la bague égarée

Simon Lecoeur

A l'origine de la rupture de mes parents, j’avais placé la disparition mystérieuse de la bague offerte à mère quelques semaines auparavant ; un bijou ancien de très grande valeur, comme mon père l'affirmait. Le cadeau avait été repéré et acquis dans la boutique d'un illustre antiquaire. Je me souvenais encore parfaitement de l'écrin, une petite boîte octogonale de couleur sombre, une garniture riche en velours, un poussoir dont le système sophistiqué d'ouverture se développait en deux temps pour dévoiler la pierre étincelante. La bague devait receler un pouvoir magique, un talisman digne des contes de fées. Car ma mère, avant de la passer à son doigt, nous l'avait faite essayer à mon frère et à moi comme pour nous associer au malheur qui allait survenir ensuite.

La bague n'apporta aucun prodige, mais son vol ou sa disparition peu de temps après l'acquisition provoqua l'éclatement de notre vie familiale. Père observa bien un soir au dîner que mère ne portait plus le bijou à la main droite. Nos premières recherches ne donnèrent rien. Un dimanche après midi, nous voilà tous les quatre à quatre pattes dans l'appartement, à jouer à la chasse au trésor, l'appartement fut fouillé jusque dans ses moindres recoins. A cette occasion là, nous étions encore unis, mais, pour la dernière fois.

Peu d'années après, je découvris dans la pièce de Shakespeare, Le Marchand de Venise, le même épisode de l'anneau échangé puis égaré.

"- Et maintenant au moment où je parle, cette maison, ces gens et moi-même, vous avez tout, mon seigneur. Je vous donne tout avec cette bague. Gardez-la bien ! Si vous la perdiez ou si vous la donniez, cela présagerait la ruine de votre amour et me donnerait motif de récriminer contre vous."(1)

C’est la belle princesse Portia qui fait jurer son fiancé Bassanio de conserver la bague remise en gage car elle concentre la force des liens amoureux. Or, l’une des péripéties de la pièce présente la disparition du bijou. Le jeune amant est contraint de s’en dessaisir et de l’offrir à un parfait étranger.

"- Monseigneur, donnez-lui la bague. Que ses services et mon amitié soient mis en balance avec la recommandation de votre femme."(2)

 Ainsi, à la lecture de cette tragi comédie, j'associais de manière confuse l'aventure des personnages à mon histoire familiale.

"-  Je dois être franche avec vous, vous étiez à blâmer de vous séparer si légèrement du premier présent de votre femme : un objet scellé à votre doigt par tant de serments et rivé à votre chair par la foi jurée ! "(3)

(1) Shakespeare, Le Marchand de Venise, III, 2, trad. F.V. Hugo, NRF Gallimard

(2) Ibid, IV, 1.

(3) Ibid, V, 1.

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