Journal Intime
Yves Montmartin
Maman m'avait offert pour un anniversaire un joli carnet et j'y notais scrupuleusement les belles phrases que je glanais au fil de mes lectures, prenant bien soin d'indiquer l'auteur, je lisais en permanence avec mon carnet et un stylo à portée de main. Chaque soir, je relisais quelques feuilles, savourant la justesse et la beauté de ce que je venais d'inscrire. À force de lire et relire mes notes, je pouvais attribuer n'importe quelle phrase à son auteur. Je classais les citations par thème.
Par exemple, sur la page Poésie, j'avais relevé :
« Je sais que la poésie est indispensable, mais je ne sais pas à quoi. » Jean Cocteau.
« La poésie c'est le plus joli surnom qu'on donne à la vie. » Jacques Prévert.
« La poésie est inutile comme la pluie. » René Guy Cadou.
« La Poésie est une lettre d'amour adressée au monde. » Charlie Chaplin.
Comme des versets de la Bible ou du Coran, je ressortais donc ces textes, à la moindre occasion, avec un plaisir non dissimulé, mais je prenais soin de les citer de façon appropriée.
Quand notre professeur de mathématiques nous demanda, en début de cinquième, de bien vouloir rédiger nos solutions au lieu de nous contenter d'aligner des chiffres, je crus que c'était un encouragement à sortir mon carnet si précieux.
Je fus très contrariée quand devant toute la classe hilare, il me demanda ce que faisait une citation extraite des misérables au milieu d'un problème où un train parti de Paris à 8h03 et roulant à la vitesse de 152 km/h de moyenne, se devait de croiser un autre train parti de Marseille à 9h et qui suite à un incident mécanique ne pouvait dépasser la vitesse de 100km/h.
Quand je racontais cette humiliation à maman, elle me consola en m'assurant que chaque année elle m'offrirait un nouveau carnet.