Jour sang

erge

Y’a des jours comme ça où rien ne va. Où tout le sang va. Comme ce 7 janvier 2015.

Y'a des jours comme ça où lorsqu'on se lève, on ne sait pas encore qu'on va rester couché. Pour de bon.

J'aime pas cette expression «pour de bon» puisqu'elle signifie qu'on ne pourra plus jamais se relever. Où est l'idée du bonheur là dedans si ce n'est pour l'âme qui s'élève? Les 12 personnes assassinées le 7 janvier dernier lors de l'attentat contre Charlie hebdo ont probablement la réponse maintenant qu'elles sont là-haut pour de bon. Mais j'imagine qu'elles auraient préféré rester sur terre si elles avaient su, le matin en se levant, qu'elles resteraient définitivement allongées.

D'autant que si on ne peut plus se lever, on peut encore moins s'élever donc on ne peut plus prendre la hauteur nécessaire par rapport aux événements vécus ce jour là. Où le recul nécessaire, tout dépend de l'angle dans lequel on se positionne. Ne plus avoir de recul ou de discernement m'a fait tomber de haut ce mercredi 7 janvier. Au bas mot, je me suis retrouvé sens dessus dessous. Bouleversé. Retourné. Comme vous.

Y'a des jours comme ça où lorsqu'on se lève, c'est difficile de rester debout devant ces scènes d'apocalypse. Ces scènes d'apologie du nihilisme perpétrées par des nodocéphales encagoulés m'ont provoqué une crise d'apoplexie. Le pire c'est qu'ils n'ont jamais lu le Coran, analphabètes qu'ils sont de leur état. Car ils y auraient lu les valeurs d'humanité qui y sont répandues plutôt que de répandre leur inanité. Le Coran de ces terroristes n'est qu'apocryphe.

Y'a des jours comme ça où lorsqu'on écrit, on a mauvaise mine. La mine des mauvais jours. Faite de petits riens qui vous la rendent triste et grise. Ce jour là, c'était deux moins-que-rien bientôt suivi d'un troisième qui allaient me la rendre affligeante en moins de deux. Mine de rien, ce mercredi 7 janvier, j'avais le goût à rien car le dégoût m'accablait. Toutes ces images insupportables à voir et dures à croire. Et pourtant.

Y'a des jours comme ça où on n'a pas envie de jouer. Pour éviter de recevoir une balle perdue. Celle qui termine le ‘' je, 7 et match''. Et vous rend out. Pour de bon.

Y'a des jours comme ça où le jour de la semaine tombe un mercredi. Le jour des enfants. Robin, le mien, a 12 ans et va au dessin le mercredi. En rentrant intact de son cours, il me dévisage en un rien de temps et me lance : «Papa, t'as une p'tite mine !». J'ai fait mine de dire que tout allait bien. Mais entre les tweets à toute heure, les news en live, les dépêches en direct et autres informations en flux tendu, il me fut difficile de lui cacher la vérité. Pas comme ces apôtres du mal qui cachent leurs visages pour mieux cracher leur message de haine. Robin a pris toutes ces images en pleine tête, de tous ces gens qui ont pris toutes ces balles en plein coeur. Alors il a pris ses crayons de couleurs et a dessiné la douleur. Sans couleurs. Sans douceur. Juste du noir. La couleur de cette journée du 7 janvier. Un paradoxe pour une journée d'hiver. Il me remit son dessin. Un blanc s'est installé.

Y'a des jours comme ça où lorsqu'on dessine, on reste désarmé devant le dessein de certains maux. Des maux qui ne manquent pas d'air puisqu'ils atteignent le cœur jusqu'à lui couper le respiration. 

Prendre la plume ou le crayon, l'encre ou le graphite, tout est bon pour trouver le mot ou le dessin juste. Celui qui cicatrise ou s'insurge. Celui qui condamne ou réconforte. Celui qui apporte un second souffle. Indignation, révolte, colère, écoeurement, rage, horreur, monstruosité, injustice, bassesse, lâcheté, incompréhension... tout l'arsenal y passe pour crier son désarroi. Comme on viderait un chargeur de kalachnikov sur ceux dont le trop plein d'ego tue l'émoi. Et moi je n'ai pas assez la foi pour leur pardonner car ils savaient ce qu'ils faisaient.

En ce 7 janvier 2015, 3 mots ont été universellement adoptés en un vibrant hommage à ceux qui savaient rire de tout et ne maniaient pas la langue de bois. Ceux-là n'avaient peur de rien si ce n'est du vide dans les bulles qui accompagnaient leurs dessins. Alors ils les remplissaient de satires. C'est pour ça qu'on leur a tiré dessus. Triste destin.

"Je suis Charlie" résonne depuis comme un sursaut de vie face à cette barbarie proférée par ces radicalistes qui vivent dans leur bulle. Une bulle d'ostracisme et de négativisme, de terreur et de haine. Rien à voir avec les phylactères de nos Cabu, Wolinski, Char et consorts.

Y'a des jours comme ça où même si on n'a pas envie, il faut se relever. C'est à ce prix qu'est la résilience. Après l'apocalypse, l'apothéose d'une marche silencieuse a fait lever tout un peuple. Musulmans, juifs, chrétiens … un peuple uni et fier de ses valeurs. Fier d'être français.

Y'a des jours comme ça où on se fait un sang d'encre. Depuis ce jour, j'ai remisé le dessin de Robin dans le numéro posthume de Charlie Hebdo en priant pour qu'il n'y ait plus de jours comme ça. Pour de bon.

Y'a des jours comme ça où il y a des jours sans. Sans rires. Ce jour où j'ai eu un dessin entre mes mains.

photo : © Duris Guillaume 
  • Waw il est bouleversant ce texte. Sans voix, touchée (mais pas coulée) !

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

    • Merci Ade J'espère que je n'aurais plus à en refaire des comme çà !

      · Il y a plus de 9 ans ·
      479860267

      erge

    • J'espère que tu écriras d'autres textes d'une même qualité mais pas pour le même thème.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Ade wlw  7x7

      ade

  • Je ne l'avais pas lu. Touchée en plein cœur. Chapeau bas.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Ananas

    carouille

    • Sans rires ?

      · Il y a plus de 9 ans ·
      479860267

      erge

    • Sans aucun jeu de mots. Après tout ce que j'ai pu entendre et lire à ce sujet ce sont vos mots qui me semblent traduire le plus sincèrement tout ce que j'ai pu penser et ressentir.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Ananas

      carouille

    • Merci Emilie.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      479860267

      erge

    • De rien monsieur Erge.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Ananas

      carouille

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