Je t'écris

nonada

En réponse à Ernestin Frenelius ...

1
Elle était partie pour Berlin, avec son sac sur le dos et sa guitare et rien de plus. Berlin c'est en Allemagne, elle ne parle pas allemand mais elle sait qu'elle apprendra vite, et avant tout elle parle humain.
L'Alsace c'est à mi chemin. C'est bien pour une première halte, avant de repartir.
Elle a quitté bien des endroits, ce n'était pas des fuites, juste des tentatives de créer de nouveaux espoirs, de vivre de nouvelles aventures, de recommencer en quelque sorte de nouvelles vies. Autant de vies que de lieux où elle vécut.
Si elle savait d'où elle vient sans doute aurait elle choisi d'y retourner.
Mais comme une étrangère à ce monde, elle ne sait pas. Ou elle a peut être oublié.
Sa mémoire est folle. Comme elle.
Elle se souvient de tant de choses, avec des détails si puissants qu'elles vivent encore en dedans, là, dans cet autre monde gigantesque qui l'habite.
La nuit elle rêve, le jour elle se rappelle.
Souvent elle décide aussi d'oublier.
Pourquoi n'est elle pas aller jusqu‘à Berlin? Elle ne sais plus, ou bien elle n'a jamais su.
Depuis elle est encore repartie, comme ça, si vite, sans prévenir. Prévenir qui d'ailleurs et de quoi et comment?
Non, ça n'aurait servi a rien, pire même ça aurait pu la faire changer d'avis.
Alors elle préfère oublier ça aussi.
Ou plutôt, elle en fait des contes, des histoires pour grandes personnes qu'elle aime se raconter.
Mais ça ne lui appartient plus, c'est un monde où elle ne vis plus, qu'elle à quitté et qui continue a vivre sans elle.
Son détachement est si froid, si dur que parfois ça l'effraye elle-même.


2
Avant d'arriver à Strasbourg, elle avait connu l'Argentine.
Elle était restée là bas le temps d'une vie. Une vie pas laide. Mais pas non plus une vie facile.
D'ailleurs elle à toujours préféré vivre comme ça, sans rien, sans sous et sans famille parfois.
Mais c'est bien cela qui l'a fait revenir tout de même, parce qu'elle en à une, elle avait oublié, de famille.
Et puis elle était restée, dans ce pays, son soit disant pays. Qu'est-ce qu'il est critiquable sous bien des abords d'ailleurs. Elle est révoltée mais ne sais pas comment faire pour changer les choses à grande échelle. Alors elle rend ses vies plus humaines, ses mondes à elle, elle essaye de les rendre meilleurs. Changer Le Monde c'est bon pour les super héros et apparemment elle n'a pas leurs super-pouvoirs.
Elle devait retourner dans cet autre pays qui avait bien voulu d'elle.
Elle avait prévu de faire de lui son unique monde, pour de bon.
Une formation pour être professeur de théâtre et un amant éperdu l'y attendait.
Elle était déjà adoptée.
Pourtant…
En arrivant en France tout cela est parti du réel pour rejoindre les contes, les rêves et les souvenirs.


3
La voilà donc de nouveau sur les routes. Seulement elle est à pied. Sa voiture et la caravane tant aimée qu'elle tractait  sont hors d'usage depuis longtemps, enfin le temps, chez elle, il n'existe pas vraiment….il dure trop, bien plus que pour les autres à chaque fois. Alors dire combien ne sert à rien. Son combien n'est pas le nôtre. Elle à toujours était perdu avec les mathématiques.
Elle est dans le sud confrontée à des souvenirs qui veulent revivre. Mais elle ne les laisse pas faire et pars, d'abord pour faire les vendanges dans le beaujolais. Un régal pour elle. Elle aime travailler dur, en plein air, les pieds nus sur cette terre chérie. Le soleil la rend dorée, ses cheveux collent a ses joues avec le jus poisseux du raisin qu'elle attrape, a toute vitesse, avec les doigts. Elle n'aime pas utiliser le sécateur, il faut qu'elle sente la chair du fruit dans ses mains. Qu'elle s'abime les ongles sur leurs tiges froides et se griffe la peau dans les ceps tortueux.
Elle recommence à boire, au passage, mais l'alcool la rend si invincible. Elle aime le vin, le rouge qui coule goulument. Elle aime l'ivresse et recommence les bêtises.
Des délires éthylique qui la font rire.
Un garçon la fascine, sans qu'elle ne sache bien pourquoi. Il n'est pas beau. Il est étrange. Il est artiste, et super héros de tant en tant. C'est surement ça qu'elle aime en lui.
Il se passe quelque chose, en douce, entre eux. Puis il s'en va, ne promet rien, ne dit rien. Elle n'est rien pour lui et ça la rend folle.
Alors elle se dit que puisque c'est ça elle ira le hanter, un peu, comme ça, par fierté.
Il est Lorrain, en Alsace c'est l'époque des vendanges encore quelques temps et c'est pas loin, elle se dit qu'elle ira là bas. Et puis ensuite partira avec l'argent gagné jusqu'à Berlin. Cette ville semble aussi folle qu'elle, pour ça elle veut la connaître.
Elle pars en stop.
Le voyage se passe. Mais mal!
Dix heures abominables avec un bon trentenaire vulgaire, obsédé par le sexe et très certainement violent.
Elle doit se défendre tout le trajet, trouver des astuces pour échapper à ses mains baladeuses, jouer de diplomatie pour qu'il ne s'arrête pas et ne la viole sur une aire d'autoroute.
Enfin elle arrive.
La ville lui semble si belle. C'est la fin de l'été. L'air est doux, elle respire à nouveau.
Elle connait déjà Strasbourg, pour y avoir passé de très nombreux hivers dans son enfance, avec ses parents.
Elle aime ses rues et ses maisons torves, colorées, magiques. L'architecture y est ancienne, complètement préservée, elle se croit dans une fable merveilleuse des frères Grimm.
Elle raffole de sa bière, de l'odeur des plats traditionnels qui sort des restaurants.
Elle adore ses gens qui sortent en foule, parlent entre eux avec un accent fantastique, qui bravent le froid et roulent en vélo toute l'année.
Les devantures, plus que nombreuses, d'artisans de toute sortes, la fascinent.
Elle se sent tout de suite chez elle.


4
Elle s'installe chez un ami. Elle a des amis du sud, deux, qui vivent à Strasbourg.
Elle a des amis dans des villes aux quatre coins de France, et ailleurs.
Des gens rencontrés au hasard de ses détours.
Des personnes qui souvent, finissent par l'oublier, a moins qu'elle ne se rappelle régulièrement à eux.
Est-ce vraiment des amis? Juste des connaissances?
Mais dans ce cas précis il s'agit de vrais amis, comme ils sont rares.
Rémy est son vieil ami. Pas en âge. Pas en durée. C'est comme ça.
Elle a l'impression qu'elle le connait depuis si longtemps. Et il est comme ça, avec elle, comme son plus vieil ami. Elle l'aime tellement. Avec sagesse, avec une amitié qu'elle ressent si profonde.
Ils se voient très peu, et pourtant ne s'oublient jamais et se retrouvent, comme si ils s'était quitté juste la veille.
Rémy lui présente quelques amis. Il n'a pas pu l'héberger chez lui parce que c'est trop petit et surtout parce qu'il a une amoureuse dans son lit.
De fait elle dors souvent chez Vincent, cet autre ami Strasbourgeois. Il est raisonnable, il est généreux et l'accueille sans hésiter.
Mais elle n'aime pas toujours être dans ses pattes par peur de l'ennuyer, ou de le déranger. Et puis il habite loin, en vélo il faut pédaler longtemps, et parfois quand il est tard elle préfère trouver d'autres endroits pour rester dormir.
Elle va chez les frères quelques fois, mais l'un deux lui tourne autour et en profite. Ce n'est pas que ça la dérange mais parfois elle voudrait juste pouvoir se reposer.
Les jours passent à une vitesse folle, sans qu'elle ne s'en rende compte parce qu'elle les occupe bien. Elle festoie sans cesse. Dort peu, sort beaucoup et rencontre des tas de personnes, de potentiels amis.
Et puis il y a ce soir.
Où elle rencontre cet homme qui l'intrigue tant.
Ce potentiel ami.
Mais il est différent des autres.
Pourquoi?

5
Rémy l'avait invitée à le rejoindre en terrasse du MM, un pub irlandais en gros bois sombre.
La place est en travaux et elle arrive en retard. Les gens présents veulent déjà repartir. On lui fait les présentations. Elle veut rester et espère très fort que le vent tourne en sa faveur. Un autre petit groupe rapplique a l'improviste et se joint a eux, il n'en fallait pas plus pour provoquer une deuxième tournée et décider ses nouvelles connaissances de rester.
Puis arrive un autre ami d'amis de ses amis. Il est étrange, dans son attitude, sa manière de marcher, dans sa façon de parler. Tout de suite cela lui plait. Pourtant elle ne ressent aucune attirance, et puis elle ne le trouve pas spécialement beau. Il est tout sauf le genre d'homme vers qui elle tourne les yeux d'ordinaire. Pourtant il se passe vraiment quelque chose en elle lorsque son regard se pose sur lui.
Très vite il quitte la table. Une bande de filles pimpantes et mignonnes comme tout est arrivé pour lui. Il s'en va, et elle est très déçue.
Mais heureusement il ne pars pas bien loin, juste a une autre table.
Ces filles rigoles avec lui, et semble sous son charme. Que leur dit il? Cela l'intrigue vraiment. Elle se dit qu'il a sans doute quelque chose de plus que les autres garçons présent. Et ça la démange de savoir quoi.
Alors, un peu plus tard, quand les filles s'en vont et que lui décide de rejoindre son groupe elle est ravie.
Elle apprend vite qu'il fait du théâtre et qu'il aime la littérature.
Cultivé, sociable et bon vivant il a des qualités évidentes et pas si communes.
Voilà qui confirme ses impressions: il est quelqu'un d'intéressant.
Elle aime parler avec lui, mais il l'ignore un peu. Un peu vexée, elle choisit elle aussi le détachement.
Pourtant elle épie le moindre de ses mots, et surtout attend patiemment qu'ils s'adressent à elle.
Les mots! C'est bien ceux là qui la fascinent tant et lui, comme il les utilise!
Elle ne le sait pas encore mais entre eux il y aura une histoire de mots.
Pour l'instant elle l'écoute et prend un plaisir simple, sans aucune arrière pensée, à le regarder faire.
Elle ne voit pas en lui un potentiel amant et n'imagine même pas cela envisageable. Va savoir pourquoi. Car pourtant peu de temps après, cela finira par arriver, enfin, en quelque sorte.


6
Ils se revoient.
Ils se croisent souvent par hasard, au cours de soirées et même au coin des rues.
Elle avait prit son téléphone, pour qu'il la conseille dans ses recherches d'un cours de théâtre.
Finalement elle n'a plus assez d‘argent, alors elle ne l'appelle pas.
Il faut qu'elle trouve vite un travail, pour gagner au moins de quoi se nourrir car à Strasbourg elle n'arrive pas, au contraire de certaines autres villes, à récupérer de la nourriture aux poubelles des supermarchés.
Par contre elle qui était arrivée sans rien, a déjà ramassé dans les rues des cartons entier de fringues. Et des belles, des propres et presque neuves.
Elle s'amuse beaucoup dans la ville. Elle a toujours le vélo que Vincent lui à prêté.
Elle peut aller partout avec!! C'est rapide et pour l'instant il ne fait pas trop froid. Plus tard elle devra le laisser parce que ça lui fera trop mal au visage le froid cinglant avec la vitesse du cycle dans le vent.
Pour l'instant elle en profite, et se sent comme invisible. Il lui semble qu'elle à un pouvoir fantastique en elle, qu'elle peut réussir tout ce qu'elle entreprend. Elle développe un charisme dingue qui lui sert de pouvoir de sociabilisation. Cette sensation est grisante et elle en profite. Elle se fait draguer a tout bout de champ et cela flatte son ego. Bien sur elle essaye de ne pas en jouer mais parfois elle cligne des yeux exprès quand elle sent qu'un homme la regarde.
Elle trouve sans difficulté un travail, au noir, comme barmaid au RC juste entre chez Rémy et un ami de l'homme mystérieux de l'autre soir.
Alors elle le voit passer régulièrement au RC, s'assoir au comptoir et commander, LUI commander, une bière ou deux, ou trois.
Elle adore quand il vient et elle  se sent moins seule.
Il lui tient compagnie, il lui parle ou pas. Peu importe. Dans tous les cas quand il est là elle ressent quelque chose comme une joie profonde et un petit pincement au cœur quand il repars. Elle en vient a espérer sa venue, tous les jours, et s'y prépare. Parfois il reste jusqu'à la fermeture. Sa gentillesse et sa patience vienne se rajouter a ses autres qualités et elle est subjugué par sa bonté.
Elle ne sait pas comment lui faire part de sa reconnaissance.
Alors, elle ne dit rien, mais ses regards et ses sourires font tout pour qu'il le sente.
Est-ce qu'elle l'aime?
Elle ne s'est pas posé la question.
Elle ne se la posera sans doute jamais puisqu'elle se refusera toujours de l'aimer.
Leur rencontre arrive a un moment où elle a décidé de ne plus avoir aucune histoire, jamais, avec personne!
Tant pis pour la famille qu'elle aurait aimé construire un jour, surement.
Elle a trop peur d'être blessée. Elle sais bien que tout fini toujours, et l'amour encore plus vite que le reste.
Elle ne veut plus aimer et désaimer.
Elle a ras le bol des mensonges que ces amants lui font ou se font a eux même.
Elle en a assez de croire en vain, d'espérer et ... rien!
C'est vrai qu'elle est bien négative en terme d'amour, mais elle voit bien autour d'elle que les gens finissent toujours par souffrir, par se faire du mal, par se quitter, se blesser, se laisser meurtris et seuls.
On est toujours seuls, abandonnés face à nous même et face aux autres et c'est cela qui lui fait repousser l'éventualité d'une quelconque histoire sérieuse.
Elle sent qu'elle doit s'en faire un ami fidèle plutôt qu'un amant qui lui tournera le dos.
Ils passent du temps en compagnie l'un de l'autre.
De plus en plus de temps.
Il habite loin et maintenant, elle le laisse dormir avec elle quand il est trop tard pour qu'il rentre en tram.
Il est doux.
Elle aime quand il la surveille rêver la nuit.
Avec lui elle se sent en sécurité comme jamais avec personne d'autre.
Il ne faudrait pas gâcher tout ça avec des promesses ridicules et qui ne seront pas tenues.
Et puis, ensemble ils font la fête, les quatre cents coups.
Bien sûr elle adore ça, elle s'éclate et rit sans arrêt.
Elle est souvent ivre morte et se souvient a peine de ses soirées, mais c'est cet état second qui l'anime qui l'a rend forte.
Elle est hors d'elle-même, une autre.
Et cette autre là, ne risque rien. Cette autre là peu tout faire, les conséquences lui paraissent inexistantes.
Elle n'a pas peur. Ni de la mort, ni de l'amour. Puisqu'elle n'habite pas vraiment cette seconde elle.
Mais s'il fallait aimer pour de vrai, elle reviendrait à elle-même, elle serait présente complètement. Aimer ce n'est pas un jeu. Aimer c'est si fort. Elle ne pourrait pas continuer cette course effrénée aux plaisirs futiles.
Et alors comment feraient ils? Ils ne sont ensembles que dans leurs folies respectives. S'ils en sortaient que se passerait il? L'idée lui fait froid dans le dos. Elle ne veut pas prendre le risque.

7
Alors ils continuent ainsi à s'amuser ensemble, a délirer ensemble.
Pour elle cette vie est un jeu.
Ils jouent tous les deux, ils crient, ils courent, ils dansent.
C'est un divertissement sans précédent pour elle.
Elle a complètement lâché prise et c'est bon.
Rien ne la freine, rien ne la culpabilise, depuis si longtemps elle n'avait pas ressenti cette liberté envers elle-même. Elle ne se pose pas de questions.
Elle n'a ni obligation, ni exigence.
Elle sent qu'elle l'entraine, lui, dans son monde à elle.
Et il semble la suivre avec plaisir.
Ils s'aiment.
Mais ne le savent pas.
Et elle surtout ne l'accepte pas.
Elle se croyait à l'abri d'elle-même et plus tard elle comprendra que c'était un leurre.


8
Elle est repartie.
Elle a encore tout quitté pour recommencer une autre vie. Ailleurs.
Elle n'a pas fui.
Elle a comprit ses torts.
Elle espère qu'un jour elle le retrouvera, son ami véritable.
Elle est loin, dans un autre monde qu'elle veut faire durer sans répéter les mêmes erreurs.
Et elle garde désormais ces souvenirs comme un trésor.


C'est une de ses meilleures histoires.

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