Jour 4
drimakos
A l'aube du quatrième jour, M. se leva; il était temps de partir. Autour de lui, la lumière du dernier jour à naître commençait à salir les murs crème de leur crasse naturelle. Derrière ses yeux noirs encore lourds, M. songea "Il va faire beau", puis il se leva. Par la fenêtre nue, il pouvait entendre les vagues s'éclater doucement sur la berge, et les oiseaux se disputer déjà leurs malheureuses marchandises. Debout, les sens en éveil, M. s'étira longuement, mais sans rien ôter de la gravité qui attache irrémédiablement ses pas au sol de ciment gris. C'est un rituel qu'il s'impose chaque jour: lever les bras au ciel, inspirer, et tout relâcher progressivement pour finir mains contre pieds, souffler, puis se relever. Ce ne sont pas les gestes qui comptent, seulement la vitesse de ces mouvements, qui se cherchent inertie et ne rencontrent évidemment que le contact dur et froid de ses ongles sales. M. essaye de se rappeler quelques histoires drôles, un sourire se dessine sur ses lèvres mais sa bouche reste close. Il s'approche de la fenêtre, se baisse et ramasse un jean et un t-shirt, bien pliés sur l'unique chaise. Il ne regarde pas par la fenêtre, il regarde ses mains, puis ses pieds, puis il pense qu'"il est temps de partir". Ensuite seulement il s'habille, ensuite seulement il rassemble ses quelques affaires, ensuite seulement il sort; il est temps de partir.
Les quatre murs de la maison de M. soutiennent ce qui doit être une des plus petites maisons du monde. Une porte et une fenêtre et la mer qui enlace les murs blancs posés sur la dune. Quelquefois, le matin, M. s'est assis sur le rebord usé de la fenêtre, face au large. Il aimait alors à sentir le contact de l'angle tranchant sur sa cuisse nue, les yeux perdus dans les vagues, dans le vague élément naturel rajouté au joli tableau de la maison blanche sur la dune. De l'autre côté, face à la porte, un petit chemin descendait parmi les herbes folles et plantes des sables. Quand M. eut franchi le seuil, il s'y engagea naturellement, investissant de son pas assuré la fourmilière immobile du monde.
Le contact des marches de bois sous ses pieds marqua le changement. Devant lui, le vent ajoutait aux cimes épineuses un murmure bienveillant, les premiers pins en frémissaient d'aise, et le soleil qui brillait par-dessus eux apparut soudain à M. comme la promesse futile d'en rire. Il suivit le sentier qui s'enfonçait en serpentant entre les troncs, attentif aux bruissements multiples qui s'échappaient de part et d'autre. Un craquement sec se fit soudain entendre: M. s'arrêta aussitôt. Le bruit en lui-même n'avait rien d'inquiétant, il pouvait provenir d'une branche fatiguée de pendre, d'un arbre calciné décidé à lâcher prise, d'un animal apeuré par cette intrusion. Rien ne trahissait dans son attitude la peur panique qui s'était POURTANT emparée de M.. Sa silhouette immobile se détachait discrètement sur le jour naissant quelques dizaines de mètres derrière, dans les murmures de l'océan, les arbres. Rien ne bougeait plus en lui; il attendait dans le silence humide des fougères gorgées de sève. Il resta ainsi quelques longues minutes, droit comme un piquet oublié au milieu des bois. Quand son pied gauche le remit en route, il avait déjà oublié la raison de cette halte, et le soleil montant l’engloutit.