Jeu latent

absolu

Je l’attends, je l’entends… je sais qu’il va venir, je sens qu’il veut revenir. Non pas d’entre les morts, mais dans d’autres mœurs ; non pas d’outre-tombe, mais pour sombrer dans l’ombre d’une vie parfaitement organisée. Même galvanisé par des hormones extraverties, un ex perverti ne vaut pas un homme. L’expertise révèle l’interdit et laisse perplexe les deux parties.

Le crime est latent, dans chaque minute, il attend l’instant sublimé, minuit ne lui est plus réservé, ça peut être en début de soirée, en milieu de journée, en fin de matinée. Même si la peau n’est pas des plus satinées, l’obstiné est toujours prêt à embarquer pour une nouvelle odyssée ; il y a de cette race d’homme errant vers d’autres sphères, l’Iliade, cette trace  d’Homère en vers, en dit assez à ce sujet. Mais il s’agit d’autres contrées, dévalées sans s’évader pour autant d’une conduite immorale. L’hymne aux râles à peine évanoui dans le chant conjugal qu’il rêve à nouveau d’être entonné. Il crève d’y retourner, et sa veste à l’entrée en fait autant. La vestale entraînant l’hôte dans un vertige si haut laisse comme vestige un arrière-goût d’interdit renouvelé.

S’élever au dessus des mers, s’éveiller dans un autre Eden, fuir un certain temps l’ascète, revisiter les sept merveilles du monde, s’allonger un instant près du mausolée d’Halicarnasse. Retrouver l’hédoniste égaré dans les jardins suspendus de Babylone, s’adonner sans gêne à l’esthétique du plaisir. Adonis en perd ses moyens. Braver l’éthique, corps dépravés dénoncés sur la place publique, le lubrique fait vendre là où il n’a (soi-disant) pas sa place. Jusqu’au jour où la montagne de glace fond en sueur, et immerge à jamais l’image du couple parfait. Les faire-part sont renvoyés à l’expéditeur, le mâle est versatile, l’effet du mal dévastateur.

Quelle velléité s’empare de ces êtres à sang chaud à réitérer un office si heureux d’être rare au risque d’irriter l’officielle à jamais ? Quelle idée sépare l’un, fidèle aux vertus mises en rayon par le pape, de l’autre, qui fit d’elle un papillon aux ailes clouées, chrysalide immortalisée par les yeux d’un Christ en haillons, livide de tant de péchés ?

Le couloir reçoit l’empreinte de ses pas indiscrets. L’immobile s’offre, instant figé, sensuelle effigie, à ses lèvres elle suspend un sourire, dans ses yeux sous-entend le corps déjà nu. La pièce s’emplit des murmures d’un mystère bientôt dévoilé, les voix sont dispensées de tout commentaire, les vêtements dispersés par terre. Dans un courant d’air la porte s’ouvre, on quitte la terre…

Au disciple de la vérité, l’indicible se fait souvent plus discret que l’invisible. Plus l’écho perdure, moins on s’entend. Alors on s’éprend du froissement d’un drap, du frôlement d’un bas, le doigt sur la bouche entr’ouverte reçoit le plaisir exhalé (plus loin il exhorte le corps à se délivrer de ses apparats et fait preuve alors d’une incroyable vélocité).

Une ex très magnanime, d’une extrême maniabilité, habile sang-sue elle ne laisse aucune trace visible, s’évapore au moindre regard hostile. Se pare du futile pour atteindre le dernier ciel, se fait moins subtile en attendant l’essentiel, laissant un morceau d’âme glisser irrémédiablement vers l’amer d’un diable en pleine crise existentielle.

Le ciel tend à expatrier l’impie de ses lieux aussi limpide son cœur soit-il ; les plus fougueux font mauvaise figure, les gueux les plus fous augurent d’une misère sans nom. Elle ne demande qu’à croire une chimère, peu importe qu’elle soit passagère, elle suggère son passé plutôt que de vivre un présent indigeste. Tout dans ses gènes indiquent l’idéal perdu d’avance, elle envie presque les indigents qui n’ont que leur humanité à donner.

Il hume encore une fois l’odeur du péché, s’en imprègne jusqu’à sa prochaine escapade à cet autel qu’il croit dédié à ses prières. Il ne voit pas les corps évanescents, issus d’un vieil amour glissant, l’indécent voit un lit de roses quand il n’y a plus que leurs cendres. C’est maintenant l’heure de redescendre..

Ce rituel tue ce qui reste d’elle, ce qui lui reste de zèle, pour déployer des ailes déjà bien abîmées.

La porte se referme sur un dernier soupir, le silence enferme à nouveau l’atmosphère.

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