Je vis.
Marcel Alalof
Je vis comme dans un rêve une plage recouverte de fines particules de plâtre,qui s'étendait à l'infini.Ce qu'il restait des résidences de front de mer.
Je vis le cimetière aux ouvrages de pierres grises érodés, parcouru de chemins de boue et feuilles mortes ;tellement ancien qu'on n' y enterrait plus personne.Hors du temps.
Et,en face,un peu plus loin,une ville entière,construite juste avant 1968,déserte de toute population.Une immense trace sur un bandeau d'immeubles.Comme si un engin intersidéral qu'on n'a jamais vu, l'avait heurté avant de reprendre sa course.
Je la vis.Nous marchions côte-à côte elle et moi,sans parler.
Je la vis,au jour le jour.Elle tenait dans sa main les poussières de ruines.La vie est un recommencement ?
Je vis ce qu'on ressent quand une belle histoire se termine par hasard ;sans histoire.Je vis que je n'imagine pas qu'elle ait pu vieillir.Je la vis s'éloigner dans les jardins du Luxembourg avec un autre homme.
Je le vis faire un pas-de-deux avec James Bond,à l'ambassade de Grande-Bretagne,après une mission réussie.Je vis,parce qu'il me l'a dit,qu'il ne buvait que du Champagne à moins de cinq degrés.
Je vis que je possédais six paires de chaussures.Trop pour les faire à mon pied.
Je vis ce bijou précieux sur le sol,devant la bibliothèque,composé d'alliances réunies en un motif unique,que les autres avaient laissé parce qu'ils pensaient que c'était du toc.
Je vis son regard,celui dont j'avais peur quand j'étais enfant ;insignifiant.
Je vis la Rolls en or,qu'il lui offrit pour son premier rôle.
Je vis qu'elle n'était pas blessée outre mesure :une philosophie,ou un caractère.
Je les vis en foule,mais tous différents.