La belle et la bête ( Théâtre de papier )

Jean François Lucido

La belle et la bête. ( Théâtre de papier )

La belle
et
La bête.

                                      

« Il était une fois sera toujours »

*

                                 Un conte librement recomposé au feu                            

                  de mes six chandelles et, après relecture de l’œuvre

                                                              De

 
                                                           Jeanne - Marie Leprince de Beaumont.                                                                                                                    

                                                    ( 1711 – 1780 )
                                                                *

                                      CHRYSOPEE THEÂTRE                                           

    *    

Garabasel.
   
                                                                                                                                  … A toi, la  fleur de lys d’eau.

*

"Tout l'univers obeit à l'amour, aimez, aimez, le reste n'est rien."

                                                                                                                                                         Jean de Lafontaine. 

 Le théâtre ouvre ses lourds rideaux rouges.

Segment I

En 17…Une guerre fait rage au royaume de France. Sons de canons et cri de fureur.
Décor de livres immenses empilées les uns sur les autres ou debout sur leur tranche avec des toiles d’araignée, le sol couvert de feuilles mortes. Un rugissement de fauve s’entend au loin, un cri d’animal blessé...
Une jeune fille tenant une poupée à la main est éclairée par une poursuite. Elle semble fuir à travers la forêt de livres !Elle a peur. Elle trouve refuge dans un espace calme. Le rugissement de fauve s’estompe.
Elle se prénomme BELLE. Elle chuchote à sa poupée prénommée Rébusine.


                                       BELLE.(Prie pour se rassurer)


« À la rosée du rêve,
Une flamme, heureuse
D’une pleine vie,
Brûle mon cœur
D’eau vierge bénite.

À la rosée du rêve,
Son chant de larmes
Abreuve mes ébats,
Creuse mon corps
De folles batailles.

À la rosée du rêve,
Ma douce, sonate
D’un lointain émoi,

Mouille mon front
     De pensées vagues….


                                       UNE OMBRE (connaissant son poème prière)

…Et les rires, au fond des corps, embrassent le désir des morts. »
Toi qui fuie, ose.
Toi qui parles enfin, arrosent tes rêves d’une sage folie… Songe d’un monde en repos...

BELLE

Qui tente d’interrompre les pleurs d’une jeune fille, en proie à ses nouveaux démons ?
 ( Silence. Cri d’un fauve). Qui se risque à clamer ma poésie ?( Silence. Cri d’un fauve).
Antique chimère, sortie d’un dangereux grimoire aux pages poussières, oubliée dans les caves obscures de l’enfance. Silence. Voix de nulle part, tels ces mages sots et ces faux prophètes pestant et hurlant le temps en mal fortune, s’obstinant à nier l’évidence du réel… Dans leur orgueil déplacé.

        UNE OMBRE

Belle ! Belle ! J’ai désiré l’ennui et les nuits plaisirs,
J’ai refusé ma vie, l’âme vidée du fruit interdit, j’ai osé partir,
Caressé ma ligne de fuite. Immobile, je retourne à l’appel
Du festin de pierre et retrouve mes mots en peine. Belle…Belle…Où es-tu ?

Belle soupire et serre très fort sa poupée sur son corps. Sons de canon et cri de fureur.

NOIR


Segment II


LUMIERE

Belle ouvre un immense vieux livre et installe sa poupée en unique public. Elle lui fait la lecture. Derrière Belle, un théâtre d’ombre s’active.

BELLE

Il
était une fois un riche marchand qui avait pour seul plaisir d’élever ses six enfants, trois garçons et trois filles. Comme ce marchand était homme d’esprit, il n’épargna rien pour l’éducation de ses rejetons et leur donna toutes sortes de maîtres. Pour les garçons, le père voulut qu’ils sachent manier les armes à feu et la botte du fleuret, la prose envieuse et la poésie hermétique des grands penseurs de ce bas monde et… Surtout faire d’eux des adeptes de la science exacte du profit et de la rentabilité dans le monde occulte des affaires. Hélas les jeunes gens n’entendirent point de cette oreille économique l’éducation réaliste d’un père préoccupé par l’avenir de ceux qui font les richesses des grands de ce monde. Non ! Les jeunes gens furent tourmentés par les plaisirs du corps et de la bonne chère !


TABLEAU DU BANQUET.

Un immense livre forme une table. Surgissent de derrière l’écran blanc du théâtre d’ombre, trois jeunes hommes, aux allures bourgeoises et ivres ; ils sont accompagnés par des jeunes filles aux mœurs légères.

                                      

Ambiance de fête et de luxure.


       Le premier jeune homme

Buvons ! Mes frères et remercions notre père de nous donner les moyens de profiter de la vie…(rire) Ces jeunes filles aux formes et courbes généreuses nous gâtent de leurs vertiges
charnels. Mère nature a semé de belles plantes sur notre terre…Qu’elle puisse hâter nos envies de cueillettes ! Buvons et jouissons de l’instant !

          Le deuxième jeune homme

Chut ! Mon frère, l’on pourrait nous entendre et Père pourrait bien nous couper les vivres s’il apprenait notre débauche, son courroux n’aura d’égal qu’un pauvre innocent condamné face à la potence…

            Le troisième jeune homme

Qu’insinues-tu ? Mon frère, tu oses insulter la jeunesse qui fait fi d’un monde étriqué et mesquin, un monde bourgeois où les hypocrites et les lâches sont rois ?

                                     
        Le deuxième jeune homme

Mais…L’argent appartient à père et nous nous conduisons comme des manants et des gueux…Des traîtres…

      Le troisième jeune homme

Répète tes propos, malappris et profiteur ingrat…( Ils se lèvent et se battent à l’épée)

    Le premier jeune homme

Allons ! Allons ! Mes frères, a-t-on vu dans notre beau royaume de France des frères de sang se battre comme de vils pirates et de loups haineux, veuillez vous réconcilier…(Il titube) Ce vin est du nectar des dieux…(rire)Embrassez-vous et consommons ces diablesses impatientes, par Mère nature. (rire) Jusqu’à la lie !


NOIR


Segment III

BELLE

Les frères ainsi furent unis dans leur dévotion à l’orgie frénétique des sens en éveil aux dépens de leur généreux et naïf père. Quant aux trois filles, elles étaient belles avec du caractère très prononcé, ce qui attisait les regards et les convoitises des riches marchands ; les deux cadettes avaient beaucoup d’orgueil parce qu’elles étaient imbues de leur personne et indifférentes à la petite sœur qui ne donnât plus signe de vie depuis qu’elle s’était enfermée dans sa chambre avec plein de livres…Comme c’est étrange… On parle de moi, amie Rébusine, et de ma passion des livres ! Donc…

TABLEAU DE LA MEDISANCE.

Deux jeunes filles en tenues légères, assises sur une pile de livre, prétentieuses et méchantes, crachent leurs venins sur leur petite sœur.

                                     
L’aînée

Quelle sale peste ! Elle ose nous renier et nous humilier, elle n’a rien compris au monde qui nous entoure. La vie des jeunes filles de grandes familles est faite de mariage, de dot et d’oisiveté !


     Sa deuxième sœur

Pour qui se prend-t-elle la lectrice des proses perdues ? Les gentilshommes n’ont d’yeux que pour sa beauté ! Belle, belle au bois dormant (rire moqueur) les traits de visage ne sont pas seules affaire sensuelle aux bêtes libidineuses qui courent et galopent dans notre sensuel royaume… (rire coquin).

 L’aînée

Je suis mieux foutue qu’elle, j’ai des seins qui font envie aux moines lubriques et hommes d’esprits…(Elle se palpe). C’est de la bonne qualité ! Mère nature a été d’une grande générosité ! Les soldats de sa majesté seraient plus que ravis de tâter du gras, en ces temps d’abstinence.(Soupirs langoureux)

        Sa deuxième sœur

Et moi, j’ai une croupe qui damnerait pour l’éternité, les pensées lubriques des libertins tourmentées par les orifices en feu dans les enfers d’alcôves…(Rire et gémissement de plaisir) Que je sois livrée pieds et poings liés au plaisir de ce monde…Surtout avec une forte récompense sonnante et trébuchante, qui me sera due pour mes prestations prometteuses. Ah ! L’amour…C’est ma nature ! (gémissement de plaisir).

       L’aînée

S’il vous plait, ma sœur, cessez cette litanie d’éros, vous pourriez m’ouvrir l’appétit…(Elle saisit sa sœur et la caresse d’une main sensuelle), et nous serions impatientes comme de frêles âmes chaudes en quête de la petite mort. (Rires coquins des deux sœurs)

NOIR

Segment IV


           LUMIERE           

BELLE

Ainsi mes sœurs ne pensent qu’à la bagatelle  ! Quelles pestes immorales ! Elles ne savent pas à quel point elles font du tort à père.  Quant à mes frères, ils sont pathétiques et pitoyables dans leurs cynismes froids, ils jettent l’opprobre à notre défunte mère…Je suis si triste et lasse de savoir mes liens de sang se conduire comme des monstres qui griffent mon cœur de larmes de désespoir. (Belle referme violemment le livre.)

    LE PERE

Belle ! Ne t’indigne pas. J’ai usé tout ce qui était possible de faire afin que vous ayez une vie digne d’un père de famille attentionné. Hélas, Mère nature m’a abandonné à mon triste destin ! Je suis tellement fatigué, tant épuisé que notre fortune n’est plus flamme d’antan. Nous sommes ruinés, Belle, ruinés. Il ne me reste qu’une vieille petite mansarde hors de la ville dans un champs, mansarde que j’ai pu négocier péniblement à mes créanciers ; il faudra travailler dur pour labourer la terre et récolter les fruits de notre labeur. Nous deviendrons dorénavant des honnêtes paysans. Mais, aurais-je la force de surmonter cette étape de ma vie et de rembourser ma dette. Ah ! Si votre mère était présente comme la vie serait délicate au fil inconstant de mes vieux jours. 

                                      
         BELLE

Ayez le cœur à l’ouvrage, mon bon père, je serais à votre côté pour suppléer aux taches quotidiennes de notre nouvelle vie, je serais appliquée afin qu’il ne vous arrivât plus de tristesse et d’aigreur à l’hiver de votre vie.

            LE PERE

Belle ! Tu me fais tellement penser à ta défunte mère, tu parles aux pauvres gens avec tant de bonté que le ciel me pousse à prier le sort de mes autres enfants. Ah ! Sulfure des œuvres de libertin !

             BELLE

Les temps sont venus pour eux de laver leurs gangues d’immoralités, et remettre au pied de l’autel du destin, les sacrifices qui s’imposent. Mère nature a ses raisons que la conscience ignore.


Segment V


Belle rouvre le livre. Théâtre d’ombre reflétant la nouvelle condition de la famille et les montrant au travail dans les champs.

NOIR

LUMIERE


Segment VI

La poupée Rébusine est assise sur un livre.
Belle est à terre lavant le sol avec une pièce, frottant les livres et rapiéçant les vieux habits de ses frères. Ses deux sœurs en tenues légères assises baillant sur une pile de livres se liment les ongles et s’ennuient de leur nouvelle condition sociale. Elles la regardent avec force de l’arrogance.

Segment VII

LES DEUX SŒURS (ensemble)

Regardez la souillon, elle a l’âme si basse et si stupide qu’elle est contente de sa malheureuse condition. Cette partie de la pièce est sale…Toute maculée de cendre ! Frotte vile salamandre !

Un jeune homme en trottinette à vapeur, beau comme un prince et fringant comme Sganarelle, demande sa route aux deux sœurs assises.

                                     

                          LE BEAU JEUNE HOMME (en trottinette à vapeur)

Pourriez-vous, gentes dames m’indiquer la route qui mène à l’auberge de l’étoile du matin ? Je me suis perdu. Ayant suivi plusieurs sentiers, du reste odoriférants, je ne reconnais plus mon nord du sud. Votre gentilhomme commence à avoir son estomac dans ses talons, j’ai chevauché cette étrange contrée durant trois jours et trois nuits, je ne tiendrais pas une journée de plus. Mes forces commencent à me quitter.

LES DEUX SŒURS (ensemble)


La science progresse à grands pas à ce que nous voyons et à imposants coups de nuage (rires).
Messire, Nous! Nous ne sommes pas perdues. Mais si vous désirez à ce point l’information qui vous tient au ventre, il vous sera facturé vingt écus. Nous savons où se niche l’auberge de l’étoile du matin ! Vingt écus… Sonnantes et trébuchantes…Cling, cling !

                                      

LE BEAU JEUNE HOMME

Je n’ai pas pour habitude de traiter avec des filles de pensée. Mais ce soir, je ferais une exception à la règle, mes forces me font défaut. Sautillez, voilà vos vingt écus et allez au diable !

BELLE

Non ! Sire, l’auberge de l’étoile du matin se situe à sept lieues de ce chemin- ci. Gardez votre argent et ne prêtez aucune attention au propos déplacé de mes candides sœurs.

       LE BEAU JEUNE HOMME

Par Mère nature ! Si l’on m’avait dit qu’une gente jouvencelle eût écouté ma requête, je n’aurais point perdu mon temps devant ces hydres à deux têtes de mauvaise fortune. Merci pour l’information, ma douce, belle comme l’aurore. Ne dites plus un mot ! Pour vous remercier de votre délicatesse, je vous offre cette rose rouge et sauvage que j’ai cueillie ce matin dans un jardin près d’un lac argenté ; m’étant égaré, elle a attiré ma curiosité... Une bien belle fleur pour pousser l’étude de la botanique, c’est une espèce en voie de disparition, me semble-t-il .Elle est à vous dorénavant, ma tendre, prenez-en soin !

Le beau jeune homme monte sur sa trottinette à vapeur et s’enfonce dans la forêt de livres.


Segment VIII


                                       LES DEUX SŒURS (moqueuses)

Merci, ma douce, belle comme l’aurore ! Je vous offre cette rose rouge et sauvage que j’ai cueillie dans un jardin près d’un lac…Argenté ! Elle est à vous ma tendre ! Je t’en fouterais des manières galantes…C’est une espèce en voie…De disparition !


Elles s’emparent de la rose rouge pour l’écraser de leurs pieds et de la poupée pour arracher ses bras. Elles s’opposent à la fabrication hors norme de la poupée Rébusine.

                                      

                                       BELLE (à une de ses sœurs)

Qui ne tendrait pas pour fable, un sourire si plaisant
Se fier ait au diable, en une poussière de temps ;
Si j’ai l’air conne avec ma prose et mes poèmes
Absolument rien n’excusera vos fétides haleines !

Belle récupère avec rage sa poupée et regarde l’âme en peine les pétales de sa rose rouge et sauvage éparpillée à terre. La dernière de son espèce, d’après le dire du bel inconnu !


                        LES DEUX SŒURS (dédaigneuses)

Tâche, notre sœur, d’être heureuse dans ta nouvelle vie de… Souillon !( elles soufflent leurs mauvaises haleines sur le visage de Belle). Ce n’est pas de notre faute si les repas laissent à désirer !(rires) Nous avons une mauvaise cuisinière.(rires)


Belle frotte à nouveau le sol.


Segment IX

Belle parle à sa poupée Rébusine.

 BELLE

Je vais te confier un secret, amie d’infortune, Père est allé ce matin au port pour accueillir un vaisseau sur lequel il doit récupérer son plein de marchandise. Peut-être que le sort ne s’acharnera plus sur nous…Du moins assez pour avoir un temps de répit face à ces deux vouivres.

                                       LES DEUX SŒURS (en alternance).

Nous allons rajouter un autre secret, chose de chiffon, nous fûmes informées du départ de père, bien avant que Belle ne l’apprît. Nous lui avons demandé de nous ramener des robes de lumière, du parfum d’amour et des dessous du désir d’Eros, afin que nous puissions nous
échapper de ce maudit taudis, et allions au bal des futures promises pour nous montrer, et choisir impatientes nos futurs époux, telles que nous sommes. Ce que femmes veulent, Mère nature veut !

Elles dansent sur une musique baroque. Elles s’éloignent et se confondent dans le théâtre d’ombre.

Segment X


  LE PERE

Et toi, Belle que veux-tu que je te rapporte de ma destination inespérée et miraculeuse.

                                      
BELLE

Une rose rouge sauvage, Père, car il n’en viendra plus dans cette contrée oubliée, une rose sauvage pour me souvenir d’un si doux sourire et rouge comme l’éclat de mes lèvres.


 LE PERE

Si tel est ton souhait, je ferais tout ce qui est fort de mon possible, pour t’apporter une rose rouge sauvage fraîchement cueillie à la rosée du matin.


Belle est ravie et sourit à sa poupée. Sa poupée se met à parler en voix hors champ.
Petite musique, une mélodie d’une boîte à musique afin d’accentuer le côté magique des êtres inanimés : les poupées.

Segment XI
                                                            

  Rébusine
    Monologue de la poupée.
  Une voix.

Celui qui a aimé aimera comme la première fois, et sentira dans son corps et dans son âme les forces terribles de Mère nature, Mère-Grand divine et redoutable ! L’amour joue toujours son dernier tour à sa victime, telle la caresse d’un ange dans un corps grossier…Lui chuchotant dans le creux de son âme sa complainte d’être une bête traquée ! Grand sentiment que l’amour, grand comme un univers en gestation.
                           
   

Rébusine

                          « Invisible du grand nulle part
                                Qui revient de loin, au loin
                                Une voix dans le matin tard,
                                Noyé au bain
                                De mon eau si rare…
                                Entends-Tu mon corps
                                Qui se noue à toi ?
                                Entends-Tu ma peine, bizarre
                                Comme un petit rien,
                                Et me détache de toi… »

Fin de la mélodie de la boîte à musique.


                                                                                                Segment XII

LE PERE

Comment expliquer à mes filles qu’elles n’auront pas les toilettes désirées ni les parfums enivrants dont elles rêvaient ? Et comment affronter la tristesse de Belle, elle qui ne souhaitait qu’une rose rouge sauvage ? Je ne suis bon qu’à encaisser des procès, des railleries et la honte, mes créanciers m’ont attendu au quai…Fais ce que doit, adviendra qui pourra ! Je ne suis qu’un pauvre homme maudit par Mère nature.(Une musique glaciale se fait entendre)
Peste, le vent et le froid me prennent à témoin dans mon infortune !

Le père, ayant perdu la route du retour, aperçoit une vieille chaumière et entre ainsi dans une nouvelle dimension.

Segment XIII


La musique glaciale se fait toujours entendre et, une plainte d’animal en souffrance affronte les silences du froid. Un homme de noir vêtu fait une apparition. C’est la bête qui souffre de solitude. Il est assis sur un livre à côté d’un château en miniature, tel un roi déchu.

Segment XIV

LA BÊTE

Que n’ai-je point fait pour mériter ce drame ? Mes regrets, parfois, et mes tourments, souvent, s’attardent au fond, à corrompre dans leurs tristes sermons, ces rares instants de cendre dans les feux du temps. À tort ou à raison, mes yeux de lave, mon cœur brûlé, mes hiers incendiaires érodant mes illusions déchues, crachent de temps en temps, les braises folles des souvenirs perdus. Mes tourments et mes regrets…. Ma malédiction distille dans son poison rare des larmes ivres du mercure vif, goutte-à-goutte dans ma cave destinée. O ! Peine folle…Faire ce qu’on n’a pas fait, toujours, au loin, le songe vole. Ma belle, je t’ai attendu depuis fort longtemps, je t’attends à travers mes siècles de damnation…


Segment XV


Le père ouvre la porte de la vieille chaumière, il aperçoit un homme très agé qui travaille sur des alambics et un vieux grimoire. C’est un moine alchimiste solitaire et aîgri.

LE MOINE ALCHIMISTE

J’ai rongé, un soir d’enfer
Dévoré par le feu d’un grimoire,
Mon visage au goût amer…
Et déprécié ce nouveau regard.

Le miroir prit sa part,
Me jeta la forme du reflet !
Désormais, en ma mémoire
Est fâché l’encre du bizarre.

Ni le doute, ni le hasard,
En d’occulte matière
Ne me laissèrent choir
Du mystère, en leurs mânes solitaires.

L’âme obscure d’un désir noir,
Mes ténèbres, mes courages,
Un soir d’hiver, une nuit sur terre ;
J’ai osé tutoyer l’ouvrage.

J’ai lu tonnerre un soir d’éclair,
Le curieux chapitre dérisoire
D’un charme, vivant à l’envers
D’un monde, et reniant sa gloire.


                                       

LE PERE

Veuillez m’excuser de vous distraire dans votre oraison, brave homme, mes pas sont perdus et la nuit commence à déployer son lourd manteau d’étoile au-dessus d’une gaste terre abandonnée par Mère nature. La faim et le froid me gagnent. Je vous demande l’hospitalité pour la nuit.

             LE MOINE ALCHIMISTE

Vous ne me distrayez nullement, messire, mais voyez-vous avec tout le respect qui vous ai dû, sur la loi de l’hospitalité, je n’ai rien à vous offrir. Mon humble demeure, si demeure fut : alambics, cornues, soufflets, crâne de sorcière et vieux parchemins ; ma chaumière, vile et ovale, est prise par le froid de la quadrature du cercle, et les quelques charbons qui me restent me servent à couvrir la chimère philosophale ; quant à la nourriture, hum ! C’est la disette en ces temps de guerre… Mère nature n’est point charitable avec moi ces derniers temps ! Mais, continuez ou passez votre chemin, le destin d’un homme, qui a faim et froid, trouvera toujours fortune, loin, loin…Loin de cet enfer...

LE PERE

Mais…

                      LE MOINE ALCHIMISTE

Fuyez et prenez garde à vous ! Les forces de la nuit sont déchaînées, je ne peux que vous offrir cette modeste lanterne et une pomme un peu gâtée. Elle vous éclairera certainement vers un meilleur logis providentiel…Pourvu que l’esprit vous allume et soit avec vous ! (sourire) Allez, allez… (Il vaque à sa préoccupation philosophale) Il doit me rester quelques bougies…Bah ! Cette pomme n’était qu’une ancienne commande de cette vieille sorcière qui fait tellement peur aux nains de la montagne des mines.(Rire) Elle voulait une pomme empoisonnée !(rire) Je n’ai jamais été un empoisonneur de nains !(Rire et doute)Du moins, je l’espère !(Il regarde son athanor).


Segment XVI

La bête, ayant admiré la scène du moine alchimiste et du père, prépare sur le plat d’un livre un repas plantureux composé de viande, de légumes, de fruits et de vin, accompagné d’une douce et délicate musique.

                                    

LA BÊTE

De la visite ! Louée soit Mère nature ! Elle veille toujours au grain !


Segment XVII


    LE PERE

Honni soit qui mal y pense ! Le vieux fou eut raison de me léguer sa vieille lanterne ! Voilà une table dont ne renierait point l’illustre maître François RABELAIS.(Il jette la pomme) Les mets sont attirants et le vin du meilleur cru. Le propriétaire doit être grand seigneur pour offrir ainsi une moult garniture culinaire à une âme égarée !


     LA BÊTE

Ne vous privez pas brave homme, les âmes perdues sont rares dans cette contrée…Ne soyez point gêné par ma présence, je me ferais discret pendant votre collation…Manger, buvez…Honorez mon humble demeure… Manger, respirer, digérer et recommencer ! Voici le résumé en quatre verbes du destin capricieux et terrible de… L’homme !

    LE PERE

Je vous remercie de votre hospitalité, Monseigneur…

                  LA BÊTE (en furie)

Ne m’appelez pas, Monseigneur, je suis la bête…La bête… Occupant la pierre et rongeant de l’ennui ! Mes habits de lumière trempent dans l’obscurité depuis fort longtemps, si longtemps que mon cœur et mon corps sont à la recherche d’une âme emplie d’amour…
                            
                             « Qui oseraie croire au réel,
                                Lamentera le ciel de son effroi,
                                D’avoir vu tombé d’une étoile matinale
                                La joie et l’honneur qui fut la marque d’un grand roi ! »

      LE PERE

(À part) Dans la quête de l’amour, son labyrinthe est immense et épineux ! Mais, vous voilà d’humeur étrange et inquiétante, Mon…La bête, Mère nature vous a-t-elle négligée, en son sein généreux ? Elle vous inflige à vous entendre, une marque de mépris et d’oubli, indigne pourtant de votre généreuse bonté…Poussière d’étoile tombée dans la matière ! Solitude est grande misère !

       LA BÊTE

Solitude est grande misère quand l’esprit nous fait défaut !
Je suis si lasse et…Si fatiguée, que Mère nature ne m’apporte plus, hélas, la simple consolation tant convoitée ! Il suffit, notre conversation ne distille que mensonges et trahisons… Je vais vous mener à votre chambre, il y a un bon feu et un tendre lit propice à la confection de doux et scintillants rêves, à l’âme réconfortée….(Dehors les éléments sont déchaînés) de savoir que le spectre du hasard aide parfois son prochain.
Le vent et le froid conversent à tue-tête dans les bras de Mère nature, cette nuit entre toutes mes nuits !

Segment XVIII


TABLEAU ONIRIQUE

Le rêve du père.

Images cinématographiques sur l’écran du théâtre d’ombre. Le père vole à travers les nuages face aux éléments déchaînés, il nage dans le ciel et se pose tant bien que mal dans un magnifique jardin. Il aperçoit des roses rouges sauvages dans un jardin près d’un lac et essaie de les cueillir. Il n’y arrive pas. Une main surgit du lac de nulle part lui tend une rose rouge sauvage. Il retourne dans son lit gardant la précieuse fleur dans sa poche destinée à sa fille Belle. Tel fut son rêve !

Segment XIX


  LA BÊTE

C’est ainsi que vous remerciez votre bienfaiteur, en volant ma rose rouge… Sauvage ! Mes roses rouges que j’aime tant…Chassez le naturel, il revient au galop, vous, les marchands, vous n’êtes que voleurs et traîtres. Juste bon à vendre les merveilles de ce monde sans en connaître la moindre valeur !

   LE PERE

Mais, Monseigneur…C’était un rêve ! Il n’y a rien de réel, rien…

 LA BÊTE

Il n’y a point de monseigneur, en ce lieu, il n’existe que la bête…Expliquez- moi pourquoi ma rose rouge et sauvage se niche dans votre poche ?

                    LE PERE (surpris)

Dans mon rêve, elle était destinée à une de mes filles ! Je vous assure, ce ne fut qu’un simple rêve.


       LA BÊTE

Simple rêve ! Où se trouve la frontière du rêve et de la réalité ? Le haut et le bas, le ciel et la terre ! Tout n’est qu’illusion et chimère ! Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut afin d’accomplir le miracle de la vie…Foutaise de fondeur de métaux cru et diable de magicien à cornue de croire, en vain, aux vils traités et parchemins creux ! Où se niche la vie dans tout ce fatras ? Le miracle de la vie… Le soleil en est le père, la lune sa mère et le vent l’a porté dans son ventre ! Ma colère est grande, il faut mourir pour réparer la faute.( silence)Néanmoins, je vous accorde un sursis… Vous m’avez parlé de vos filles ; osez sacrifier une de vos filles en échange de votre vie et vous partirez sain et sauf de mes terres. Si vous me trompez, vous reviendrez dans trois lustres. Jurez donc individu ! Jurez !

                                     
      LE PERE

Je…Le…Jure, la bête, sur les pieds et le ventre de Mère nature !
(aparté) Ne me jugez point, Mère nature, j’ai juré, certes…Mais pour gagner du temps, un précieux temps où tout est possible, du moins… Si vous m’accordez dans votre humble bonté une simple rédemption !

       LA BÊTE

Attendez ! Je vous enverrai ce coffre rempli de ce que vous désirez, je tiens à ce que vous rentriez les mains pleines et la tête chargée de remords ! Au revoir et gardez la rose rouge en gage de notre contrat !

Segment XX

Le père assis sur le coffre enchanté, dans sa mansarde, se lamente de sa nuit d’infortune chez la bête. Belle ayant observé la scène s’approche de son père. Les deux sœurs espionnent Belle et simulent la tristesse.

LE PERE

Prends cette rose rouge, Belle, elle coûte très cher à ton sauvage de père.

 BELLE

Que vous est- il arrivé mon bon père ?

 LE PERE

J’ai signé un pacte avec un monstre, une bête… En échange de ma vie, il veut absolument une de mes filles. Mais j’ai mûrement réfléchi, je retournerais dès l’aube me sacrifier.

 BELLE

Non ! Père votre existence est ici, je m’en irais moi-même à votre place rencontrer la bête et me sacrifier ainsi au nom de votre don d’amour.


Segment XXI


La bête ayant assisté à la scène se met en rage et grogne de colère. Il verse une larme de voir ainsi tant de bonté possédée par une jeune fille se sacrifiant par amour pour sauver son père.

Monologue de la bête.


Quel est ce lien étrange
Nouant ma chair et mon sang ?
Chute d’un ange ! Ruse et vers d’innocent.
Des sons, étanches
Au fracas d’un vent chuintant
Mes oublis frénétiques,
Signant les rides des parois démentes
De mes malaises magnétiques.

Pourquoi ce mal dérange ?

C’est le paradis des somnolents…
La terre brisée d’infimes instants.


Segment XXII


Les deux sœurs en tenues légères ouvrent le coffre au trésor en l’absence du père.


L’AÎNEE

Nous voilà redevenues riche, ma sœur, nous n’aurons aucun mal à nous trouver chaussure à nos pieds. Admirez ces tenues, et ces coiffes, et ces robes de satin…Ce coffre nous offre tout ce dont nous avons toujours désiré.

                         SA DEUXIEME SŒUR

À nous les joies et les ivresses de ce bas monde ! Je veux être saoule des fastes des grands de ce monde…Merci, coffre magique !(elle embrasse le coffre)Oh ! ma tête tourne !(rire)

                  LES TROIS FRERES

Pestes ! Vous n’alliez tout de même pas vous enfuir seules avec le magot de père, nos sœurs chéries et de bonnes vertus !

                                      
                LES DEUX SOEURS

Non ! Frères adorés. Diable que non….( Rire des sœurs et des frères au contact du coffre enchanté) Nous savons partager notre providence, nous, les femmes vertueuses...

UN FRERE

Poison, soit ce coffre enchanté. Il provient du château de la bête ! Belle sera dans les griffes de ce monstre, dès cette nuit. Comment partager sans sa présence ? Sommes nous de simples roquets et de vulgaires égoïstes de laisser notre sang couler à notre place ?

 UNE SŒUR

Ouiiiii ! (rire)

Le frère indigné quitte la scène.


Segment XXIII


                                       LE MOINE ALCHIMISTE (face à une bougie)

Trop de science nous éloigne de Mère nature, un peu d’amour nous en approche…Un peu d’amour ! Qui écoutera l’étrange histoire d’un livre maudit écrit par un rêveur anonyme ? Les miroirs eurent peur de réfléchir l’image de sa mémoire oubliée…Belle, toi qui t’égares en cette nuit dans le château de la bête, souviens-toi que l’amour est un état d’inquiétude.
Miroir ! Miroir ! Où se cache l’amour en ce royaume ?


Segment XXIV

Belle en chaperon rouge traverse la forêt de livres pour atteindre le château de la bête. Tenant sa poupée Rébusine à la main elle prie Mère nature. Au loin, on entend des hurlements de loups à la pleine lune.

                                      

BELLE  (apeurée et chuchotante)

  Mère nature, pur réceptacle des formes qui viennent de la force de la lumière,
  Ce n’est qu’avec toi que s’unit la force de la lumière de toute chose,
  Tu es la plus bienheureuse parmi les formes perceptibles,
  Et saint est le fruit que tu conçois : l’essence de la matière de la lumière et de la chaleur réunies,
  Rehausse - toi jusqu’à la force de la lumière pour nous,
  Maintenant où nous sommes en errance et à l’heure où nous achèverons l’œuvre ! »

                                     


                                      
                                            


    UNE VOIX (celle de la poupée Rébusine du segment XI)

« Quand la pierre sera morte et convertie en eau, alors elle engendrera un arbre fleuri. »


Segment XXV

Au bord d’un chemin, Belle aperçoit son père sur un livre la tête sur ses mains pleurant.
Au loin du décor le château de la bête plongé dans la brume.
                                     
     BELLE

Père ! Père m’entendez-vous ? Père, ne pleurez pas, je ne veux point avoir dans le cœur ce chagrin qui vous accable tant, père…Père…Père…(Les hurlements de loups doublent de volume). Père…

         LA BÊTE

Il ne vous entend pas ! Le surnaturel a ses propres lois que l’humaine raison bafoue sans cesse !(SILENCE) Soyez la bienvenue, Belle, et apportez la joie qui fait grand défaut dans cette triste et froide demeure.

        BELLE

Je suis venue jusqu’à vous, la bête, que… Pour laver la sentence qui pèse sur mon père. Je ne vois pas de la joie dans la contrainte, ni de lumière dans cette immense bibliothèque :
« Du roman de la rose rouge et clémente, les amants dans le piège d’Eros délient leurs liens de son écorce dévorante. »

                           LA BÊTE (troublée)

Belle, belle…Tâchez de ne point vous ennuyer, il y a tant de livres à lire et à découvrir ; nos vies ne sont que des ratures qui empruntent aux mots la couleur à préparer le livre de nos souffrances ; je veillerais à ce que le gris- de- vie ne vous envahisses pas et ne vienne ternir ce teint si clair qui illumine mes vieilles pierres.

          BELLE

Je vous saurais gré de m’épargner de votre philosophie courtoise, la bête. Je ne tomberais pas dans le piège d’un maître chanteur. Mais il est vrai que j’aime l’étrange science de la lecture ! l’écrit possède son propre mystère : un secret de l’intime qui dévoile un monde réel s’émancipant à l’énigme de la matière déchue.

         LA BÊTE

Le livre n’est qu’un arbre qui a bien fini !

       BELLE

Où se trouve ma chambre ?

          LA BÊTE

Vous voici bien indélicate de me quitter si rapidement ; notre conversation si tôt consommée vous ennuie au point de vous enfuir d’un pas de sept lieues ? Je sais, mon visage vous effraie…Veuillez m’en pardonner…Hélas…Mère nature a renouvelé sa cuisson !

       BELLE

Détrompez vous, la bête, ce n’est pas votre visage qui m’effraie, mais ce que vous désirez au fond de votre être qui me procure l’anxiété. Que voulez-vous, la bête ?

          LA BÊTE

Je ne sais…Le désir est un secret qu’il ne faut pas répandre, mais il est permis de l’exprimer.

        BELLE

Où se trouve ma chambre ?


Segment XXVI


La bête semble être possédé par le sentiment amoureux. Elle marche nerveusement de long en large de la scène. Elle hésite. En fin, elle se décide.

                                      

LA BÊTE

Belle, mon esprit est en désordre. J’érige à l’intérieur de moi un four brûlant un mal qui me procure du bien. Quelle est la finalité de cette braise étrange et contradictoire ?


Lumière sur un four en terre réfractaire, l’athanor des philosophes par le feu.

Segment XXVII


                                       LE MOINE ALCHIMISTE (brûlant des vieux parchemins près de son athanor)


Une folle pensée, que nulle raison humaine
N’a pris, dans sa brume en secours, file dans nos gènes et,
Piège le parfum du doute en retour, et s’attarde par l’hymen
Des funestes détours, au bout, tout au bout, au bout des bas domaines…

Et rêve ! Rêve de l’amour…
L’invention de l’amour !

Que n’a-t-on dit de ce voile ?
Voile, qui couvre la paix du dormant
Et, attend dans le songe du dédale,
La flamme du réel ? Astre dévorant,
Vœux de brise nuptiale
Libérant la foi du communiant
Dans son cantique abyssal.

Tout n’est que peine et dissolution,
Immobile dans sa course royale,
Fragile avec sa révélation

D’un rêve ! Rêve de l’amour ou
Mensonge de l’amour ?


Le moine alchimiste s’endort près de l’athanor (son four en terre réfractaire) et disparaît dans la pénombre.

LA BÊTE

Belle, pourquoi ai-je du plaisir à ce mal qui me cuit lorsque ma main effleure votre doux visage ?


BELLE

Je ne peux vous répondre, la bête, je suis tant fatiguée (elle baille)…Que je ne désire que bon repos et mélodieux rêves en lot de consolation…Où se trouve ma chambre ?

 LA BÊTE

Pardonnez ma folle pulsion, belle, je ne vous importunerais point davantage. Voici la clef de vos songes. Puisse-t-elle vous apporter un début de réponse au mystère de nos corps éprouvés…Que notre présence éphémère, en cet univers de lumière, livre combat de contre-nature dans la fusion du creuset créateur. Que votre nuit soit bonne, et étincelante de grâce promesse ! Mère nature veille au grain !


Segment XXVIII

      Une voix. Rébusine.

La nature cachée sera délivrée, épurée et magnifiée jusqu’à son origine divine, pour devenir l’épouse du seigneur magnifique.


LE RÊVE DE BELLE.


Belle rêve. Un ballet de corps et de sensualité se mêle à une musique baroque. En sueur, elle respire au rythme des corps cadencés par le désir du dieu éros.(Comme dans un tableau de Jérôme Bosch). La débauche des corps est au paroxysme. Sa respiration devient plus rapide, haletante et en pleurs, elle crie. Un cri de fauve et de délivrance humide.

Luxe de lumière et mise en scène des sons. NOIR.

LUMIERE.

Segment XXIX

Une voix. Rébusine.

Ce que Mère nature recèle en son sein révèle à ses saints.


                                                                                   LA BÊTE (auprès du lit de Belle dormant, lui caressant ses cheveux)

La belle ! Belle au bois d’or se ment, et songe au temps, au temps qui passe, au temps d’il était une fois dans le carrosse de la vie et, se perdent, au loin, les rires et les larmes de l’innocence… Que vos yeux sont grands, Belle !

BELLE (en transe)

C’est pour mieux vous appréciez, la bête !

    LA BÊTE (en transe)

Que vos lèvres sont dessinées avec grand art !

  BELLE (en transe)

C’et pour mieux laisser courir au vent mes mots, la bête!

LA BÊTE

Que vos mains sont fines et gracieuses !

                    BELLE (se réveillant)

C’est pour mieux me mettre à l’ouvrage, la bête !
Vous ! Encore vous ! Toujours vous ! (elle pleure) Je veux rentrer chez moi, retrouver mon père, mes frères et mes sœurs. Leur absence est un lourd tribut face au silence pesant et assourdissant du mystère de votre existence.

LA BÊTE

Mais ils n’éprouvent que mépris, égoïsme et cynisme à votre égard. Ces démons vous manquent-ils tellement ? Je ne comprends pas !

       BELLE

Ils sont ma vie, mon espoir et mes tourments. Je ne peux que contribuer à les soulager dans ma prière…

          LA BÊTE

Il suffit de prier ! Regardez dans cette coupe d’eau, ce que les hommes engendrent, guerre, famine, malédiction, destruction, corruption. Est-ce ainsi que vous voulez vivre ?

Le théâtre d’ombre montre la guerre et la fureur des hommes au combat sur une musique du sacre du printemps D’Igor Stravinsky.                                     

     BELLE

Laissez-moi, je suis de leur monde. C’est mon monde ! (elle pleure) Je suis liée à l’aventure humaine.(Elle pleure) La matrice de la matière prie sans cesse l’appel du pardon dans les enfers. Ce monde se construit. Ce monde se cherche. Ce monde se trompe, parfois. Mais les hommes et les femmes sont en prière constante et exaltent le pardon de leurs erreurs.

                                      

SILENCE.

                                     

LA BÊTE

Le Pardon ? L’aventure humaine n’est que matras de la haine et ruine de l’âme, elle pose une grave question au ciel : doit-elle céder sa place à une autre espèce ?
(La bête songeuse) :
«  Le rire nouveau des anciens dieux, par mots et paraboles, n’aura pas lieu, si pour le mieux les vieux fourneaux pourrissent dans les cieux »


 Les trois frères surgissent de derrière l’écran blanc et veulent tuer la bête. Un des frères menace la bête avec son arme.

   BELLE

Non, mon frère, je vous conjure de laisser cette âme retrouvée sa paix. Je suis si triste et si lasse…(Elle pleure). Violence voile raison ! Patience est mon jardin, humilité mon échelle :                               


                             Au jardin de la prose
                             Des rêves et des songes,
                             Blessures viles que dépose
                             L’instant, l’instant qui nous ronge.

                                                                                                LA BÊTE (sort son arme de son fourreau menaçant et désarme le frère)

Quel ciel embrase
La rose de la ténèbre ?

Quelle eau nourrit
Le ventre de l’abîme ?

Quelle terre arrache
Les rires engloutis ?

Quel feu apaise
Ma solitaire infinie ?

Belle est effrayée et supplie la bête en larme de ne pas tuer son frère.

                                     
LA BÊTE

Votre chagrin me brûle de remords, Belle, plutôt mourir que de vous infliger de la peine. Mère nature n’aime point la violence et les temps ne sont plus à l’impatience.
Je vous aime, Belle, d’un impossible amour. Vous fûtes ma reine dans une époque oubliée des hommes et, je fus votre roi régnant dans l’harmonie des sphères, notre blason fut deux roses, une blanche et une rouge en forme de cœur. Votre perte a déséquilibré notre enchantement.
Je vous ai attendu à travers les siècles, Belle, impatient de trouver votre incarnation dans la scène chymique de ma solitude, mais à quel prix…À quel prix, si Mère nature ne veut plus de notre union ? Prenez cette rose rouge et sauvage que j’ai cueillie ce matin près du lac de mes regrets. « Aux souvenirs anciens sont miens de nouveaux désirs ».  C’est la dernière de mon jardin, puisse – t- elle sceller nos fastes d’antan .
                                     
BELLE

Ne regrettez rien, la bête, l’amour que vous me portez n’est point un vent de nulle part, mais bel et bien le don de Mère nature que je ne feins plus d’ignorer. Donnez- moi sept jours, sept courses des planètes, sept notes de musique et… Le huitième jour, je me donnerais corps et âme, à vous la bête, dans le creuset vierge de ma promesse, et l’enchantement de notre royaume reviendra. ( Un ange apporte une rose blanche) Tenez cette rose blanche, elle provient du jardin de mon enfance perdue près du lac de l’eau de Mère…Ma bête ! Mon humble époux enfin retrouvé. Mon roi.

                                       
LA BÊTE

Mon rêve s’achève avec votre vœu, Belle, mon époque et le charme des vieilles histoires est révolu, il est Grand Temps d’œuvrer pour que l’éphémère de notre histoire soit éternel ! Il est toujours de bon esprit d’entendre les très vieilles histoires de Mère- Grand, et d’écouter leurs étranges harmonies récréatives, qui multiplient la joie des enfants de sapience, et adoucit dans le cœur, la patience des poètes ! Musique des anges, au pied de leur échelle céleste, qui monte et descend…Il était une fois sera toujours ! Ma reine…
                            
                          

   Mère nature veille toujours au grain,
   Quand le soleil et la lune s’épousent,
 Dans l’éternelle semence du matin,
                Et chassent les goules de leur union jalouse.

                                     

 NOIR

                                      LUMIERE                                    

Une voix. Rébusine.

Ne rejetons pas ce qui est bon à cause de ce qui est mauvais, mais séparons patiemment chaque chose et exaltons la meilleure. Si mes mots ont quelques résonances, je vous offre à votre esprit ce mirifique poème, puisse – t – il  vous apporter une petite lueur dans la grande mer des tourments du monde :

PUISSANCE DU VERBE.

Le chiffre n’apprend rien à qui sent que le verbe.
Peut-on  parler à notre âme à travers le brin d’herbe
Qui porte à son sommet des gouttes de clarté ;
Quand le ciel s’ouvre à nous, c’est que notre superbe
Incline sa raison avec humilité :
Ni le fumier ni l’eau ne mûrissent la gerbe ;
Mais l’influx du soleil et le feu de l’été.

Philéas Lebesgue, « celui qui parle bas ». Paris, le bélier,1938.


Segment XXX


Tous les personnages du conte rentrent dans les livres. Tous ? Non, sauf un ou plutôt une, la poupée Rébusine de Belle s’est transmutée en marionnette, mais écoutons ce qu’elle a à nous dire, ou plus philosophiquement à nous révéler :

« C’est l’âme du grand monde qui délivrera et qui recevra l’âme de l’homme, avec sa semence particulière. » , Semence si particulier, qu’il en oublie sa présence, tous les matins au sortir du sommeil, mais... Ceci est une autre histoire ! Mère nature veille toujours au grain et à l’équilibre de la simple révélation !


Surgit un beau jeune homme, beau comme un prince, en trottinette à vapeur et demande une requête à Rébusine :

                                     

      LE BEAU JEUNE HOMME

Excusez l’inconstance de mes propos, ma mie, mais ma route fut longue et tortueuse, un véritable labyrinthe que cette forêt ! Suis-je bien arrivé au lieu – dit à : « l’auberge de l’étoile du matin » ?( il aperçoit une étoile sur le ventre de Rébusine ).Suis – je bête…(rire) la belle étoile que voilà !
(Se parlant à lui-même) Bon ! Tachons de rédiger au plus adroit le traité de paix entre nos deux royaumes qui assurera santé et prospérité. Hum…Pas une mince affaire…Oh ! Que non…La mission, que m’a léguée notre bon roi, n’est pas de toute sérénité. Oh ! Que non !

Ainsi s’achève l’histoire de la belle et la bête.

 Le théâtre ferme ses lourds rideaux rouges et se meurt dans la pénombre…Pour mieux ressusciter le lendemain !


NOIR






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