Je t'écris, mon Oiseau

eaurelie

Lettre comme on en écrira(it) tous, une fois dans notre vie

Il est de ces lettres qu'on oublie sur le bureau, qu'on glisse sans le vouloir, presque, au fond d'une boite jaune impersonnelle. Une de ces boîtes jaunes qui recueille tellement de trésors et de déclarations. Tellement de vies à l'intérieur de ces matronnes jaunes. Immobiles, bouche close, ouverte le temps de quelques mots. Ces quelques mots qui parfois, sur un format A4, tiennent une vie entière. Papier gondolé, froissé, déchiré, parfumé, délicatement plié. Enveloppe retenue du bout des doigts, souffle retenu du bout des lèvres et en glissant, laisse s'enfuir l'air retenu.

On écrit une lettre, comme on écrit un testament. On laisse une trace écrite de choses vécues, pensées, ressenties. On écrit une lettre des mots non assumés. On écrit une lettre comme on prend une garantie. Celle de pouvoir finir son discours sans être coupé une seule fois. On s'asseoit, et face à son stylo, on déroule un argumentaire.


Parfois, c'est seulement pour que la conversation, la conversion vers l'âme qu'on veut toucher, charmer, culpabiliser, meurtrir ou libérer dure plus longtemps qu'une conversation téléphonique.

Parfois, c'est seulement pour pouvoir finir intelligiblement une conversation que l'on sait douloureuse. D'avance.

Parfois, c'est seulement pour dire Adieu et faire de cette lettre un dernier envol. Une dernière larme, un dernier sourire, comme une dernière caresse.

Et cette feuille qui marque la fin du livre. La fin de l'histoire. Une conclusion, parfois, trop rude. Trop impromptue. Trop. Les conclusions sont toujours délicates. Un exercice de haute voltige. Et parfois, on tombe. On tombe de haut, très bas.

Alors, on écrit. Pour prendre le temps. Prendre le temps de se retrouver en soi. Prendre le temps de communier. De choisir le terme précis. L'idée la plus juste. La formule la plus adéquate.

Et cette lettre, avalée par cette matronne jaune, part rejoindre d'autres yeux. Elle passera par de nombreuses mains avant d'atteindre les Bonnes.

Et cette lettre, oubliée sur le bureau, puis rangée, puis oubliée, restera là jusqu'à la poubelle, comme un aveu. Une jolie déclaration. Une libération de l'âme égoïste.

Et parfois, quand les ponts sont coupés, toute communication détruite, au plus fort du noir et des pleurs, on saisit un stylo et un cahier comme on saisit une dernière bouée. Un dernier bouchée. On éponge la douleur en répandant des mots qui l'absorbent tout en la définissant.


On écrit comme on pleure. Comme on vit le Bonheur.

  • Wouahou !
    Je ne saurais pas comment expliquer vraiment à quel point ce texte m'a touché !
    Franchement, ça se sent qu'il a été écrit avec le coeur et en même temps que toutes les phrases sont posées et réfléchies !
    Et puis le message est tellement vrai ! C'est triste et beau à la fois, un peu comme une pluie d'automne (Métaphore vraiment pourrie, je l'avoue).
    Ce texte à quelque chose de mélancolique et de profond qui touche le coeur. On a tous ressenti ce besoin d'écrire pour la postérité, pour ne pas s'effacer et disparaître sans que personne ne se soit intéressé à nous.
    Vraiment, vous avez très bien su retranscrire ce sentiment, cette peur et cet espoir, merci beaucoup pour cela !

    · Il y a environ 10 ans ·
    Jack et alan mncrumble

    Lucie J Assalit

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