Là-bas, des lions!
Sylvia Herbez
...Là-bas, des lions!
La jeune femme arrête le groupe d'un geste. Il faut se retirer lentement, naturellement, et trouver un abris. Bien que redoutée, elle attendait cette rencontre depuis longtemps. Si la présence des fauves présentait tous les dangers pour le groupe, elle était aussi la preuve du passage des rennes et l'espoir prochain de fournir de la viande pour de nombreux jours. Les enfants l'ont compris. Laissant leurs jeux bruyants aux remous de la rivière, ils fondent leurs mouvements dans ceux de leurs ainés et, dans un parfait mimétisme, tassant leurs silhouettes, reculent sur les pierres glissantes du fleuve. Le
groupe rebrousse chemin lentement. Un instant, il lui semble que les fauves ont senti leur présence. Ils tournent les têtes dans leur direction. Le groupe s'immobilise. Dans ce face à face, les regards se jugent, se considèrent. Les deux dominantes se toisent avec ce respect de l'instinct sauvage. Elles ont en charge chacune la survie de leur clan. Hommes et fauves se rejoignent dans cette même quête: la survie. Mais aujourd'hui, les fauves semblent apaisés. Le repas a eu lieu sans doute il y a peu. Après quelques gorgées, ils amorcent la traversée du gué. La jeune femme est soulagée.
A travers les herbes qu'agite le cours puissant du fleuve, d'énormes hippopotames s'ébrouent, longs de cinq mètres et pesant deux tonnes et demi. Le lieu n'échappe pas aux conflits d'intérêt! En aval, quelques cerfs approchent déjà leur gigantesque carrure près du rivage pour se désaltérer. La jeune femme sait qu'elle peut se mettre à la recherche d'un endroit pour installer les siens. Les roches blanches striées de noir la confortent dans sa décision. Elles fourniront la pierre pour s'armer. Les enfants savent chercher dans l'eau les rognons de pierre noires détachées des falaises. Les galets du fleuve serviront de masse pour les tailler et s'armer de coup-de-poing. Il faut faire halte, attendre le gibier. Une fois les ventres remplis, on laissera les pierres sur place et on se remettra en marche le long du fleuve à la recherche d'autres hommes. Il le faut.
Mais déjà, le soleil amorce sa descente derrière les parois et le jour semble plus court. Le groupe se décide pour un enfoncement dans la roche propice à se regrouper et se protéger des prédateurs nocturnes. La jeune femme peut alors se laisser tomber dans le calme de la nuit. Les quelques fruits récoltés lors de la marche ont suffit à calmer les tiraillements du ventre, la fatigue a fait le reste. Elle seule, semble rester éveillée. Attentive au moindre bruit, elle veille. Une lumière blanche éclaire plus de coutume l'entrée du refuge. Sans vraiment savoir pourquoi, elle commence à caresser la pierre blanche. Une bosse l'invite alors à deviner le ventre de ce cerf aperçu tantôt
prometteur du confort vital tant recherché. Machinalement, elle frotte puis gratte la roche. Une patte apparaît donnant à la créature l'impression de prendre vie sous ses yeux. Poussée par une pressante image, elle attrape une des pierres laissée par un enfant et continue de graver. Bientôt l'animal apparaît. Elle sourit. Ses genoux lui font mal. Elle décide de les étendre. Juste un moment.
Au loin le cri d'un bec crochu l'invite à s'abandonner au sommeil. Encore un regard sur la lumière banche et elle disparaît dans l'oubli de la nuit.