J'en perds mes mots

weshaggy

Inspirée de l'un de mes cauchemars, aussi étrange soit-ils, je les aiment.

Bientôt sept heures du matin.

J'entends le bruit de la rue à travers ma fenêtre restée entrouverte pour la nuit. L'été s'annonce caniculaire. J'éteins mon réveil avant qu'il ne sonne. Je déteste être réveillé en furie par un bip bip criard. Je m'étire doucement dans mon lit, me frotte vigoureusement les yeux, et je reste allongé encore quelques minutes.

Enfin debout, je m'octroie un petit déjeuner copieux. Il faut savoir se donner envie de se lever. J'allume la télévision. Les informations sont, comme toujours, plus déprimante les unes que les autres : quand ce n'est pas un attentat ou une fusillade par ci par là, c'est un tremblement de terre, ou une autre catastrophe de type économique ou encore un scandale sexuel ou politique...bref, je zappe. Les dessins animés, c'est bien plus apaisant le matin. L'estomac bien rempli, je fonce vers la salle de bain me préparer. L'heure tourne, les minutes défilent à une allure folle le matin. Mais que le matin. Ou non, pas seulement. Mais toujours quand on a pas trop le temps ou alors qu'on ne veut pas partir parce qu'on se sent bien quelque part.

Surprise. Je suis une fois de plus en retard. Je me dépêche mais comme bien souvent quand on se dépêche, ou plutôt qu'on veut se dépêcher, qu'on croit se dépêcher, et bien on fait tout de travers et au final on met deux fois plus de temps qu'a l'accoutumé. Mon mascara, raté, j'en ai mis la moitié sur ma joue en clignant des yeux ; mon fond de teint, raté ; mes cheveux, raté, enfin ça c'est habituel. Bon allez, peu importe, le boulot, c'est le boulot, pas la peine de se ramener en mode mannequin ! Ça ira très bien pour aujourd'hui et ça fera rire les collègues. Pas de panique. Encore trois minutes devant moi. Parfait, juste le temps de me brosser les dents, et de sortir rejoindre ma saxo garé au parking au bout de la rue.

Je commence à me brosser les dents dans les règles de l'art : gauche, droite, haut et bas, devant, derrière, bien partout dans les coins.

« Avoir une hygiène buccale parfaite est l'une de mes priorités numéro un » me dis-je à haute voix, la bouche remplie de dentifrice, rigolant avec mon propre reflet dans le miroir.

Je brosse même ma langue...et je n'aurais peut-être pas dû.


Je me réveille. J'ai le goût de sang de la bouche. J'ai mal. J'ai ce goût de fer jusque dans l'œsophage. Je suis sonnée. Je me sens faible. J'ai mal au crâne. Je suis étendue par terre. Je me relève avec précaution et m'adosse au mur. J'ai mal. Du sang. Une marre de sang, par terre. Une marre de sang dans mon évier. Je ne comprend pas ce qui vient de se passer. J'ai mal. Je suis en retard au boulot. J'arrive à me concentrer et à localiser ma douleur. J'ai mal dans le fond de ma bouche. J'ai vraiment mal. La vue du sang me dégoûte. J'introduis mes doigts dans ma bouche...ma langue ? Ma langue ? Où est passé ma langue ? Je ne la sens pas ! Je ne la sens plus ! Ni dans ma bouche, ni avec mes doigts! Je me relève en panique, me place face au miroir, j'inspire un bon coup. J'ai des vertiges. Je me suis levée trop précipitamment. J'ouvre la bouche.

Vision d'horreur.

Pas de langue, plus de langue ! J'ai envie de crier. Aucun son ne sort de ma bouche. A la place du sang s'écoule. J'ai envie de vomir. Où est ma langue ?

Que s'est-il passé ? C'est un cauchemar ? C'est impossible ! Ma langue ! Rendez-moi ma langue !

Déboussolée, je perds les pédales. Je n'arrive pas à parler. Je n'arrive plus à parler. Ni à crier. Mon visage est blême, tapissé de pourpre autour des lèvres. Ma langue ? Ma langue ? Ma langue ? Je saigne encore. J'ai l'impression d'avoir perdu dix litres de sang.

Tombée. Partie. Envolée.

Des bribes de souvenirs me viennent. Partie. Coupée.  Non, c'est à peine imaginable.

Et pourtant.

Je me jette sur mon évier, passe mes doigts dans le trou d'évacuation. Ma langue...ma langue...reviens-moi. Rien. J'ai perdu ma langue pour toujours ! La vue du sang m'étourdis. Je me sens mal. J'ai mal. Non ma langue est là ! Ma langue est proche ! Elle a du glisser dans le siphon !

J'ouvre mon meuble sous l'évier. D'un coup, je balaye tout au dehors, sans attention particulière aux divers flacons qui s'y trouve. Je plonge sous le meuble. Ma tête me relance. Il ne faut pas que je reperde connaissance maintenant. Je marque un temps d'arrêt avant de m'atteler au travail. J'ai toujours mal. J'ai plus mal de ne pas sentir ma langue, que de sentir cette déchirure dans le fond de ma bouche.

Elle est la, j'en suis sûre. Je vais la récupérer et la remettre en place. Ma langue. Ma langue bien-aimée. Pourquoi m'as-tu quitté ? Si brusquement ? Sans prévenir ?

Ma langue. Ma délicate langue. Celle avec qui je partage tous mes repas, bon et mauvais. Celle avec qui j'ai connu tous les excès !

J'ai du mal à dévisser le siphon. Il résiste. Il me résiste. Mais il tient en otage ma langue. Je n'abandonnerais pas ! Pas si facilement ! C'est MA langue A MOI. C'est MON organe.

Enfin ! J'y parviens ! L'excitation monte...je vais retrouver ma langue ! Je n'ai pas prévu de sceau pour récupérer toute l'eau et les saletés contenus dans le siphon (et MA langue !!). Tout son contenu se déverse sur moi et inonde mon meuble, mais peu m'importe. Ma langue ! Ma langue !

Mais où est-elle ?


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