Jour de paris

billie

Jour de paris

Ce matin est un matin immobile, de ceux dont on ne rêve jamais. Je sens la fièvre me monter à la tête et je me souviens…Paris. Le cimetière du Père Lachaise. Un matin gris, frais, l’air vif me refroidit les mains. Nous avançons sur les pavés d’un pas rapide. Nous. Sophie et moi. Promenade insolite pour couple en péril. C’est peut-être plus un enterrement qu’une sortie. Le décès de mon couple.

Impassible, Sophie marche devant, tout en regardant les tombes. Les tombes. Très anciennes et très délabrées. Des allées se croisent et s’entrecroisent. Nous montons et descendons au gré de celles-ci et du dénivelé. Ce n’est pas un cimetière ni un chemin de croix. Même si j’ai l’impression de vivre le mien. C’est une promenade touristique funeste digne d’un parcours en montagne. J’enterre les cinq années de ma vie amoureuse.

Nous croisons beaucoup de personnes, plan à la main qui scrutent, cherchent et s’extasient. Je les suis du regard. Moi aussi je lis les inscriptions sur les tombes et pourtant je ne les comprends pas, je ne les vois pas, je les devine. Et pour cause, j’ai l’impression de chercher la sépulture de mon union.

Les gens autour de nous se pâment et opinent du chef d’un air entendu. Sophie fait de même. Regardez ! Pensez ! Admirez ! Ce ne sont plus des tombes, ce sont des poètes courants dans la forêt, des musiciens jouant la symphonie de la nature, des politiques, qui, tels des orateurs, discourent devant une foule d’admirateurs conquis. Moi je ne suis qu’une commerciale en péril, qui a cru en l’amour de sa vie.

En ce lieu il n’y pas de vielles pierres, il y a des âmes, des âmes avides de respirer une souffrance. Oui, c’est cela, la souffrance de ne plus être, de ne plus exister corporellement, de ne plus affirmer leur voix, leurs soupirs et leur élan de vie. Ma souffrance à moi chemine tranquillement devant moi, sourit quelquefois et me laisse incolore dans cette immensité silencieuse.

C’est ce que je devine face à la tombe de Chopin. Mon inexistence à ses yeux. Et pourtant j’entends la Polonaise me chuchoter à l’oreille sa romance frénétique. Puis j’attends, car les feuilles mortes aux alentours, que ne ramasserais pas à la pelle, semblent danser autour de moi cette mélodie des temps regrettés.

J’ai chaud, très chaud, la fière m’envahit, la peur aussi, je fais quelque pas de plus et me voilà confrontée à des personnages inconnus, une laitière au fichu usé passe et me frôle, un haut de forme et canne au pommeau d’or résonne sur les pavés mouillés. J’écoute alors une leçon de classe et me voici face à Colette, un chat miaule, le froid réveille mon esprit égaré.

Je ne vois plus Sophie, si, là, au loin, je cours presque à sa suite de peur de la perdre complètement. Mon corps bat à tout rompre, mon pied se cogne et arrête ma folle course. Jim, nu, sous un triste rectangle de terre et de cailloux est plus glacé d’effroi que lors de son dernier trip meurtrier. Il me sussure à l’oreille « come on baby, light my fire !

Aperçois-tu la tombe de Musset me demande Sophie. Incrédule je ne sais que répondre. Elle semble se prendre au jeu de cet étrange parcours sans voir ma peine. Musset ? Où se cache-t-il donc, si célèbre et pourtant introuvable au milieu de ces éternelles demeures. Nos recherches ressemblent à un jeu de cache-cache et nos découvertes à des victoires sur le temps. Moi je ne joue pas et je ne me cache pas, mon amour est sincère, je n’ai rien à gagner, ici j’ai l’impression de tout perdre, que tout m’échappe, ma vie m’échappe, tout comme ces illustres personnages, refroidis à jamais.

Pauvres vies oubliées et retrouvées le temps d’un dimanche gris. Qui se souvient de vous avec respect ? Qui se souviendra de l’amour que je t’ai porté, de l’intensité de notre bonheur ? Qui a la pudeur de savoir que rien n’efface le temps écoulé. Laissons ces gens à leur repos éternel.

Je chuchote à Sophie mon envie de m’échapper de ce lieu oppressant, mais rien y fait, elle me dit que la visite n’est pas terminée. Je comprends alors que tout est fini. Que le calvaire, qui est le mien à présent, doit se poursuivre dans l’oubli. Mon corps est là mais mon esprit est ailleurs. Finalement quand nous trouvons Edith je n’aperçois ni Milord, ni les amants du café, ils ne sont plus que transparence.

Le froid m’assaille encore, la nature ne nous épargne jamais, Sophie non plus. Alors je tourne le dos à cette sortie inutile. Je capitule et salue d’un geste las la fin de cette aventure perdue à jamais. Mon amour est mort mais pas ma vie.

Ainsi je m’éloigne, sans regret, à l’instar de Dalida qui n’est pas ici, et pour cause, elle est partie avec le petit bambino dormir un peu, tranquille, au soleil d’une autre colline.

Signaler ce texte