Johnnie and Jacks, en perte de mémoire fraiche

anakronique

l'histoire de Raoul, un vieux rockeur dans une maison de retraite

« E Pericoloso Sporgersi… » comme dirais mon pote Gino !!!

" Tu vois bonhomme, le Jacks daniels c'est un truc qui se boit en solitaire, entre toi et moi, pour partager avec les autres le Johnnie Walker, ça suffit amplement, oui ça suffit amplement !!! ".

Le type aux cheveux bananés gris, et assis au bord d'une falaise dont il a perdu le nom à force de réfléchir, une boots dans le vide, l'autre à peine accroché à un rocher branlant, en dessous de lui l'océan mousseux va et vient en grignotant le calcaire au rythme des millénaires, a son blouson en cuir noir et son jean tout délavé on peut deviner que le gars a fait les belles heures des sixties. Que fait-il là, seul à hurler avec son imaginaire, à parler au vent contraire, alors que cette maudite maladie lui ronge l'esprit de jour en jour, à tel point que souvent il lui arrive d'oublier qui il est vraiment, de se perdre à fouiller dans les méandres de son cerveau brulé par le diable, sautera, sautera pas, parfois la tentation le gagne et nulle envie de résister, alors, sautera, sautera pas !!!

" Nom de dieu de bordel à cul… bonhomme, passe-moi mes ray ban, il est temps que je te parle d'elle". Elle... elle s'appelait mademoiselle Mathilde, oh… Ce n'était pas un premier prix de concours, elle avait l'arrière train aussi large que la porte de France, mais son visage ressemblait à celui d'un ange peint par Modigliani, ses cheveux étaient rouges comme le drapeau des camarades du parti et sa peau sentait le lait frais d'une prim'holstein de prairie, alors tu penses bien bonhomme que j'ai flairé l'aubaine en lui fredonnant à l'oreille : Satisfaction façon Jagger au bord de l'overdose !!!

Tu vois, comme aujourd'hui au milieu du vide, la première fois que la gamine est montée vers ma mansarde, on s'est assis tous les deux par la petite fenêtre, les santiags vers le vague pour montrer la bravoure, le regard droit vers le sacré cœur pour montrer la sagesse présumée !!! Bavarde la gosse, bavarde, le contraire d'un haïku japonais, le genre de fille que tu regardes comme une madone un soir de lune sans qu'un mot ne sorte de tes lèvres, je lui ai demandé si elle habitait chez ses parents, elle m'a répondu que j'étais légé en conversation, qu'elle étudiait Roland Barthes et que le structuralisme serait surement l'avenir de l'homme dans son discours amoureux. Bin… tu vois bonhomme, ça tombait bien, parce qu'avec mon perfecto, en matière de discours amoureux, j'étais plutôt champion du monde, mais ce soir-là, j'en pris plein le beignet, knockout comme un enfant devant le grand St Nicolas en personne avant la Noël, je suis resté tout le temps à l'écouter me parler de son art, sans jamais penser à lui glisser un doigt gourmet vers son téton rose, une main fureteuse sous sa jupe blanche, une langue électrique sur sa nuque fraiche,  non…non…non bonhomme, une nuit magique, un nuit entière captivé par ses mots, par le son de sa voix, par la féerie de l'instant sans jamais rien balancer de salace en direction de la dame, en partant elle m'a lancé un livre de son gars Roland, « tu le liras dit !!!», j'ai bien essayé. Longtemps il a trainé dans la poussière de ma maigre bibliothèque et puis un jour a disparu comme tout disparait !!!

" Le Jacks daniels c'est un truc qui se boit en solitaire, entre toi et moi, pour partager avec les autres le Johnnie Walker, ça suffit amplement " !!!

 Merde bonhomme… parfois j'oublie son nom, mais son visage me revient encore quand ce satané Alzheimer me laisse un brin de répit, elle, elle s'appelait mademoiselle Mathilde, remarque elle s'appelle peut-être toujours, "Tiens… tu entends la camionnette blanche, ils ont dû me retrouver, fini les rêves au bord de l'eau, ça va encore être manu militari, retour à la réalité de l'hospice Ritchie Valens, alors… sautera, sautera pas !!!"

AH les cons... tu vois bonhomme, ils sont persuadés que le vieux Raoul a perdu la boule au fil des jours, mais en moi tout reste intacte, rien n'a bougé, c'est comme à vingt ans au fond de mon cœur, bien sûr que je me rends compte que de temps en temps l'on peut noter un certain dérapage, comme la fois dernière, ou je me suis pointé dans la partie restaurant pour la graille du soir en pyjama à rayures intégrales, remarque bonhomme j'avais quand même enfilé mes santiags pour traverser la salle façon Aldo Maccione finissant .

Vas donc expliquer ton geste après ça, tu as intérêt à avoir un alibi béton, parce qu'en dehors de la psy il y a les autres, les normaux, ceux pour qui la retraite coule pénard, a demeure dans l'établissement sans réel problème de santé, et eux, eux leurs jugements ce n'est pas toujours baba cool, ça serait même valse avec la musette dans la gueule, alors, tu frôles les murs en attendant le pire, et tu prends bien tes médocs comme te la prescrit ton toubib bienveillant. Le pire, c'est l'affrontement, l'affrontement vieux à vieux, baston général au pied des ascenseurs, sans pitié sans merci comme au bon vieux siècle des baloches et des taloches du samedi soir, la canne en avant et ça mouline à tous va, œil poché, bleus a volonté sur tout le corps, voir fractures multiples à grand coup de déambulateur, une méthode radicale pour finir entre les mains de la grosse Gerda, l'infirmière référente, encore vierge à quarante ans malgré les avances en devises trébuchantes de plusieurs papys argentés, seul la blondeur de ses cheveux, entretenus par un serre tête green panzer, représente pour nous crevards de base un intérêt visuel de la bête de scène. En total désaccord avec la médecine douce par tradition, la grosse Gerda c'est plutôt sumo a volonté, et je te soulève du tatami d'une main pour t'envoyer valdinguer sur la table d'auscultation, et je te retourne avec l'autre en trois quart mouvement du bassin, les os craquent, vibrent à la limite du supportable, l'enfer avant l'heure quoi, oh… oh… on est des petits vieux quand même, on n'est pas de la pâte à pizzas à bas prix, bordel… La grosse Gerda tout un univers de mystères ininterrompus, de fantasmes murmurés entre deux ponctions , l'on raconte même dans les soirées bouche à oreilles que dans une autre vie, il se pourrait que la matrone ai été dealeuse de risperdal de contrebande en continu, c'est pour dire que personne ne se bouscule au portillon dans son établissement du premier  qui sent le chloroforme à plein nez et la merde des types qui se chient dessus au seul regard de la matrone, non personne, surtout pas moi, non, surtout pas moi !!!

Alors je frôle les murs en serrant les fesses, mais parfois j'efface, j'efface qui je suis, et dans ces cas-là, la machine se remet à zéro, je redeviens un jeune homme pleins d'envies de vivre, sans vraiment comprendre ce que je fais à cet endroit de misère,alors, sautera, sautera pas !!!

Merde bonhomme… passe-moi mes lunettes, que je regarde encore une fois dans mon passé, pour te dire l'histoire, pour te lire notre histoire, l'histoire d'un homme devenu fou d'avoir mal aimé ».

La môme Mathilde malgré ses airs de jeune bourgeoise coincée, elle aimait bien tard le soir que je l'emmène chez les forains de place Marx, et moi aussi ça me plaisait bien, histoire de lui montrer sa valeur au tir à la carabine 22 long rifle, histoire de l'embrasser goulument sur la bouche dans le tunnel de l'amour, histoire de faire un tour sur les autos-box pour tamponner les petits friqués en manque de sensations fortes, la gamine adorait se frotter peau contre peau aux mauvais garçons à l'opinel facile, je n'ai jamais compris cette propension chez elle a aimé les types dans mon genre, une sorte d'attirance pour les voyous beaux parleurs, ceux pour qui la vie n'était que successions de bravades de bistro sans réel gamberge pour l'avenir d'un lendemain qui  chante, tu imagines bonhomme j'aurais jamais pensé être là, un pied dans le vide cinquante-cinq ans plus tard, tellement la faucheuse me hantait à l'époque !!!

Bin oui bonhomme, la jeunette papillonnait d'un a l'autre en se dandinant au son du king Elvis et de ses frères de rock, l'air heureuse d'être de toutes les attentions, parfois une main furtive lui palpait les fesses ou le bout des nichons, elle, elle avait l'air d'aimer ça qu'on lui donne de l'importance, un brin d'attention pour ses formes généreuses, et toujours son accent fluet comme une rengaine de publicité, «Le toucher est le plus démystificateur de tous les sens»,  elle, elle et tout le temps son gars Roland en voix off, au milieu des bateleurs de foire à essayer de refaire un monde à la Mao dont tout le continent des blousons noirs s'en branlaient le manche, mais moi ça me plaisait de l'entendre bavarder avec ce con de subjectivité  assumée, d'aperçus idéologiques sur la situation politique, de mots dont la signification échappait totalement à ma compréhension de jeune crétin à la banane saillante . Oui, ça me plaisait de trimbaler ce tendron derrière mon cuir devant les potes parfois goguenards, parce que la rouquine, à un moment j'en suis tombé raide dingue de son popotin monstrueux et de son baratin de tigresse d'amphi, elle me parlait d'amour par excès, mais l'excès c'est si bon, alors pourquoi s'en priver en amour !!!

" AH les cons... tu vois bonhomme, ils sont persuadés que le vieux Raoul vas finir dans ce bouge a récurer son cerveau pour en tirer le maximum de substance, «  Tous ces gens réunis au même endroit à attendre l'extinction des feux, le dernier souffle tout en étant nourri, logé ,tu fermes ta gueule, ça me fait penser à ces rassemblements de beatniks au fin fond l'Ardèche vers les années soixante-dix, sauf que là, pas question de démocratie, tu t'adaptes où tu dégages, y a pas de vote du tout, ou alors à mains levées pour ceux qui peuvent encore réfléchir à un avenir meilleur, par ce que dans le gourbi, le grand patron, celui qui a tous les droits sur toi et tes potes, c'est le directeur de l'établissement (première porte à gauche prêt de la chapelle), l'être suprême après dieux, il détient les pouvoirs infinis  sur l'ensemble de la petite communauté de l'hospice Ritchie Valens, que ce soit les travailleurs ou les résidents, tous lui vouent un culte sans faille, une simple parole de sa bouche mielleuse, et tu te retrouves dans les culs de bases fosse, à moins d'avoir une famille aux barreaux du tribunal tu finis blackbouler pour le restant de l'éternité en surveillance  au pied de l'infirmerie ,  et la fini les parties de pokers clandestin avec les copains  pendant toute la nuit, oui oui, bien fini l'amusement nocturne en cachette secrète dans la moiteur du couchant !!!

Le poker… c'est notre truc avec Ali express, Vladimir palace et Gino limoncello, à peine le repas du soir fini, on file direction la chambre 27, là ou crèche Janis ma régulière dans la place, on se calle la radio sur WRTL, on sort le Johnnie Walker et c'est parti pour une soirée pleine de rebondissements au son des sixties, le rebondissement c'est parce qu'avec cette satanée maladie, il nous arrive souvent d'oublier la valeur des cartes, de ne plus savoir qui est quoi au fil de la nuit,  de se mélanger les pinceaux, alors on s'est inventé une règle à nous :« la no-limit-édition», tu as tous les droits, tu fais comme tu veux, mais ça fait gueuler tout le monde, et ça fini toujours en pugilat à se brailler dessus comme des menteurs professionnels, à se traiter de sale race de vieux cons et autres insultes à la mode de l'hospice, le tout matinée de rinçades de whisky brulant entre deux doses de Reminyl. 

Yaou…. Yaou, ça sent le cowboy en permission de vivre dans la piaule, même Janis qui vient en spectatrice si met aussi, à hurler sous la lune, manquerait plus que l'on se balance une mandale et le tour est joué, yaou….yaou, ça sent le cowboy enfin libre de conduire son attelage au fin fond du grand ouest, yaou….yaou, ça sent le cowboy comme dans les films a Léone ou le bon est aussi brut que le truand qui  gagne tout le temps, yaou….yaou.  Et bien sûr, l'inévitable arrive, comme à chaque fois, le tintamarre au milieu des matelas attire la grosse Gerda, qui se pointe avec sa troupe de gros bras à la matraque facile, et qui c'est qui prend sur la tête, c'est bibi, camisole de lit obligatoire jusqu'au petit matin,  piqure de saindoux en intraveineuse histoire de te calmer la fièvre, bande de fumiers, mais on les emmerde, parce que pendant un soir on a été des hommes affranchis de liberté au milieu de cadavres en sursis qui n'attendent que la mort, oui on s'est évadé le temps d'une partie de bonheur !!!

" Tu vois bonhomme, le Jacks daniels c'est un truc qui se boit en solitaire, entre toi et moi, pour partager avec les autres le Johnnie Walker, ça suffit amplement, oui ça suffit amplement !!! "

Un verre de jack et puis une craven A ... c'est ce qu'il me manque le plus en défaut de tout, une craven A sans filtre, tu n'aurais pas une craven A sans filtre bonhomme, on se la fait à deux, « à la manière d'un américain célèbre dans les films de Cinecittà, en mâchouillant entre les dents la fine bande de liège pour en tirer la quintessence de goudron en prescription sur le paquet, et puis Sans se prendre pour un contorsionniste la tête relevée en arrière, essayer de tirer des volutes un rond parfait s'envolant vers le soleil brulant d'un après-midi de juillet, ne plus avoir envie de bouger, regarder et se sentir bien dans la chaleur torride de la petite cour de derrière, juste une craven A sans filtre à l'heure chaude du gouter, allonger dans un transat en bambou fendu, une bière blanche bien fraiche posée sur le gras du bide, en s'écoutant à l'ombre des casses couilles, un blues si envoutant qu'un diable nonchalant semble transpirer autant que le disque sur le Tépaze. Quoi de mieux que la protection d'un grand parasol de la brasserie Champigneulles pour laisser couler la mélancolie au creux des côtes, s'imaginer loin des hommes esclaves, si loin que l'idée de ne plus revenir affleure en permanence, rêvasser à tout et à rien en regardant la fumée monter vers le ciel puis disparaitre à hauteur des arbres de la rue, fantasmer à un avenir serein, se croire grand écrivain,  genre Malraux la cigarette alerte à la main échafaudant des illusions primaires des croyances d'un âge perdu et puis finalement revenir à la réalité, les doigts cramés par la cendre encore rougeoyante, se dire que la douleur n'est rien en rapport au plaisir reçu ».  Une craven A bonhomme, avec un grand verre de jack rien qu'une pour voyager encore un peu, rien qu'un peu au creux de mes doigts remplis d'arthrite !!!

Au loin, sur la ligne d'horizon l'océan semble s'animer tout doucement, quelques gros nuages noirs s'approchent en catimini poussés par le vent, attend-on une tempête, Il n'en sait rien ou il ne sait plus, enfin, ça s'embrouille là-haut, il faudrait se dépêcher, alors… sautera, sautera pas de ce maudit rocher que les pécheurs du coin surnomment avec grande peur le bout du monde !!!

« Tu vois bonhomme, tu vois, des mots qui tournent autour de nous… des mots sans intérêt pour la plupart des hommes, des mots qui peuplent un univers  aux dimensions élastiques, sans rien d'exceptions, sans idées préconçues, sans diplomatie du verbe aucune ; ces simples mots chétifs comme un train égaré qui s'assemble au fin fond d'un minuscule monde, pour jaillir au coin du jour le moment venu, nul ne sait pourquoi, pour qui, pour eux, pour nous, des mots braillant comme un nouveau-né, impatient de découvrir une putain de vie dans laquelle il sait d'avance qu'il va s'empêtrer jusqu'au final du conte, braillant haut et fort un amour immodéré pour les petites phrases qui s'attachent au creux d'une main calleuse de vieil ouvrier bancal en fin de vie, des mots stockés depuis bien des années et qui jamais n'ont su sortir du tiroir à réparties, c'est tout ce qu'il me reste encore quand ce satané Alzheimer me laisse un brin de répit, un brin de répit. « Merde, passe-moi mes lunettes, que je regarde encore une fois dans mon passé, pour te dire l'histoire, pour te lire notre histoire, l'histoire d'un homme devenu maboule d'avoir mal aimé » !!!

Avec la môme Mathilde, comme deux jeunes fous sans attache, pour conjurer le temps, ils nous arrivait en plein après-midi, de décider d'un commun accord de descendre la vieille machine à bulles du grenier, l'installer sur un tabouret au milieu de la rue bondée, et balancer le spectacle, inonder l'artère de milliers de boules de savon aux couleurs de l'arc-en-ciel, s'émerveiller de tout ce charivari de mini ballons redonnant aux trois vieilles devant leurs portes une âme d'enfance. Comme deux gamins heureux, danser et virevolter autour des frêles ampoules de savon, d'un pat léger et aérien, tourner, tourner, tourner pour le simple plaisir de vivre heureux sans entrave, frôler les bulles sans les éclater comme des lutins célestes au firmament, sans cesse en mouvement, ployant leurs souple corps pour éviter l'éclatement, mains en l'air, en avant en arrière, deux pas à droite un à gauche, sans cesse bouger pour préserver la fragilité des boursouflures de glycérine jusqu'à épuisement de la matière , et puis au bout d'une demi-heure de pur bonheur, pris  en flag, se faire enguirlander par un automobiliste acariâtre, sous prétexte honteux que les bulles : ça tache la carrosserie de la dauphine, Ah le con… si il savait comme c'est bon de vivre la minute présente, ça lui changerait de sa gueule de bien-pressé !!!

« He oui bonhomme, parfois elle me manque cette môme Mathilde, elle me manque, elle, elle saurait quoi faire dans de pareils circonstances avec un pied dans le vide, à ruminer sur le peu de destinée qu'il me reste !!!

Y'avait de ces jours ou on en avait marre du tintamarre de la ville, des sirènes hurlantes au bord des larmes et des gens toujours pressés de partir, alors avec la gamine on se prenait le train en douce vers la campagne, une journée de hobos avides de sensation forte au bord de la rail, direction l'herbe verte et les bêtes pleines d'intelligence, pour un dimanche entre amants de cœur, un petit coin de paradis rien que pour nous deux, allongé à l'abri d'un vieux mur de pierres à l'abandon, face à des vignes millénaires que la main de l'homme n'avait plus taillées depuis bientôt trente années, on profitait du soleil dominical d'un printemps vraiment précoce, collés au mur comme des sangsues attirées par le rayonnement thermique du calcaire, la main nonchalante sur ses cuisses, la nuque posée sur l'épaule gauche dans le fouillis de cheveux rouges, histoire de sentir son cœur battre sous sa poitrine abondante, histoire d'affirmer un regard là où se dresse le téton, histoire d'espérer un oui de sa bouche pulpeuse, ne plus bouger... Protéger des vents de glace, regarder la chaleur des sud lointains rougir sa peau blanche, enlacés l'un dans l'autre, lui murmurer à l'oreille des cochoncetés par ce que tout est bon quand on aime, et puis l'embrasser goulument comme une première fois un jour de renaissance, « Je t'aime est dans mon cœur, mais je l'emprisonne derrière mes lèvres », me disait-elle. Moi, je ne comprenais pas tout, alors sans faire de bruit j'écoutais les habitants du mur s'encanailler dans leurs nids douillets, quel bonheur que d'être témoin de l'explosion de gourmandises dans les vieilles vignes survivantes sous le soleil d'un début d'avril, de quoi emmagasiner des vitamines jusqu' à la vénération suprême de la chair, quel bonheur tout doucement d'entendre l'envie de plaire, venir la serrer fortement à faire mal, et être bien, oui être bien, juste bien au creux de jeunes cuisses fermes en plein midi finissant !!!

« Merde bonhomme… parfois j'oublie son nom, mais son visage me revient encore quand ce satané Alzheimer me laisse un brin de répit, et ce petit patelin où on descendait en marche !!!  « Merde, tout se mélange, demain, hier, aujourd'hui, à 72 ans tout se mélange dans ma tête, mais je n'y peux rien » !!!

" Tu vois bonhomme, le Jacks daniels c'est un truc qui se boit en solitaire, entre toi et moi, pour partager avec les autres le Johnnie Walker, ça suffit amplement, oui ça suffit amplement !!! "

Quand plus rien ne vas autour de toi, quand tout fout le camp au niveau de tes neurones, quand tes membres ne semblent plus répondre à tes demandes expresses, tu peux toujours demander l'assistance technique de mademoiselle Marie, la psychologue attitrer de l'hospice. Rien que pour ses yeux bleus profonds pour ses cheveux blonds vénitiens, pour sa façon de parler d'un ton rassurant avec calme et douceur, moi Raoul qui perd la boule, je prends rendez-vous au moins une fois dans la semaine dans son bureau-cabinet, et toujours le lundi, mais jamais avant onze heures pour éviter le désordre matinal.

Le revers de la médaille c'est qu'à chaque séance il faut parler de l'époque ancienne, dire et redire le moindre de tes souvenirs, balancer ton passé de vive voix, et vue l'état de mon cerveau souvent le passé se résume au présent, ou à la minute d'avant, alors je brode, je brode pour rester un maximum à sentir son odeur de femme fragile, regarder palpiter son cœur sous ses minuscules seins extras plats, juste prendre deux minutes de rab pour la regarder sourire aux anges alors que je brode, je brode sur ma vie dissolue du temps où

j'étais une homme, un vrai avec des hormones à ne plus quoi savoir en faire, je lui parle mobylettes, blouson noir, rock'n'roll, filles faciles à embarquer et alcool sans limite, je lui parle aussi dureté du travail à l'usine pendant ces années de labeurs, conflits familiale jamais circoncis dut a l'absence de père, en gros je passe le temps aux pieds de la jolie freudienne à déballer une vie parfaite à mes yeux, parce que pour nous autre les parias de l'unité A, le temps s'est  arrêté il y a bien longtemps, il y a bien longtemps qu'il n'y a plus rien à attendre de ce côté-là de la ligne pour un vieux rockeur comme moi, alors… sautera, ou sautera pas. « Tu vois bonhomme si mademoiselle Marie était là, ses grosses fesses posées sur le rocher à côté des miennes, on pourrait en discuter tous les trois de cette envie d'en finir à tout prix !!! »

 « Mademoiselle Marie, je t'ai dit mademoiselle Marie, merde le con, je pensais mademoiselle Mathilde, bordel, tous se mélange dans ma tête, parfois des gens aimés apparaissent puis disparaissent quelques minutes plus tard sans vraiment me demander l'autorisation. »

« Tien… le docteur blondin par exemple, lui, il aurait pu m'aider », a plusieurs reprises ma maigre vie est passée entre ses mains expertes, il était le seul à pratiquer son art dans tout le canton, sa charge de travail paraissait énorme d'après les conversations poivrotes au bistro du coin où l'attendait son rhum quotidien. Toujours de passage en coup de vent, fringant dans son costume cravate, il arrivait dans une splendide DS bleu claire (« la même que le général », radotaient les vieilles bigotes derrière leurs rideaux enfumés), et sitôt le panneau du village franchi, tous les habitants savaient qu'untel avait un grave soucié dans sa famille, les spéculations montaient jusqu'au départ du praticien, ou l'ensemble des habitants déboulaient chez la pauvre victime, soit pour plaindre le malade chanceux soit pour présenter ses plus complètes condoléances à la famille dans le malheur. Car le Demi-dieu ne venait jamais par hasard : « je vais au téléphone appeler le docteur » disait maman quand elle avait épuisé toute sa pharmacopée de bondieuserie a vingt sous, et dans les cas graves ou la chirurgie de l'aiguille était nécessaire à n'importe quel endroit du corps humain, à n'importe quelle heures du jour ou de la nuit, le bon généraliste n'hésitait pas à se souvenir qu'il avait exercé comme capitaine dans l'enfer du Tonkin encore français, tout en expliquant la difficulté d'une asepsie maitrisée en milieu campagnard, concentré comme pendant les plus belles heures de Diên Biên Phu ou l'officier de santé avait véritablement appris son illustre métier de carabin, sans réelle anesthésie il recousait toutes nos blessures d'enfants intrépides en nous conseillant d'une voix ferme de ne pas pleurer sous peine de baffes répétées, il cumulait à lui seul tous les services d'un hôpital moderne, des urgences jusqu'au psychiatre de service, sans oublier le légiste qu'on appelle un poil trop tard pour constater l'heureux départ du grand-père propriétaire des terres familiales.

« Merde bonhomme, je te raconte ça, mais parfois j'ai l'impression de l'avoir simplement lu dans un bon bouquin de poche, c'est de plus en plus le merdier dans ma pauvre tète, mais quoi faire à part espérer » !!!

Lui, le docteur Blondin, il aurait fait fureur a l'hospice Ritchie Valens avec ses méthodes de maquisard à l'affut du moindre virus pathogène, l'embuscade rien que l'embuscade,  contrairement à l'autre Idiot d'automate formaté, qui ne connais des médicaments que ce que les laboratoires lui imposent à distribuer à longueur de temps, sans jamais respirer notre air vicié de merde, sans jamais nous sourire, de peur d'attraper nos symptômes de dégénérer de fin vie, avec le minimum de pitié que sont syndicat lui impose, pour soutirer un maximum d'argent a un maximum de vieil imbéciles prêt à tout pour une heure de plus à l'unité des effacés, pour une heure de plus a regarder la vie à travers des vitres sales que plus personnes n'oses laver de peur d'attraper ce mal qui me ronge  !!!

Tu vois bonhomme, le Jacks daniels c'est un truc qui se boit en solitaire, entre toi et moi, pour partager avec les autres le Johnnie Walker, ça suffit amplement, oui ça suffit amplement !!! "

Dans ma chambre a l'hospice, Sur ma table de nuit j'avais encore il y a peu la photo de maman et de papa le jour de leurs mariages, elle tous de dentelles blanches vêtue, fraiche comme une marguerite qui viens de découvrir le printemps à l'aube d'une matinée ensoleillée, heureuse a s'en écaillé l'émail des dents, et lui en grand habillement de sous-officier parachutiste, l'air sévère et résigné comme ceux de son rang qui côtoient la mort à longueur de jours,  papa… on n'a jamais retrouvé sa dépouille, disparue pour cette chienne de France quelque part au pied d'Eliane, probablement qu'il a servie d'engrais au rizières viéts, de cibles d'entrainement ou de punchingball  a toute une armée rouge en manque de vitamine gourdin. Maman a reçu de la part du peuple vaincu une médaille militaire et une petite pension de veuve de guerre, et à chaque visite a rallonge du docteur Blondin, elle donnait un peu de son corps en remercîment d'être revenu, il partait l'ausculter dans la chambre pendant un bon bout de temps, puis revenait l'air de rien un léger sourire aux lèvres en me caressent les cheveux, d'ailleurs du haut de ma dizaines années je voyais bien que ça lui procurait du plaisir les câlineries à ma mère, lui qui avait survécu méritais bien ça d'après ses dires. A l'au-revoir de la maisonnée pour son médecin bienfaiteur, par gratitude, toujours par respect pour son savoir, elle tuait un lapin, donnait de ses œufs super frais, le brave toubib repartait le coffre rempli de victuailles en remerciement de ses bons soins, une autre façon de dire merci, tout en comptabilisant le don pour pouvoir s'en enorgueillir auprès de ses voisins souvent acariâtres.                                                                                                                                    

Sur ma table de nuit, j'avais pris pour habitude D'allumer une petite bougie, et de brulé un bout de papier d'Arménie, la fumée qui montait vers le plafond encensait la photo de mes parents, souvent je restais devant à tenter de me souvenir d'eux, la douce figure de cette femme en contraste avec la dureté de celle de l'homme, et je voyageais, je voyageais aux confins du Mékong, dans une jonque remplie de fille belle à croquer, avec pour seul amour une pipe a opium et un gallon de d'alcool de riz dans la moiteur de la saison des pluies.

Mais l'autre jour, je me suis assoupie dans mes rêveries, sans vraiment m'en apercevoir le haut de la table a pris feu, papa a perdu la moitié de son uniforme, et maman une partie basse de sa robe de mariée, heureusement ils leur reste leurs tète a eux, pas comme leurs idiots de fils, « je ne te raconte même pas bonhomme comment le staff de direction m'a emmené direct au cachot, fini la liberté de circuler dans l'établissement, fini les humeurs aux saveurs d'orient, manque plus que l'électro choc qui arrive pour finaliser l'expérience, désormais tout résidants contestataire devra être muni  d'un certificat médical, les contrevenants seront immédiatement incarcérés en milieu disciplinaire !!! »

" Ah les cons... tu vois bonhomme, ils sont persuadés que le vieux Raoul est devenu fou, mais moi je les emmerde, comme pour papa personne ne retrouvera ma vieille carcasse au fond des abimes, il va bien falloir que je saute…Merde un peu de courage… Passe-moi mes ray ban , que je regarde encore une fois dans mon passé, pour te dire l'histoire, pour te lire notre histoire, l'histoire d'un homme devenu singlé d'avoir mal aimé », passe-moi mes lunettes avant le grand saut !!!

Pour un type comme moi à l'âge incertain, le lapin du dimanche représente l'ultime étincelle de jeunesse, le souvenir de la comptine culinaire, celle qui vous réveille au cœur des ténèbres, les lèvres humides avec une chaleur torride au ventre qui ferait presque courir nu n'importe quel frileux dans les neiges éternelles. Ah… ce lapin des dimanches matins de l'enfance innocente quand le souvenir me l'autorise, je m'y baigne sans réfléchir.

Descendant les escaliers de la maison familiale dans un bruit de cavalcade pour embrasser maman en premier, à peine la porte de la cuisine ouverte, aveuglé par le soleil des vacances qui passait au travers des vitres sans rideau, tous les sens en éveil relatif, l'œil encore collé, en mode détecteur d'amour à plein temps, même avec soixante années de plus dans les fesses l'esprit du fumet de la tambouille reste intacte, une odeur de vin blanc, de persil frais, de tomates candides, d'oignon frit, d'ail épluché, de viande grillée dans du beurre tendre, qui asperge les narines, liquéfie les papilles comme une agression bienfaitrice, une envie de nourriture en dotation qui donne à grandir plus vite. Ah… ce lapin des dimanches matin de l'enfance, même pas posé le pied sur la dernière marche, le gamin sait qu'il est au paradis et qu'« ici on l'aime » dans les fragrances de brioches crépitantes au fin fond de l'immense four familial, avec en accueil la douce voix de maman sur un fond de radio crachotante de l'accordéon national ; toujours la même intonation rassurante : « bonjour mon ange », un « bonjour mon ange » qui ne s'oublie plus jusqu'au dernier souffle, un « bonjour mon ange » que l'on sait protecteur, indestructible, si rassurant quand débute la grande aventure de la vie. Ah… ce lapin des dimanches matin de l'enfance devant un cacao bouillant, une tartine grande comme la main, et papa encore là, debout devant la pierre à eau, beau et prêt pour la messe dominicale, fier combattant tenant le blaireau en main comme un coupe-coupe en pleine brousse, se dandinant au rythme ambiant du musette, les yeux brillant de dignité face au miroir, impossible d'imaginer un semblant de dissension au sein du clan, comme si le temps des guerres s'était arrêté au pied de la grande porte à verrous ou un panonceau était placardé et sur lequel on pouvait lire « dans cette cuisine, ni haine ni violence, juste de l'amour ». Tu vois bonhomme, parfois je me demande si certaines images ne sont pas que, pure invention de vieillard sénile, alors je ne sais plus, je ne sais plus le vrai et le faut, pourtant reste au fond de l'imaginaire un bonjour mon ange, un bonjour mon ange qui ne peut être que du vécu d'âge tendre !!!

Tu vois bonhomme, le Jacks daniels c'est un truc qui se boit en solitaire, entre toi et moi, pour partager avec les autres le Johnnie Walker, ça suffit amplement, oui ça suffit amplement !!!

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