La bûche

La bûche

"Au suivant !"

Comment je suis arrivé ici ? Où est Sylvie ? Elle doit être en train de garer la bagnole j'imagine, j'espère qu'elle va me retrouver ici. Qui c'est ce petit vieux, pourquoi il me regarde comme ça ?

- Vous êtes là pour quoi vous  ? me demande t-il.

- Heu ... Je sais pas en fait. J'ai un peu mal à la gorge. Je vais voir le médecin. Je crois. C'est bien une salle d'attente ici, non ?

- Ca, pour sûr, regardez autour de vous, on est bien une trentaine à attendre. Attendre quoi, ça par contre je sais pas.

Je fais un peu le tour de la pièce, du regard, et me rend compte de l'étrangeté de la scène. Cinq portes, cinq files, les gens attendent patiemment debout qu'on les appelle. L'atmosphère est très lourde, les néons oranges ont déposé un voile flou dans la salle et je me sens comme dans du coton. Amorphe.

"Au suivant !"

Le vieux me fixe et me fait signe d'avancer.

- Je crois bien que c'est à vous.

La porte s'ouvre, toute seule, et une obscurité presque irréelle m'empêche de distinguer la moindre chose à travers l'embrasure. J'avance à tâtons et m'engouffre dans le néant. La porte se referme derrière moi et me voilà dans une espèce de bureau au milieu duquel un petit gars chauve, pull gris, lunettes, est assis et me fixe.

- Je vous en prie, asseyez-vous, ça va pas durer longtemps. Alors tout d'abord bonne année, même si elle a été assez courte pour vous sur terre. J'imagine que vous avez compris ce qui vous amène ici ?

- Heu pour être franc, pas vraiment.

- Ah ... Y a toujours des gens un peu plus lents que d'autres, c'est pas grave. Je vais pas y aller par quatre chemins, vous êtes mort, vous êtes au bureau des admissions.

- Saint-Pierre ?

- Vous m'avez bien regardé ? Non pas Saint-Pierre. Saint-Pierre c'est le boss, vous croyez sincèrement qu'il vont mettre un seul gonze pour faire passer tous les clampins qui clamsent chaque jour ? Rien qu'ici on a mille cinq cents admissions/jour. Imaginez la gueule des files d'attente si on faisait pas le boulot.

- Mais je suis mort comment ? Je me rappelle de rien.

- Alors, alors, laissez moi deux minutes regardez ça. Oui, voilà, vous étiez en plein réveillon avec votre famille, il était minuit passé de treize minutes et vous vous êtes étouffé avec un bout de bûche glacée. Pas folichon comme mort.

- Mais c'est complètement con oui ! Je peux pas avoir une mort aussi stupide.

- Désolé, si, c'est comme ça. Maintenant je vais vous faire un petit topo de ce qui vous attend. Ah, attendez je vibre, je dois répondre. Oui, allô ? Oh Monsieur Saint-Pierre que me vaut ... oui ... oui ... ah bon ? Vous êtes sûr ? oui ... d'accord ... d'accord on fait ça. Au rev... Il a raccroché. Alors, j'ai une bonne nouvelle pour vous. On vous renvoie sur terre. Vous reviendrez à l'instant où vous vous étouffiez sauf que cette fois ben vous vous étoufferez pas. Vous vous rappellerez de rien.

- Mais c'est génial ça, mais pourquoi ?

- Ordre du patron, ça lui arrive de faire des fleurs, surtout les soirs de fête. Il m'a dit mot pour mot "je peux pas accepter qu'un glandu pareil vienne ternir l'image du paradis. Renvoie le sur terre, qu'il meurt dignement et après on le prendra".

- Heu c'est gentil de sa part.

- Bon ben du coup je vais vous laisser partir. Prenez la porte de droite, évitez les bûches et bonne année encore. Au suivant !