Jus de comètes
clouds6
Vivre avec de la nuit à la place de la peau. Du goudron dans la poitrine. Et du vide dans les veines. Partout du vide, du creux, de l'invisible, incolore, inodore. Du sombre et du froid plein le crâne et les doigts, depuis toujours je crois. Des seaux entiers de glace, souffle glacé, cœur froissé, paupières gelées. Comme si mon être entier était un iceberg aux parois transparentes, fines, fragiles. Un monticule de vide, un énorme tas de solitude. Je crois sentir les courants d'air sur mon visage, mais le froid vient de l'intérieur. Ce sont les tornades qui m'habitent. Qui m'habillent. Habiles et destructrices. Douze ans après, de poésie, d'yeux bouffis, d'estomac creux ; assez ! D'innombrables espoirs, trous noirs, combats contre les rasoirs que sont tes mots que j'attends encore. Enfin le temps m'est venu d'ouvrir tout, du thorax au pubis, tout de moi sur une jolie table de papier. J'écris dessus, je gribouille des lettres, sans minutie aucune ni soin ni rigueur. La passion, un peu sale, m'en voilà les doigts maculés. Ma bouche est pleine de givre, de tonnes de cœurs congelés, une centaine possiblement. Tous ceux que j'ai essayé après chaque déraillement. Ces mots les voilà enfin ! Douze ans plus tard... Voilà ce que je trouve à te dire. Voilà comment je me sens. Il y a quelque chose qui se serre tout à coup, est-ce dans ma poitrine, dans mon ventre, est-ce du chaud, ou frisson glacé, sont-ce tes maigres doigts qui m'agrippent les tripes, sont-ce tes yeux vitreux qui me transpercent de part en part... Je ne sais. Et respirer je ne peux. Les tentatives s'enchaînent s'enchaînent et vlan et bam! je goûte encore le macadam. Je reprends connaissance, je retrouve mon vieil ami le vent qui transforme mes larmes en stalactites. Le stylo reprend sa place au creux de ma main. Petit à petit, ma mémoire... non. J'avais espéré que t'écrire m'aiderait à me remémorer qui tu es afin de t'écrire de jolies choses, mais à défaut d'être belles, elles seront uniquement vraies. Encore que c'est un fait qui demande à être vérifié. Mais, allez, je me lance, je me lance, et une deux trois pages de noircies. Je te raconte comment en douze ans, et même en vingt-deux, le vide à fait de moi cette princesse d'ivoire. De mon trône je guette, j'attends, engloutis l'espace et le temps. Ce monde alentour n'est plus que poussière, quoi de plus facile à avaler ! Bientôt huit pages, un millier de mots, et tout autant d'essais pour retenir le flot de bile qui menace de se déverser à tout moment sur toi et ton corps décharné. Je déglutis avec difficulté. L'évocation dans mon esprit de tes choix incompréhensibles et inexplicables me rempli toujours plus de vide, et d'épines sombres et empoisonnées. Je sens la boue monter, des chevilles au cœur. Je suis pleine de creux, une quantité infinitésimale. Pourtant j'ose enfin, m'ouvrir, te dévoiler mes plus noires pensées que ton absence à si généreusement nourries. Sur ces huit pages, à ras-bord de mots, à craquer de désillusions, le vide est partout présent. Un sacré paradoxe. Même les années où tu étais là, je ne te sentais pas. Pas parmi nous. Déjà trop loin. Peut-être étais-tu toi aussi transpercée de creux, d'ombres portées comme des cicatrices. Sûrement tiens-je cela de toi. Du moins c'est ce que j'aime à penser. Savoir que je ne sors pas d'un rien, de l'espace, que je viens de quelque part, je sors de quelqu'un qui m'a faite et m'a donné en même temps du souffle ces identiques cicatrices et facultés à mourir cent fois de l'intérieur en un rien de temps.
La redondance m'exaspère. Je t'hurle silencieusement dans le cœur l'écho de mes pleurs. Je te glisse subrepticement, au passage, à l'occasion, un peu de moi. Ici gît ce que j'aurais dû être, ce que j'aurais aimé devenir.
Quelqu'un.
Qui vient de quelqu'un.
Mais qui es-tu si ce n'est un rien ?
J'attends ta réponse, et continue de dériver sur les océans gelés dans l'attente de celle-ci. Le corps léger comme une fine pellicule de givre telle qu'on en aperçoit les rudes matins de décembre, l'esprit lourd comme du plomb qui conduit mes pensées au plus profond des volcans, là où rien ne vit. Toujours dans l'attente.