Je voudrais pas crever
white-hunter
Je voudrais pas crever. Vous non plus, j'imagine. J-4, et Morphée m'emportera pour quelques heures si tout va bien. Pour toujours si tout va mal, mais il n'y a pas de raison. Suivront quelques jours où la maladie nosocomiale peut frapper et me ramener à « si tout va mal ». Mais il n'y a pas de raison. Je veux pas mourir. La dernière fois mon fils de deux ans, comprenant l'enjeu tellement non dit, m'avait affirmé clairement « je veux pas que tu moures ». J'avais obéi, après lui avoir mis une torgnole pour chaque faute de français. Ça fait vingt-sept ans.
Si j'étais pauvre, si ma femme était une conne, si ma vie était sans intérêt, si je n'avais pas tant d'émotions et de sensations à vivre encore, alors basta ! Mais mes loisirs sont moins limités que jamais depuis deux mois, ma cave est garnie comme jamais, les plats à partager, les livres à lire absolument sont innombrables. Il me reste des personnes à rencontrer, des loups à combattre. Je voudrais pas mourir encore.
On n'y peut rien. Mon père atteint d'une légionellose avait dit je me battrai, avant qu'on le plonge dans le coma. Comment se battre en dormant ? Il se disait si heureux, si peu de temps avant cette fièvre soudaine. Il ne s'est pas réveillé. Je voudrais pas m'endormir, mais il faut bien. Il faudrait mourir quand on veut, comme a fait ma mère. Elle qui ne supportait pas les vagues même à la télévision a avancé dans la rivière, comme ça. Elle en avait assez de souffrir. Mais pas moi, pas encore.
Repassent en ma mémoire des douleurs fulgurantes qui font exploser l'humanité, et tant de peurs. Un crâne rasé avant une réparation des vertèbres … Une opération au risque vital. Mourir ainsi, non ! Mais je n'étais pas mort. Et deux fois encore, après six mois de vacance, j'étais revenu à la vraie vie, au monde, à la production. Et si cette fois ça se passe mal, nul ne s'apercevra que manque ma vie qui ne produit plus rien. Juste quelques mots ici et là qui touchent parfois quelqu'un.
Je ne veux pas, merde ! Mes vacances de mai sont prévues sur une île, un nouveau territoire lozérien où les loups ont commencé à chasser les paysans m'attend en septembre. Marcher sans bruit dans la forêt, quêtant un sanglier. La vie, la chasse, la quête du bonheur. Je voudrais aller au Québec aussi, en Corse. Et nulle part. J'adore glander, et pour ça, il faut du temps.
WH