la bête
waxette
Le mistral fait crier les arbres dehors.
La bête est face à lui, inerte, tête basse, stupide. Adossé à la porte de bois qu’il vient tout juste de refermer, il observe sa tête plate, ses énormes yeux embués, qui roulent sans raison sous les longues tiges de crin de la stupide mèche blanche qui passe entre ses stupides oreilles. C’est un Camargue anormalement haut, le garrot presque inaccessible à ses mains d’enfants, d’un blanc écru de draps neufs encore apprêté, comme ceux que reçoit Tante pour les broder et les rendre doux au toucher, ses naseaux vu d’en dessous sont deux trous humides et gluants, poisseux de morve, de terre parfois et de débris de paille. Sa sœur sait lui parler à cette sale mule, elle grimpe sur la mangeoire pour lui flatter l’encolure, elle lui glisse sans bruit des phrases mystérieuses dans les cornets qui lui servent d’oreilles, et, croyez - le, la carne l’écoute, tête penchée, attentive à ses mots. La gamine monte même sur son dos quand c’est son tour de le sortir vers le pré, ou quand le père lui demande par faveur de lui amener la bête jusqu’à la suie, pour tirer la charrette pleine de fumier vers les potagères. Mais c’est à lui ce matin de nettoyer la stalle, de retirer la paille, et de brosser la robe salle pour la rendre lisse et douce au toucher, débarrassée de la paille de la nuit, de la poussière, et de ces poils longs qu’il perd et qui se collent en gros paquets sous son ventre, sous les cuisses, sur le jabot, aussi. Il va donc bien falloir qu’il s’en approche, qu’il vienne frôler les grandes dents jaunes et tranchantes, qu’il passe près des sabots ferrés, et de cette puissance qui pouvait jeter un homme si loin à terre, ou contre le mur si proche de l’étable, et qui pouvaient tout autant s’écraser avec force sur le crâne fragile d’un enfant apeuré. Il sait que l’animal sent sa peur, que son attitude est bien différente quand c’est sa sœur qui s’approche, si naturellement. Il entend le père qui s’affaire de l’autre côté de l’étable, il entend la pelle qui racle le sol, la paille qui tombe dans la brouette, et parfois aussi, le grincement irrégulier de la roue, vers la porte poussée. Il ne se doute pas que son père guète le bruit qu’il ne fait pas, qu’il s’affaire bruyamment pour affoler un peu le fils, pour qu’il s’y mette enfin, à racler lui aussi le sol, qu’il arrête de fixer l’animal, la sueur montant aux tempes. Il prendra enfin la brosse pour commencer, et il commencera par lui brosser les flans, fixant obstinément le profil de la tête, près à bondir en arrière au moindre signe, au moindre mouvement. Il va le panser, brosser, curer, retirer les paquets informes de crins morts emmêlés, toujours tremblant, la crampe au ventre, des fourmis grimpant dans ses veines sans cesse, pour lui demander de courir. Il ne courra pas, son père dehors, la brouette pendue au bout des bras, écoute les premiers mouvements de son fils, avant de sortir vider sa cargaison de fumier dans le vent qui va lui envoyer la paille à la figure.
merci !
· Il y a plus de 13 ans ·waxette