Josiane, kill ton destin (part 7)

poulpita

Du vin, encore du vin...

Josiane pousse la porte de l'appartement de Sandy. Coucouou, hurle-t-elle pour signaler son intrusion hebdomadaire. Silence immobile des chaises et des portes. Cou-cou ? Josiane s'avance avec prudence dans le couloir. Sandy est agée. On ne sait jamais avec ces patronne-là, ce qui pourrait arriver. Elle longe la commode art-déco, ornée de fleurs stylisées, reliées par des lianes. Ses épaules frottent la longue glace, au teint passé, tachetée par le temps. Elle pousse la porte vitrée qui donne sur la salle à manger. Tapissée de blanc et bleu, c'est la pièce la plus lumineuse du 100 mètres carrés de Sandy. La veille dame est assise devant la table, les épaules voutées, le nez plongé vers l'écran d'un téléphone. Doigts suspendus à quelques centimètres de l'écran, elle murmure. Mais qu'est ce que … mais enfin… lequel choisir…c'est mignon ces petites choses… y'en a trop… Josiane songe un instant que Sandy s'est abonnée à Tinder. Le site de rencontres. Entre, entre, dit Sandy sans lever les yeux. Tu vas m'aider à choisir. Josiane s'approche. Un tableau d'émoticons remplit l'écran. Je voudrais envoyer une fleur à ma nièce, mais je ne sais que choisir. Le bouquet, la rose, la marguerite, la tulipe, … ya même des signes que je comprends pas. Je suis trop vieille. Hoooo, un arc en ciel. Je vais lui envoyer un arc en ciel. Après la pluie, le beau temps. Hey, mais ya un éléphant. Ça veut dire quoi un éléphant ? Ce que vous voulez bredouille Josiane. Plutôt, un signe de maladresse. Genre un éléphant dans un magasin de porcelaine. Ha ? Ça s'utilise encore cette expression ? Moi oui. Bon, bon, Sandy agite ses doigts, je vais lui mettre un arc en ciel. Elle a un chagrin d'amour. Ha, oui. Ça risque pas de nous arriver, à nous, le cœur brisé, hein ? Ben je suis mariée, proteste faiblement Josiane. Sandy ricane. Ha oui ! Ton macro. Sandy est maigre, un serre tête blanc sur le crâne retient quelques cheveux, elle porte une tunique légère, bleue électrique, qui enrobe son corps fatigué, les manches et le col sont ornés de tulle bleue également. La peau de son visage est blanche, transparente, quelques veines sont visibles sous les yeux. Elle ressemblait à une sorcière parfois. Comme là. Elle fixe l'écran et dit doucement. A ta place, je l'aurais quitté depuis longtemps. Ou alors un bon coup de rouleau à pâtisserie sur la nuque, après une bonne cuite. Ils en font des lourds, en métal, maintenant il paraît. C'est nouveau, c'est dizaïne, ils disent. Design, reprend Josiane, c'est un mot anglais. Oui, et bien. Si y'avait eu ça du temps de mon Dédé, j'aurais utilisé ce truc. Ping. Mais malheureusement la nature le détestait encore plus que moi. Elle lui a collé un cancer du rectum et tout le tralala. Bon débarras.

La sonnette retentit. Ha, Josiane, c'est mon neveu. Le frère du chagrin d'amour. Tu peux descendre lui ouvrir la porte ? Et tu peux passer m'acheter une bouteille de vin blanc chez le caviste, après le tabac ? Et tu lui demandes qu'il m'ouvre la bouteille. Tu dis que c'est pour Sandy, il comprendra. Mais, Sandy, je peux l'ouvrir s'étonne Josiane. Je sais, mais je n'ai pas de tire bouchon dans la maison. Ben, ne me regarde pas comme ça. Tu sais pas que le pire danger pour les vieux en décomposition avancée comme moi, après la hanche brisée en s'asseyant sur un fauteuil, c'est l'alcoolisme ? On vous apprend rien à l'école. Pas ça, en tout cas, murmura Josiane. Sandy lui tend un billet de 50 euros. Prends-en une fraîche, hein ? Tu vas en boire, toi ? Josiane fait la moue, indécise. Prends en deux, alors. Dans la pénombre du couloir, Josiane nota que son nouveau look sonnait pas mal. De profil, elle voyait une grande femme, mince, serrée dans un haut clair et zébré de vert, ses cheveux courts, gris, ébouriffés. En travaillant un peu son look, elle pourrait même avoir un peu la classe. Quitter ses jeans mal seyant et ses sandales à grosse lanière en cuir, son sac à main poubelle, ses cheveux peignés façon vielle catho. Faire fi de son image de vieille qui parle de la pluie et du beau temps aux abris bus. C'est son défi du jour. Se défaire de sa peau vieille de mille ans. Ça, et se débarrasser de son mari. Son œil s'allume en passant devant les fusils de feu Dédé.

Note : les épisodes précédents sont disponibles là http://welovewords.com/search?utf8=%E2%9C%93&q=josiane+kill+ton+destin

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