Jusqu'au bout du rêve...

Sève Maël

Il y eut un rêve qui ne valait la peine que s’il était partagé avec toi, car quand je t’ai connu, tout le reste a disparu. Et les paysages que je voyais et les voyages que je voulais se sont effacés pour renaître en toi. Et quand je n’y croyais plus et que je ne savais plus, c’est ta main qui toujours m’a fait retrouver l’amour et l’immensité du monde...


-          Elle avait vingt-trois ans quand elle est arrivée au Viêt-Nam. Vingt-trois ans et elle était enceinte de trois semaines. Elle avait toujours voulu partir, elle avait cela dans le sang comme elle disait, c’était en elle. Et je le savais. Longtemps j’ai fermé les yeux, je ne voulais pas le voir. Je préférais croire et faire semblant. Mais elle était libre. Ce n’était pas à moi de choisir sa vie.

Elle marqua une pause avant de continue :

-          Je savais qu’elle ne reviendrait pas. Il y a des regards qui ne trompent pas… Je savais qu’elle n’était pas comme nous, je veux dire comme la plupart des gens, comme moi. Je savais que jamais je ne la comprendrais. Car quand elle voyait une chose, ce n’était pas la chose en elle-même qu’elle voyait mais bien plus loin, dans un horizon qu’elle était la seule à contempler. C’était cela ta mère, un être empli d’amour, mais perdu au milieu de la société française, au milieu de ses réflexions et surtout au milieu de ses rêves.

Ses grands yeux étaient voilés par la douleur que représentaient ses souvenirs. Sa bouche souriait, mais d’un sourire nostalgique.

-          Je me souviens quand elle est venue nous dire au revoir, continua-t-elle. C’était peu après son premier retour de voyage, trois ou quatre mois après, je ne sais plus exactement. Je n’avais plus de nouvelles d’elle depuis un bon moment déjà. Je savais juste que Nathan était parti.  Puis un soir, le bruit de la sonnette a retenti et elle était là, derrière la porte. Pendant tout le repas, elle a ri et a parlé avec entrain, comme si de rien n’était. Pourtant je sentais bien que quelque chose la tracassait. Mais je n’ai pas posé de questions. Je ne savais plus rien de sa vie depuis tellement d’années. Elle ne me disait plus rien et quand elle appelait, c’était seulement pour prendre des nouvelles. Alors je ne lui ai rien demandé. J’ai respecté son silence.

Elle marqua une nouvelle pause avant de reprendre :

-          Elle a passé la nuit chez nous, et ce fut seulement le lendemain matin au moment de nous dire au revoir qu’elle nous a regardé au fond des yeux et nous a dit qu’elle partait «  Tu pars ? »  Lui ai-je demandé. « Oui ». Son père ne disait rien. «  Où ça ? » Ai-je ajouté. «  Au Viêt-Nam». « Et quand reviendras-tu ? » Ses lèvres ont alors dessiné un sourire énigmatique et tendre sur son visage. Ses yeux pétillaient. Elle semblait heureuse. Elle était belle. Ta mère a toujours été très belle. Peut-être était-ce pour cela que je refusais de la voir partir. Parce qu’elle aurait pu accompli tant de grandes choses en France. Elle était si belle et tellement intelligente. Mais elle a répondu, à mon corps défendant : « Je ne sais pas ». Je me souviens avoir cru mourir.

A ces mots, elle tourna son regard vers la clarté qui émanait de la fenêtre derrière elle et retint une larme.

-          C’était ça ta mère, reprit-elle après un instant. C’était ça. Et moi je ne savais pas quoi dire, je ne savais pas la voir ni la comprendre. Mais son père a souri. Il l’a prise dans ses bras, l’a embrassée sur le front et lui a murmuré : « Va ma fille, tu es libre. Je te l’avais dit, tes rêves ne sont pas ici. Va les retrouver. Nathan reviendra aussi. Crois-moi. Sa vie est auprès de la tienne. ».

Elle marqua une pause, avant de reprendre :

-          Je me souviens de ses paroles par cœur. J’avais été jalouse, jalouse qu’il la comprenne si bien et l’approuve. Puis elle est partie, acheva-t-elle d’une voix tremblante.

Le cœur lourd, elle contempla à nouveau le paysage qui se dessinait derrière la fenêtre, le gris des arbres.

-          Elle est partie, répéta-t-elle.

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