JESSIE . Chapitre 47

Jp Scriblerus

Résumé des chapitres précédents : Charles Villepou le père coupable vient de confesser une faute lourde au Père Patrice le confesseur de la famille.

Chapitre 47

Charles Villepou est au fond du trou.

    Charles villepou après les frasques du vendredi 13 Juin, après sa confession ratée de ce lundi 12 septembre auprès du Père Patrice, qui résonnait en lui comme un acte manqué s'enferma le lendemain après le dîner en proie à de violents remords et se mit à écrire d'un jet, sur les pages quadrillés de son journal.

    " ….. Quand on n'a pas de vraie vie on la remplace par des mirages, c'est à dire, et en l'occurrence me concernant, par des fantasmes que l'on cultive. Et l'on rêve. Lorsque l'on est bien dans sa peau l'on rêve d'un séjour au club méd ou d'une randonnée sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle.

   Quand on est plus ou moins bien dans sa tête, on rêve d'une vie sexuelle débridée, celle qui ne s'est jamais accomplie parce que l'on n'a jamais osé en parler avec le partenaire ou conjoint, ou parce que celui-ci était très rigide sur la chose.

   ... L'on rêve de faire le tour du monde, de bâtir une maison, de peindre son chez soi, le rêve d'avoir femme, enfants et petits-enfants, l'espoir qu'ils fussent intelligents, en bonne santé, qu'ils réussissent et trouvent un emploi et soient bien en ménage, quoi ! oui les balivernes que l'on ressasse à longueur d'existences et de journées.

    Quand l'on travaille l'on commence le lundi en aspirant au samedi prochain, aux vacances prochaines, à la retraite selon l'âge que l'on porte.

   Manque de bol l'on n'avait pas prévu que la retraite arriverait si vite, si, si, pas encore, je n'y suis pas encore, encore quelques années et puis la réforme des retraites, mais j'en fais déjà tant et tant... je n'y suis pas encore, mais ça vient, ça vient, ça vient. "                                                    

     Arlette passa le nez, depuis son entretien avec le père Patrice, Charles s'était refusé à tout échange avec elle.

   -   Monsieur ne vient pas regarder la télé....

   Monsieur rugit, Arlette claqua la porte. " Quelle vie ! " fit Arlette. " Charles Villepou reprit ;

   " ... Parfois nos sens trop oisifs et en proie à l'ennui deviennent trop imaginatifs et exacerbent des pensers qui ne demandaient qu'à rester enterrer à jamais.

      C'est alors que ces fantasmes nous envahissent et finissent par nous posséder au point que lorsque l'objet de ces fantasmes se présente inopinément et réellement à nos yeux, nous n'osons y croire, et nous ne savons alors comment l'approcher. Et il nous semble contre le bon sens, sur le fondement d'une cohorte de spécieux alibis, qu'il est séant et normal même d'y succomber, sapant d'un coup les fondements mal assurés de toutes les barrières immunitaires, cette ribambelle de principes faite de pudeur, de morale, de religion, de respect que jusqu'alors nous nous étions échinés à consolider.

    Alors de deux choses l'une et il ne s'agit hélas pour l'autre ni de la lune ni du soleil, ou l'on franchit le pas des transgressions ou l'on ne le franchit pas....."

     Charles Villepou leva la plume, il en avait déjà sa claque d'écrire et repartit ;

   " ... L'on ne franchit pas le pas des transgressions, et nous rentrons la tête dans les épaules, nous jetons un regard inquiet autour de nous. Nous rentrons la tête dans les épaules parce que l'on n'a pas la maturité, l'expérience, la raison, la pratique, l'audace et l'on renonce ou à l'inverse parce que l'on a la maturité, la raison, la pratique, l'expérience et parce que la femme, les enfants, les petits-enfants, la dignité, l'âge vous retiennent alors que le désir vous brûle, l'on renonce encore.

     Ou alors l'on franchit le pas, alors l'on bascule, parce que l'improbable se présente, le possible vous tend les bras, le rêve est susceptible de se métamorphoser en réalité, et l'on finit timidement d'abord, maladroitement ensuite, malhabilement puis de manière déterminée à se jeter avec délectation dans la gueule du diable, mais sans art en quelque sorte, jusqu'à ce que le fantasme soit porté à son paroxysme.

    Puis l'on s'en extirpe avec un sentiment de déception rageuse, d'amertume, de contrition, de repentance, de pénitence, voire de dégoût de soi-même. Ainsi donc cette pulsion n'était t-elle toujours au-delà de son apothéose, que la retombée d'un soufflé qui laisse triste, amer, désabusé, convalescent.

    Nous ne sommes-nous plus que l'algue arrachée à son rocher, trimballée par les flux, déposée par le reflux, abandonnée sur la laisse de mer.

      Il y a après cet instant paroxystique qui nous soulève, oui, cet effondrement brutal et cette lucidité du " Tout ça pour ça ! ". Alors vous réouvrez l'oeil, puis les deux, et puis vous devez mettre un pied sur le plancher, puis les deux, sur le plancher du quotidien qui exige que vous vous leviez, habilliez, travailliez, mangiez, souriez, tout ça pour ça !

     Quoi ça ? cette chute ? mais cette chute n'a t-elle pas été une étincelle de paradis, un instant de grâce, d'extase, un moment merveilleux, sublime, à revivre, une pépite de bonheur, la vraie vie ? à revivre, vous en rêvez encore … "

     Charles Villepou se sentait inspiré et ne se contenait plus.

   ".. Et si la retraite draînait des fantasmes !

   L'on a donc eu une vie professionnelle à ce point malheureuse que l'on souhaite la quitter ? alors quand l'échéance approche l'on suce le sucre d'orge de la retraite anticipée en imaginant, liberté, voyages, petits-enfants, amis, parties de cartes, randonnées, badinages et séjours à très bon marché et grand soleil au Maroc où l'on retrouvera des cohortes de vieux beaux et de vieilles cocottes françaises basanées et fripées.

    Quand on voit ces colonnes de vieux à la télé qui s'entassent dans leurs boîtes d'aluminium sur roues ou dans leur cases marocaines se huilant et se faisant brûler leur vieille peau...

     Mais quand l'on travaille, l'on existe, l'on existe par rapport aux hiérarchies, aux collègues, l'on a un travail, un rapport à élaborer, une réunion à préparer, une réunion à animer, une prestation, un dossier à clôre, un déplacement, un stage, une formation à mener à bien. Un rivet à river, une dictée à dicter.

   Et puis ce sont des lieux différents, des rencontres, des échanges, dans lesquels nous nous mouvons comme des sujets, acteurs à part entière, entendus, écoutés, contestés, contredits, mais peu importe, nous sommes au regard de l'autre, des autres, nous sommes à la fois et tour à tour, sujets, objets, responsables, acteurs, sous-traitants, pions, manageurs, co-gestionnaires, factotums.

   Nous avons un sens, notre journée a un sens, nous avons une identité reconnue, attendue, souhaitée, même si elle peut être mise en cause, principe de toute vie démocratique et communautaire, et même si elle est trivialement conviviale quand accroché aux poignées du camion-benne, éboueur je vide les poubelles.

      Une journée est jalonnée d'objectifs, de résultats, de perspectives, de pauses et bavardages auprès de la machine à café, émaillée aussi de mille aspérités sans doute mais aussi de mille bonheurs, mille vies, mille espérances, tandis que lorsque du jour au lendemain tout ceci n'est plus et que vous vous retrouvez sans utilité pour personne avec comme seule certitude étrange que celle de pouvoir rester au lit vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans que l'on songe à vous en extraire parce que plus personne ne songe à vous, parce que plus personne n'a besoin de vous, ça change.

   Du moins j'imagine qu'il peut en être ainsi..."

        Charles lâcha la plume, quelle tension cette écriture, il alla se servir un verre d'orangeade, Arlette regardait " Maisons à vendre ". Du pain et des jeux...

     " .... Certes comme alternatives vous avez la possibilité de rester assis toute la journée sur une chaise, ou de vaquer à cent activités subalternes sous le timbre du bénévolat, un beau concept pour une belle arnaque, mais enfin il y en a qui aiment et se croient investis d'une mission d'intérêt public non rémunérée, obligés même moralement d'y souscrire.

     Tel ce pompier qui m'a dit un jour ah vous verrez monsieur Villepou quand vous serez en retraite, c'est fou ce qu'on peut faire et pour son plaisir.

     Mais un ancien collègue Claude Le Pensec m'a dit aussi : Je fais du bénévolat parce que je me suis cru obligé de compenser la nostalgie, voire inconsciemment les ratages ou rattrapages de ma vie professionnelle à laquelle il m'a semblé étrangement ne pas encore avoir assez satisfait, alors que, tu me connais Villepou, je m'y suis investi jusqu'à l'épuisement psychique, et alors que j'ai toujours estimé sans doute avoir le devoir de donner encore bénévolement professionnellement, c'est à dire bien au-delà des heures statutaires et sans rétribution...

      Comme si aussi par cet engagement bénévole, altruiste j'avais à compenser ma culpabilisation de m'être mis en retraite trop tôt alors que je disposais encore d'un potentiel fort, pertinent, percutant et monnayable et qu'inactif désormais, je me le gâche en m'abstrayant de la vie active, comme si encore je me sentais dans l'obligation de m'excuser de cet état de fait en me soumettant à une pénitence d'intérêt général pour le bien d'autrui qui n'en a strictement rien à faire pour la seule raison que je n'existe pas ou plus pour lui.

       Cet autrui qui estimera que vous pouvez bien le faire puisque vous n'avez que ça à faire. Et dans cet engagement j'ai découvert que je n'étais plus qu'une marionnette, le duplicata abîmé de ce que j'avais été.

      Je ne suis plus qu'un être " réduit " selon la méthode des tribus d'antan réducteurs de tête. L'on vous ignore, mais l'on vous exploite, l'on vous méprise.

   Dans ce milieu associatif l'on n'a jamais pris soin de savoir ce que vous avez fait, qui vous avez été, on ne le saura jamais, et qui s'intéresserait à vous, à quelle fin ? En fait vous allez mourir, et alors ce sera comme si vous n'aviez jamais été sur cette terre.     "

     Charles Villepou ricana, haussa les épaule, voilà que j'écris les éructations de Claude Le Pensec ! et il souffla de nouveau. Mais Il avait encore en tête cette longue narration que lui avait faite d'une traite aussi Claude Le Pensec, son collègue, ça avait duré plus d'une heure et coûté trois cafés ce jour-là, il ne s'arrêtait plus ... d'ailleurs il continuait Le Pensec ... … Villepou dans ma penderie, dans mon dressing des dizaines de robes de jupes, pantalons, costumes, petits-gilets .

   -  Enfin tu comprends ce que je veux te signifier Villepou .

  -  Bien sûr Claude ..

  -  Sur mes étagères des piles de sous vêtements, slips, strings, soutiens-gorges, dentelles.

       Je ne comprenais pas trop et Le Pensec poursuivait :

   -   Sur le porte-cravates quelques centaines que je ne nouerai jamais plus, parce que l'occasion ne m'en sera jamais plus offerte, et parce que si l'occasion m'en était offerte, je déclinerai l'invitation parce que je ne veux plus paraître, parce que j'estime qu'à mon âge .....

    -  Ne ris pas Villepou, ça approche pour toi aussi.

     Le salaud !

   ... parce que j'estime qu'à mon âge on ne doit plus paraître, l'on doit s'interdire de paraître, sinon l'on vous exhibe et l'on vous dira : " Vraiment ! mais vous ne faites vraiment pas votre âge ! " ."

     J'en avais mal à la tête de l'écouter. Il n'arrêtait plus. 

      ..... Et dire que pour la plupart alors que c'était l'âge, l'époque, le moment, la phase, l'instant, que le désir était dans ses élans et fraîcheurs premières, sa plénitude, vous vous êtes empêché de vous y adonner par crainte, de l'user trop vite, d'en abuser prématurément, trop beaux la chemise, la cravate, le costume, la chaussette, le costume pour prendre le risque de les perdre, de les défraîchir, il y aurait d'autres circonstances, alors attendre encore, mettre de côté .

      Mais aujourd'hui vous êtes sur la touche, dans la remise, et il n'y aura plus d'autres circonstances et s'il y en a, vous les zapperez.

    Ainsi d'attentes de circonstances ou de moments propices en attentes de circonstances ou de moments propices, nous voici comme des cons ou des connes avec de nouveaux cheveux, blancs, figés au terme d'une vie de labeur, parqués, stockés dans la perspective de la solution finale avec nos greniers, nos armoires, nos placards, nos étagères encombrées, comme nos caves de volumes, de piles de choses de toutes catégories et notamment ces piles de linges divers repassés, pliés, rangés, parfumés qu'un jour viendront chercher les Petits frères des Pauvres ou les Chiffonniers d'Emmaüs qui les balanceront sans états d'âme dans leur fourgonnette, avant de les rebalancer dans leur hangar.

   On en fera cadeau à des tribus de Roms."

     Ce n'était plus à moi que Claude Le Pensec s'adressait, il parlait dans le vague les yeux perdus sur je ne sais quelle ligne d'horizon, il employait le vous, oui sans doute la retraite est-elle un naufrage, mais il continuait toujours ...

     " .... En déambulant dans la ville vous n'avez plus le goût à musarder, à rêver, vous ne vous attardez plus devant les vitrines pour repérer la cravate, le costume, la chaussure que vous achèterez. Parce que la retraite c'est ça, votre horizon est devenu limité, fini, et vous n'aurez pas même encore mis certaines des cravates, costumes et chaussures qui dorment depuis des années dans votre penderie."

     J'en ai encore mal à la tête de sa tirade que j'ai cru entendre pour la seconde fois ..

   Bon je vais me coucher, Arlette va regarder " Confessions intimes " et va me rejoindre à une heure du matin. "

      Voici ce qu'écrit ce mardi soir Charles Villepou sur son cahier d'écolier à grands carreaux.

     Il voudrait revoir Jessie. Jessie dort, mal, très mal ces nuits dernières et ne s'assoupit véritablement qu'aux aurores. Les nuits de Villepou ne sont pas meilleures. Et ce con de prêtre, il n'aurait pas dû, il lui a tout raconté, et Dieu ne lui a pas fait signe, et il est vrai que l'on peut considérer que Dieu a mis hier soir Charles Villepou à la porte...

                                                      µµµ ...

A Suivre

   Jessie Cassegrain vient frapper à la porte des Villepou

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  • je vais encore jouer les emmerd ... mais après le chapitre 46 ne devrait-il pas y avoir le 47 ??? Et nous retournons dans le 44 ... Ah la canicule ... ;-)

    · Il y a presque 10 ans ·
    Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

    akhesa

    • Mais ainsi vous avez la preuve, s'il en fallait une, que je lis tous vos chapitres ;-)

      · Il y a presque 10 ans ·
      Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

      akhesa

    • merci pour l'alibi que vous me suggérez, j'avais perçu une anomalie de cette nature que j'avais signalé à l'auteur ... Ne souhaitant pas attenter à sa susceptibilité que je lui connais je vais saisir le moment le plus adéquat pour réévoquer ce point avec lui ... Par ailleurs me fallait-il une preuve, au moins j'ai la faiblesse de croire quecela me vaut une once d'amitié de votre part, merci

      · Il y a presque 10 ans ·
      9a8a941586d6b0263b334597b2927443

      Jp Scriblerus

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