Jouvenceau fait homme [Extrait]
sadnezz
- Ma bouche n'osera jamais lui avouer mon doux secret, mon tendre drame
Car l'objet de tous mes tourments
Passe le plus clair de son temps au lit des femmes - *
Derrière la porte, l'Aconit reste suspendu aux murmures, aux bruits de la vie qui filtrent à l'extérieur. La vie de la Medicis est peuplée de ces bruits significatifs qui annoncent son humeur. Le froissement des étoffes qui composent sa toilette, l'eau du bain qui clapote. Les messes basses pour les bons jours...
Le bruit sec de la brosse dans ses cheveux noirs. Les objets jetés sourdement sur la couche, les longs silences pour les mauvais.
Alessia est une entité divine et puissante de la maison, officiant selon son bon vouloir à l'harmonie ou au chaos de l'ensemble de la demeure, mais surtout , maitresse des humeurs du prince de Retz, son amant.
L'hésitation est palpable. Le souffle est court derrière cette porte, les yeux de l'Aconit fixent le perron comme pour chercher le courage de pénétrer dans les appartements de la Florentine. Etranglé par une question, l'écuyer avait posé une main tremblante sur le loquet qu'il ne parvenait pas à se décider à ouvrir.
A-t-elle lu la lettre?
La langue collée à son palais, Nicolas en oublie presque de respirer.
Si ce n'est elle, serait-ce le Prince?
Qui a intercepté l'intime courrier, de la peste ou du choléra?
Car l'un ou l'autre, aucune réponse ne permettait au jeune homme de se décider à se présenter comme si de rien n'était devant eux, meurtri par l'ouverture d'un secret, honteux à ne plus savoir où disparaitre, désireux de mourir plutôt que de jeter son âme nue en pâture à quiconque. Le pudique écuyer, totalement dépouillé de son arcane la plus intime et livré à tous. Le Prince le mépriserait sans doute de ne pas être le jeune mâle viril qu'il apprécierait tant et la Médicis y trouverait là un croustillant atout à sortir de sa manche l'heure venue. Tout le monde le trouverait malsain. Repoussant. Bon à pendre par la queue, bien qu'il l'ait fort belle...
Telles étaient les pensées qui tordaient son estomac depuis qu'il avait trouvé cette maudite lettre sur le lit, délicieuse aussi hélas, messagère de tourments bien dommageables à son égard... Planté là à tâter ses cornéliennes possibilités, il finit par n'en trouver aucune qui pourrait lui donner la force et le courage d'entrer pour aider la Medicis à sa toilette matinale.
La main laiteuse se retira, écrasant une larme perfide au coin de l'oeil azur. l'Aconit ôta son oreille des rainures et disparut dans les couloirs de l'hôtel du cerbère.
Bourgogne, automne 1464
Faust avait entamé ses dix sept printemps dans une clairière déserte où par précaution il n'avait pas fait de feu, quitte à dormir au froid, choix prépondérant sur celui de se faire truander. Son beau pourpoint brodé avait perdu de sa superbe et ses cheveux habituellement si beaux et disciplinés abritaient des brins d'herbes sèches, souvenir de ses nuits passées à dormir où il le pouvait. Le jeune écuyer expérimentait grandeur nature une introspection particulière: "jusqu'où peut mener la honte". Au vu de la distance Flandres-Bourgogne, la réponse semblait évidente.
Loin.
contre toute attente, l'objet de son tourment ne tarda pas à le rattraper, et avec lui la vilaine fièvre dont il avait tenté en vain de se soigner. Une de celle qui vous colle au corps et vous impose son triomphe... Et si la vie s'entêtait tant à mettre Ansoald sur la route de Nicolas, rien ne servait de lutter longtemps, pour le bonheur de revenir sur le chemin de la ville goûter au vin qui avait cruellement fait défaut et à l'accueil d'une taverne éclairée. Pour ce visage qui le troublait tant et devant lequel il feignait l'indifférence. Pour les joutes verbales, qui parfois, dégénéraient un peu.
Au détour d'un feu de camps, l'Aconit avait retrouvé son bourreau, et pardessus tout l'ivresse d'être étranglé par un autre sentiment que la honte. L'ivresse de vivre, libre comme si le voleur n'était pas le problème mais la solution. Là où personne ne lui arracherait la clandestine essence de son bonheur. Là où momentanément peut-être, il pouvait abandonner l'exil sans fin de sa solitude intérieure.
Douce jeunesse.
* C. Aznavour