Justice des pauvres
Jean Claude Blanc
Justice des pauvres
Il est venu avec les flics
Faire le tour de ma boutique
Etiquetant avec ardeur
Tout ce qui a de la valeur
Huissier de Justice, brandit sa plaque
J'en suis restée vraiment patraque
Me prendre mes meubles, mes souvenirs
C'est mon histoire qui expire
Mes deux marmots, tout affolés
De peur cachés dans le buffet
Mais sans fout bien, la République
N'écoute pas mes vaines suppliques
Rien à offrir, j'ai tout perdu
Et la santé et le boulot
Même ma tête ne tourne plus
On m'a saisi, même mon cerveau
Prend tout son temps, le gros guignol
Un peu sans gêne, fouille les placards
Même les chiottes et toutes les piaules
Il peut chercher, moi, je me marre
Car je n'ai pas moindre dollar
Ses deux képis montent la garde
Craignant mon envie de sauter
M'accroche encore à la rambarde
Car j'ai deux gosses, à faire bouffer
Peut m'engueuler, moi, je m'en fous
Me menacer me mettre au trou
Mais c'est du bluff, pour me faire avouer
Si j'ai rien d'autre à déclarer
Justice des pauvres, met pas les formes
Car me chapitre, l'autre métronome
Suis dans la mouise, pas son problème
Poursuit son rôle, sans foi, ni haine
Me dis parfois, pourquoi lutter
De toute façon, je suis fauchée
Peut-être la DDAS va m'assister
N'ai que mon corps à donner
Boucle son cartable, me tend la main
Un peu gonflé, le charognard
Va revenir, c'est certain
Mettre les scellés sur mon appart
Je n'ai pas tué, n'ai pas volé
D'avance je suis condamnée
Un homme, un vrai, il me faudrait
Pour m'épauler, en plus m'aimer,
Sûrement c'est trop, en demander
« Maman, j'ai peur du monsieur
Qu'est-ce qu'il voulait…te faire du mal ?.. »
Réconforter mes mômes anxieux
Ça me remonte le moral
Mes potes voudraient me faire l'aumône
J'ai ma fierté, je me dérobe
Un bout de pain, un bol de lait
Mes deux enfants, sont habitués
Toutes mes nuits à ressasser
Où j'ai chopé cette manie
Enfer moderne, toujours payer
Même si on n'a plus un radis
Demain, encore, j'irai pointer
Au pavillon des sinistrées
Ça sert à rien, mais obligé
Pour percevoir, quelques deniers
Tardive pension alimentaire
Et des allocs de misère
Pas à la noce, tous les jours
On se gave de patates au four
Si j'avais pas mes tendres loupiots
Me balancerais, au bout d'une corde
Car ma vie, compte pour zéro
Mais ça ferait un peu désordre
Maman, toute seule au foyer
Pour la loi, mère célibataire
Tellement a honte la société
En termes châtiés, nomme la misère
Rien inventé, mais tout noté
40 années, panser les plaies
De ces victimes d'injustice
Mais du système, le complice
Ça l'arrange bien, pompier de service
AS, détresse, femme en danger
Déjà le feu a tout cramé
S'il reste quelque chose à sauver
C'est à coup sûr, ma dignité JC Blanc juillet 2022 (mémoires d'AS)