Juillet 1912- l'Orphelinat

loulourna

 Effacé par erreur

juillet 1912- L’orphelinat-Ch 1

 Monsieur Santon avait au moins deux certitudes. Primo ; que l’évolution du peuple passait par l’instruction et que la loi promulguée 31 ans auparavant par Jules Ferry sur la réforme de l’enseignement primaire, obligatoire et laïque était la plus belle amélioration apportée par un gouvernement de la République. Fier d’appartenir à l’école normale d’instituteurs, il considérait l’éducation des enfants comme un sacerdoce. Les préparer à affronter une vie d’homme lui semblait le plus sacré des devoirs.

Deuzio ; il ne se souvenait pas à quel moment les conjectures sur la situation en Europe qui le préoccupait depuis un certain temps l’avait amené à penser que dans un prochain avenir la France allait subir des turbulences dramatiques.

Les mains croisées derrière le dos, debout devant la fenêtre de son bureau, Monsieur Santon regardait trois étages plus bas, les jeux de ses protégés dans la cour de l‘établissement.

La cloche de fin de récréation retentit. Il soupira et se demandait quels seraient les survivants de cette belle jeunesse au nouveau règlement de compte qui se préparait en Europe ?

Féru d’histoire, la marotte de Monsieur Santon, était d’élaborer des échafaudages d’événements d’où il tirait des conclusions, parfois juste. Alors persuadé de détenir la vérité, Monsieur Morin l’entendait exulter,---Je vous l’avais dit, je vous l’avais bien dit.

Parfois inexacte. Il les oubliait rapidement.

---On ne se trompe pas souvent en prévoyant le pire, lui avait rétorqué Monsieur Morin.

L’actualité de ces dernières années combinée à certains épisodes dispersés dans le temps et les discussions animées avec Monsieur Morin, sur les rapports houleux entre la France et l’Allemagne, l’avait convaincu que l’Europe était prête à en découdre.

Monsieur Morin prétendait que les problèmes actuels venaient de la raclée qu’avait reçue la France, à Waterloo.

--- Peut-être que si Napoléon avait gagné, il aurait réussi à construire une Europe unie et nous n’en serions pas là, avait-il dit d’un air songeur.

--- Vous êtes parfois d’une naïveté déconcertante. On ne fera jamais l’Europe par la force. Parlons-en de la force, voilà un mot que Bonaparte à bien utilisé pour prendre le pouvoir. Le 9 novembre 1799, ou si vous préférez, le 18 Brumaire de l’an VII, votre possible fondateur de l’Europe, par un coup d’état, avec l’aide de Seiyès instaure le premier Consulat, une dictature qui en remplaçait une autre et qui ne disait pas son nom.

Le totalitarisme au nom du peuple, au nom de la République, croyez-moi, ça fera sûrement usage dans le futur.

Monsieur Morin retira ses lorgnons et se frotta l’arête du nez,--- Le Directoire était gangrené par la corruption et les intrigues. Sieyès l’avait bien compris. Il a mis fin à une révolution qui se dénaturait.

---Il y a longtemps qu’elle était dénaturée votre révolution. Sieyès, ce défroqué, était un comploteur pire que les autres. Il ne voulait pas de Bonaparte. C’est un concours de circonstance qui  porta le général Bonaparte au pouvoir. Sieyès avait d’abord pensé à Joubert, malheureusement tué à 30 ans, à la bataille de Novi. Puis à Moreau ; celui-ci se dérobe. C’est en désespoir de cause qu’il se tourna vers Bonaparte.

--- Je pense qu’il était l’homme idéal pour mettre un peu d’ordre dans le pays.

--- Oui, et l’homme idéal pour mettre le désordre ailleurs. Par son entrain à guerroyer en toutes contrées, il provoqua, après sa défaite à Waterloo, le traité de Vienne en 1815. Exit Napoléon

--- L’Europe entière s’était liguée contre lui.

--- A juste titre. Après l’avoir mise à feu et à sang, vous ne pensez quand même pas qu’il n’aurait que des admirateurs.

Monsieur Santon dominait Monsieur Morin d’une bonne tête. Portant noblement une barbe à la Karl Marx, il en imposait plus à son secrétaire qu’aux élèves. En le tirant par le revers de sa veste il l’approcha d’une carte géographique sur le mur face à son bureau et avec sa certitude habituelle lui asséna.

--- Cet accord, mon cher ami, créa à l’est de l’Europe, un vaste empire composé d’un agrégat de petites nations, presque autant d’ethnies que de villages, partagées entre trois religions, différentes langues, plusieurs dialectes et autant de cultures. À l’aide d’une règle, il ponctua chacun de ces mots les différentes régions d’Europe centrale: Monténégros,Serbie, Croatie, Kosovo, Macédoine, sans compter la Roumanie, la Bulgarie et l’Autriche. Pourtant c’est de l’Autriche que viendront les problèmes.  Monsieur Morin avec une grimace se frotta le nez et réajusta ses lorgnons.

---Vous savez qu’il existe des lunettes ?

---Je suis habitué à mes lorgnons.

---Vous êtes habitué à souffrir, oui. Bref ! Dans ce mêli-mélo de petits états hétéroclites, l’empereur François Joseph pensait à tort que l’animosité mutuelle de ces communautés allait neutraliser et maintenir l’ordre et la paix dans cette région du monde.

---Il fallait faire un rempart contre les Turcs.

---Parlons en des Turcs. En 1908, les troubles dans l’empire ottoman voisin, permirent à François-Joseph d’annexer la Bosnie Herzégovie, petit état musulman des Balkans : un plus pour accentuer l’aversion réciproque dans cette région. Aujourd’hui ces peuples sont prêts à se lancer dans un conflit autodestructeur. L’Europe a une grande tradition guerrière et le chauvinisme exacerbé qui monte entre la France et l’Allemagne va nous nous entraîner dans la même poudrière que les Balkans. La guerre est inévitable.

Entraîné par son discours, Monsieur Santon parcourait maintenant son bureau de long en large.

---Arrêté, vous me donnez le tournis.

---Je vous donne peut-être le tournis, mais c’est comme ça. Nous éduquons nos enfants dans la haine du boche avec en toile de fond la récupération de l’Alsace et la Lorraine.

---Nous n’allons quand même pas abandonner les Alsaciens?

---Non, évidemment...combien d’hommes devront mourir pour ce territoire de 14511 km2 ; voilà ce qui est à mettre en balance et je ne connais pas la réponse.

--- Question difficile. Qui peut la connaître ?

---Les morts.

--- Nous n’avons pas les mêmes raisons que Guillaume II de faire la guerre. Ce qui l’intéresse, ce sont nos colonies.

---Oui, et pour cette raison nos ex-ennemis héréditaires, les Anglais, sont nos alliés, après un silence.…je l’espère.

Monsieur Morin sarcastique,--- Alliés par nécessité, eux aussi craignent de perdre leurs colonies.

Monsieur Santon avait enfourché son dada et plus rien ne l’arrêterait.

---Mais remonter pour remonter, allons un peu plus loin. Pensez-vous que la révolution française soit issue de la volonté d’un peuple ? Non mon cher. Ce sont les caprices de la météorologie qui sont les véritables causes d’une des plus grandes tragédies de notre pays. Les trois années de famines, précédant le soulèvement de 1789, ont été un des principaux facteurs de l’insurrection sanglante dans notre pays.

--- Que faites-vous du trop plein des injustices, des privilèges ?

--- Oui, bien, sûr, et le manque de courage de Louis XVI à faire des réformes. Mais les raisons premières ce sont la faim, le froid, la sécheresse.

Après un court silence, il rajouta,--- pensez-vous que les privilèges et les injustices ont disparus ? Non, mon cher Morin, ils ont changé de camps, c’est tout. 

---Vous ne voulez quand même pas me dire que Louis XVI et Marie-Antoinette ont eu la tête tranchée pour cause de mauvaise météo. 

---Non, bien sûr, et ce ne sont pas les seuls à avoir été supplicié avec l’invention de ce cher docteur Guillotin. Combien de morts, combien de ruine et de malheur pour en arriver à la situation actuelle ? Ils ont même tués les rois morts depuis des siècles, enterrés à la cathédrale Saint Denis. Etait-il important pour la révolution de profaner 51 tombes ? De préparer une fosse commune  pour recevoir les ossements des hommes qui avaient fait la France ? Que venaient faire dans cette galère, le bon roi Dagobert, mort en 638, et le connétable Duguesclin, mort en 1380 ? 

---Et bien d’autres. Henri IV si mes souvenirs sont exactes.

---Oui, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, etc...etc...  Quels étaient leurs crimes aux yeux des destructeurs de la France.

Les deux hommes restèrent un moment silencieux. La douceur de cette après-midi d’avril ne laissait pas prévoir que la première guerre des Balkans débuterait en octobre de la même année.

Monsieur Morin contemplait les hirondelles indifférentes aux manigances et intrigues des hommes. Elles fendaient les airs virevoltaient, et d’une pirouette élégante, en douceur déposaient délicatement leurs contributions à la construction de leurs nids contre le mur de l’annexe de l’orphelinat.

Voulant sortir de l’exposé négatif de la révolution française de son supérieur, Monsieur Morin lâcha brusquement,--- admettez que la révolution était nécessaire. La liberté et l’égalité sont ses fruits… l’école pour tous…

Monsieur Santon sourit en pensant qu’heureusement il n’eut pas le culot d’ajouter la fraternité.

--- Croyez-vous que la France avait besoin de cette guerre civile ? Révolution ne veut pas dire évolution. Parfois, comme vous, en ce moment, nous voulons nous convaincre qu’on ne pouvait pas faire autrement et pourtant d’autres pays vivent dans un état de droit sans le carnage de sa noblesse, sans le pillage de ses châteaux, ses églises, sans le massacre vendéen. En un mot… Monsieur Santon cherchait un mot plus précis, plus adéquate et qui correspondait parfaitement aux pires exactions des années de la terreur ; l’élimination systématique d’un groupe humain, national, religieux ou ethnique, sans autres raisons que l’appartenance à l’un de ces groupes. 

Ce mot n’existait pas encore. 38 ans plus tard, un certain Lemkin parle de génocide pour désigner l’extermination  des juifs par les nazis, des tziganes, des handicapés mentaux, et tout ce qu’ils considéraient comme sous-hommes et opposants à leur secte. 

Il fut introduit définitivement dans tous les dictionnaires, encyclopédies et autres entre génito-urinaire et génois, génoises.

Monsieur Morin têtu, ---l’élimination de la noblesse, la dévastation de la Vendée furent des actes révolutionnaires. Les sacrifices sont parfois nécessaires.

--- Oui, quand il ne s’agit pas de vous.

--- La terreur fut une pénible parenthèse.

--- Vous appelez ça une parenthèse, des femmes, des hommes, Français arrêtés par d’autres Français, emprisonnés sans procès, emmenés dans des charrettes sous les huées de la foule vers le lieu de leur supplice. Une parenthèse, le parcours jusqu'à l’échafaud, la montée des marches vers la guillotine, insultés par un public  excité et hurlant, avant d’avoir la tête tranchée basculant dans un panier sanguinolent, puis exhibée par le bourreau à cette même foule avide de sang.

--- Vous avancez des détails morbides.

---Ces détails morbides ont été vécus. Une parenthèse “Les années de Terreur “ Dès que les mots entrent dans les livres d’histoires, ils perdent leurs véritables sens dans le méandre des dates. Batailles, exterminations n’ont plus de significations concrètes. Juste une liste que nous apprenons par cœur, que les enfants ont intérêt à retenir s’ils ne veulent avoir un zéro en histoire. La saga humaine n’est assurément pas un conte de fée, on n’y raconte pas le bonheur des peuples, mais plutôt une compilation chronologique de l’anéantissement des plus faibles par les plus forts.

Après un silence,---Sans cette succession de conflits armés, quels seraient nos points de repère ? En dehors de la bataille de Trucmuche, le sac de la ville de Bidule, l’assassinat de chose...Avez-vous d’autres points de repère, Monsieur Morin ? 

Monsieur Morin chercha en vain. Il ne dit mot.

Monsieur Santon poursuivit. --- Comment expliquer aux jeunes élèves tout le mal qu’a fait la République à sa naissance ? Ils me prendraient pour un réactionnaire, penseraient que je suis royaliste... ou bonapartiste, dit-il en souriant. De toute façon je ne suis pas sûr qu’ils comprendraient.

--- Oui, mais aujourd’hui nous vivons dans le pays des droits de l’homme. Le code napoléon est quand même une étape importante de notre évolution.

--- Vous êtes un utopiste, Monsieur Morin, certains hommes, Bonaparte y compris sont de grands opportunistes, des apprentis sorciers. Ils sont à l’affût, l’Histoire les fait sortir du bois. Créer au nom d’un ordre nouveau laisse présager beaucoup de destructions et pourtant ces deux mots sont souvent associés.

À bout d’arguments, Monsieur Morin dit, --- Les politiciens ne sont quand même pas des imbéciles au point de vouloir un conflit armé.

--- L’intelligence n’est pas une condition nécessaire pour gouverner les hommes. C’est comme courtiser une femme, mon cher, il suffit d’être beau parleur.

--- Si j’étais à la place de nos dirigeants…

--- Vous n’êtes pas à leur place, mon ami. Deux des grandes spécialités françaises sont si et ilyaqua fauquon. Rappelez-vous de la conférence internationale pour la paix à La Haye, En 1907.

D’une mimique, Monsieur Morin fit un geste évasif.

--- Je vais vous rafraîchir la mémoire. Les délégués admirent le principe de l’arbitrage obligatoire entre nations. L’Angleterre, la Russie, la France, les États Unis proposèrent d’aborder la question de la limitation des armements. D’après ceux-ci leur force destructrice devait conduire à une catastrophe dont les horreurs faisaient frémir d’avance. Les représentants de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie déclarèrent avoir reçu de leurs gouvernements l’ordre de ne point entamer ce sujet.

Monsieur Morin laissa vagabonder son imagination, --- Je vois le carnage, bombes lancées par avions, canons de gros calibres à longues portées mitrailleuses... non, je ne veux pas y croire. Serions-nous devenu fous ?

--- Non, nous ne sommes pas fous. Simplement humains.

Se redressant de sa petite hauteur, Monsieur Morin dit, --- Mais la civilisation occidentale, ça veut quand même dire quelque chose.

---Elle a bon dos la civilisation occidentale. Civilisations occidentales ou pas, il y en a eu d’autres. Elles se sont toujours fait la guerre. Nous ne sommes pas différents. L’histoire humaine est une longue suite de minorités assassinées, massacrées, annihilées.

Tenez ! prenons la préhistoire. Pour les paléontologues la disparition des hominidés qui nous ont précédés, est paraît-il un mystère.

Pour moi, ça n’a rien de mystérieux, Monsieur Morin, ils se sont joyeusement, férocement exterminés les uns les autres.

Les plus forts, les plus malins, les plus sanguinaires ont anéanti les plus faibles. Nous les homo sapiens sommes sortis vainqueurs de ces tueries collectives.

---La terre était suffisamment vaste pour tout le monde. Quel besoin avions-nous d’éliminer les autres espèces d’humanoïdes ?

---L’herbe est toujours plus verte chez le voisin. Le prétexte de ses tueries ? Probablement un salmigondis de bonnes raisons : Le territoire, le terrain de chasse, l’anthropophagie ou tout simplement le racisme ordinaire inscrit dans nos gênes. Cette belle histoire de l’humanité, d’évolution en évolution, de massacres en massacres a commencé il y a environ 4,5 millions d’années… Et ce n’est pas prêts de s’arrêter.

Il y a environ 36000 ans nous avons sûrement exterminé le dernier des Néandertalien. Lui aussi était persuadé de tenir le monde dans le creux de la main.

Sans cette haine à faire disparaître tout ce qui ne nous ressemble pas, la grande famille des hominidés serait peut-être presque au complet et on ne se creuserait pas la tête pour trouver le chaînon manquant. Nous n’avons pas beaucoup changé, nous aussi, sommes certains d’être éternels et les massacres, ça nous connaît.

---Vous avez raison, et le goût du meurtre est certainement proportionnel à la taille de la boîte crânienne. 

---Monsieur Morin craignons la prochaine mutation de notre cerveau. Pour donner une pointe d’humour à notre conversation, imaginons une scène antédiluvienne.

Au milieu de nulle part, dans la forêt profonde une horde de Néandertaliens et une horde d’Homo Sapiens tombent nez à nez. La terre était vaste, la rencontre imprévue… fortuite. Une laie d’une centaine de mètres à gauche ou à droite et leurs descendants se seraient peut-être croisés plusieurs centaines d’années plus tard.

Ils s’épient… s’approchent lentement… se jaugent… s’arrêtent à une distance respectable… hors de porté d’un jets de pierres ou de lances.

Les Néandertaliens --- Que font ces métèques sur notre territoire. Ils veulent sûrement occuper nos grottes, manger notre gibier, violer nos Néandertaliennes. 

Les prêtres Homo Sapiens en contact permanent avec les dieux détenaient la vérité. ---C’est la volonté du tout-puissant, tuez toutes ces créatures. Nous, Homo  Sapiens, sommes les seuls à l’image des dieux, prêchaient les intermédiaires avec le divin.

Sans mauvaise conscience, en toute impunité, ils lancent des cris et se ruent la massue haute, sur les Néandertaliens, massacrant hommes, femmes et enfants.

Il y a 36000 ans nous restâmes enfin entre gens de bonne compagnie. La terre nous appartenait. Oui mais voilà, nous nous aperçûmes que le goût du sang était en nous.

Alors massacrer qui ? au nom de quoi ?

Nos meneurs trouvèrent la solution. Ils décelèrent de multiples différences suffisamment importantes justifiant d’autres tueries.

La race : sous rubrique ; la couleur de la peau, l’ethnie.

La religion : sous rubrique ; des dieux différents, les us et coutumes, l’idéologie.

Nous avions tous les éléments pour débarrasser nos territoires de nos ennemis, tuer les impies, étriper les sacrilèges.

La prochaine mutation verra probablement l’extinction de l’Homo Sapiens.

Monsieur Morin sourit. --- Vous avez raison. L’Homo Futuris en créant un nouveau isme va sûrement nous éliminer de la surface de la terre.

---Les règles  sont simples, Monsieur Morin. Traiter un homme d’inférieur, d’hérétique est le début d’un processus justifiant le pillage et l’extermination d’une civilisation souvent plus brillante que celle des assassins. En s’appuyant sur les dogmes d’une base légale, religieuse, idéologique ou politique, ou les trois à la fois, il n’y a aucun risque de traumatisme psychologique.

Minorités de la terre, les pourfendeurs, les étripeurs et les égorgeurs de toutes sortes ne vous laisserons jamais en paix. À un moment donné de votre existence, vous serez sur la route des “Ayant droit “plus puissants. Vous êtes foutu.

Voulant se dégager d’un certain malaise, Monsieur Morin extirpa la montre de son gousset. --- Vous avez peut-être raison, mais en attendant aujourd’hui, j’ai beaucoup de travail.

--- Attendez, je veux vous en parler d’une lettre reçue ce matin. Elle a été expédiée par un couple de commerçant de Beauvais. Ils ont une chambre de libre et me proposent de la louer pour une somme modique à l’un de nos protégés.

Relevant la tête, --- Vous voyer quelqu’un ?

Monsieur Morin sorti plusieurs papiers d’une de ses poches gousset. Il en tendit un à Monsieur Santon.--- Nous avons l’homme tout indiqué ; Adrien Levesque. Vous lui avez trouvé un emploi à Beauvais, dans cette usine d’outillages et moteurs électriques… j’ai oublié le nom.

--- La Compagnie des Moteurs Lambert. Il n’a pas de logement ?

--- Si, mais provisoire… au presbytère, il me semble. Il faut que je compulse mes dossiers.

Monsieur Santon repoussa son papier et lui donna la lettre.

---Faites le nécessaire.

Drôle de personnage pensa-t-il. Sans âge, petit, chauve, maigre dans son costume noir étriqué, une barbichette qu’il avait la manie de caresser en parlant. En qualité d’économe d’internat Monsieur Morin, fonctionnaire zélé prenait son travail à cœur. On le voyait circuler dans les couloirs, marmonnant dans sa barbe en consultant ses notes qu’il entassait dans les poches déformées de sa redingote. Les jeunes orphelins s’en amusaient, l’imitaient, mais l’aimaient bien.

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