ne voulez pas le savoir car vous ne voulez pas être mis au fait des conséquences de vos actes. Vous restez sciemment aveugle. Et irresponsable.

    Mais ne vous inquiétez pas, je ne serais pas toujours là. Ma moitié, mon contraire, le Pardon, vous fera connaître des jours plus doux, loin de mon joug qui vous paralyse, tel un vicieux serpent entourant votre cou, mon poison glacé se répandant dans votre corps alors que j’aspire votre désespoir, ne laissant aucune trace de ce que vous nommez « bonheur ». Entité honnie contre laquelle je me bats continuellement, comme le font Rê et Apophis. Ce monstre de rire et d’émotions règne le jour tandis que je m’accapare de la nuit, démon de vos cauchemars.

    Lâchez le poignard et cette fois, c’est moi qui vous ignorerais. Devenez sage, juste et intègre, vous me condamnez. Détournez-vous de vos lâches intentions et je m’éparpille. Mais l’Homme reste l’homme, il n’est pas parfait et a ses faiblesses qui font que je serais toujours là.
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