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La cabane au fond du jardin
awne
Alice est une jeune fille issue de la bourgeoisie qui n'aspire qu'à la quiétude et à la lecture loin du monde où elle vit : dans sa cabane au fond du jardin.
Alice ferma les yeux, blottie contre sa couverture blanche toute duveteuse, sa tête élégamment posée sur le coussin aux motifs persans. Elle se sentait bien, dans son havre de paix : sa cabane au fond du jardin.
Elle étira ses bras en l'air, comme si elle souhaitait attraper l'air. Un mince filet de lumière l'aveuglait entre deux tissus de style indiens.
- Alice ? Alice, où es-tu ? Entendit-elle au loin.
La jeune fille soupira. La voilà qu'on la forçait à retourner dans le monde réel. Loin de son petit paradis bien à elle. La blondinette se releva malgré sa forte envie de demeurer là et sortit de son chez-soi. Elle jeta un dernier coup d'œil à son œuvre, puis marcha dans les fourrés. Un garçon apparut devant elle lorsqu'elle arriva derrière chez elle : Dimitri, son frère, l'attendait.
- Te voilà enfin ! Cria-t-il. Je te cherchais partout. Que faisais-tu encore au fond du jardin ?
- Je rêvais. En paix.
- Et bien descend de ton nuage, c'est l'heure de ton cours de piano. Répliqua-t-il en tournant les talons.
Alice ne répondit pas à sa pique et partit en direction du salon où son précepteur, Monsieur Harris, devait l'attendre. D'avance, elle savait que la leçon allait l'ennuyer ainsi que le reste de sa journée. Après son cours particulier de piano, nul doute qu'elle en aurait un de français, puis de langue ancienne avant d'aboutir à une leçon d'équitation. Elle ne supportait plus tout cela. A quoi cela servait-il de l'éduquer comme une dame de la haute société alors qu'elle n'en était pas une ? La monarchie n'existait plus, les titres aussi. Alors pourquoi sa famille s'évertuait-elle à faire comme telle ? Il ne manquait plus que des cours de maintien et d'élégance pour mettre la cerise sur le gâteau.
- Mademoiselle Alice, vous êtes en retard. Commença directement Monsieur Harris, un gros monsieur tout rouge aux doigts bouffis. C'est la troisième fois de la semaine. Que cela ne se reproduise plus. Compléta-t-il dans son analyse.
- Veuillez m'excuser Monsieur. Je ne le ferai plus.
Cela était évidemment faux.
- Bien. Commençons je vous prie par vos gammes.
Elle s'exécuta à contrecœur. Il voulait vraiment qu'elle massacre ce pauvre instrument qui n'avait rien demandé ? Elle lança un regard désolé au piano et débuta la torture des oreilles. Elle vit Monsieur Harris crisser des dents mais il s'abstint de lui faire des commentaires.
Les heures s'écoulèrent à la vitesse d'un escargot et Alice fut plus que ravie de fuir ses cours et toutes ces balivernes. Vite de l'air. J'ai besoin d'air. Pensa-t-elle. Elle voulait s'enfuir, pour retrouver sa cabane au fond du jardin où elle était on ne peut plus certaine que personne ne viendrait la chercher. La demeure de ses parents couvraient tellement d'hectares -20 pour être précis- qu'ils n'allaient jamais au fond du bois, pourtant inhabitée si l'on ne prenait pas en compte les insectes et les oiseaux de nuit. Elle y était donc tranquille et la blondinette pouvait y vivre comme elle le voulait. Là-bas, plus de consigne, de règle, d'obligation pour devenir une grande dame. Non, dans sa cabane elle était libre d'être ce qu'elle désirait le plus : une jeune adolescente rêveuse, insouciante et passionnée de lecture, d'écriture ainsi qu'une admiratrice de Dame Nature. Alors qu'elle s'imaginait déjà rejoindre son humble logis, sa mère se posta devant la porte. Alice l'observa, sachant pertinemment qu'elle allait détruire ses plans. D'une voix mielleuse et hypocrite que la jeune fille détestait, elle lui demanda ce qu'elle faisait. Sa fille répondit de façon évasive qu'elle s'apprêtait à sortir.
- Mon enfant, au lieu d'aller courir dans les bois, va dans ta chambre t'affubler d'une tenue décente.
Elle regarda sa tenue. Elle portait un short en jean, un tee-shirt tapissé de fleurs et ses pieds étaient protégés par des ballerines. Ses habits étaient on ne peut plus banale pour une fille de son âge.
- Mais… Objecta-t-elle.
- Pas de mais ! Dans quelques instants, tes compagnons de classe vont venir. Tu sais, Catelyn, Damien et Peyton. Tu es surprise, c'est normal, c'était prévu comme. J'espère que tu es heureuse ! S'exclama-t-elle en tapant dans ses mains. Oh, mais il est tard ! Remarqua-t-elle en consultant sa montre Rolex d'une valeur ridicule de 22 650 euros. Allez, file te changer ! Pendant ce temps, je vais accueillir leurs parents. Apparemment, ceux de Peyton sont milliardaires et Damien a un oncle qui travaille dans le domaine du pétrole. Et les géniteurs de Catelyn possèdent des milliers d'actions ! S'excita-t-elle en ne cessant de rire bêtement.
Bien sûr. Pourquoi aurait-elle invité des camarades de sa classe –camarades qui l'insupportaient, de base- sans aucun autre objectif derrière ? Elle visait la richesse de leurs parents et leur amitié pour, faire encore plus noble, plus diva.
Décidément, Alice la haïssait. Elle, son père multimillionnaire qui la laissait agir comme ceci et son frère, égoïste, vaniteux et arrogant. Vivement que j'atteigne mes dix-huit ans pour m'enfuir d'ici, quitter cette vie de luxe et de paraître. Songea-t-elle.
Elle enfila à la hâte sa robe noire chanel et attacha son collier de perles. Elle troqua ses ballerines contre des escarpins Louboutin et se mira dans l'énorme miroir qui couvrait une partie de sa chambre. L'image qu'il lui renvoya la dégoûta. Tout ceci n'était pas pour elle. Elle n'était pas née pour être comme cela.
Alice descendit les cent quatre-vingt-quatre marches la séparant du boudoir sans être pressée. En chemin, elle se constitua un masque, une illusion sur son visage pour faire croire que tout semblait parfait. Que tout était génial. Elle atteignit enfin le rez-de-chaussée où, dans trente-et-un pas, l'Enfer commencerait pour elle.
Lorsqu'elle pénétra dans la salle, tout le monde se retourna devant elle. Sa mère afficha une mine pleine de désolation. On pouvait lire sur ses lèvres : « Tu n'as mis QUE CA pour les impressionner !? Pathétique. » .Son frère la tança avant de retourner dans sa conversation avec la frétillante Catelyn, cette sainte-nitouche qui n'en était pas vraiment une. Damien et Peyton étaient posés dans un coin et, c'est avec désespoir qu'elle s'approcha d'eux.
- Hey ? Les salua-t-elle, hésitante.
- Vraiment, Alice, je ne sais pas comment tu fais. Débuta Peyton en agitant sa main pour s'en faire un éventail. Tu te rends compte que cette robe est démodée ? Elle date de l'année dernière ! C'est tellement ringard maintenant ! Débita-t-elle avec une moue de dégoût. Damien, dis-moi que tu es d'accord ! S'exclama-t-elle, d'une voix plaintive.
- Tu sais, moi et la mode… Je préfère largement l'Histoire et les romans. C'est beaucoup plus instructif. Et toi Alice, qu'aimes-tu ? La questionna-t-il, un doux sourire sur ses lèvres.
- Euh… J'aime le piano, les langues anciennes, l'équitation…
- Non, Alice. La coupa-t-il. Qu'apprécies-tu, vraiment ?
- Hum… Déglutit-elle. J'aime… L'écriture, rêver et… la lecture ? Répondit-elle avec hésitation.
Peyton éclata de rire face à la réponse d'Alice, ce qui la couvrit de honte. Damien esquissa un sourire mais il était tellement énigmatique que la blonde ne savait pas comment le prendre. Honteuse, elle tourna les talons et sortit dignement de la salle. Elle partit en courant dans sa chambre, remit ses modestes affaires et s'enfuit dans le bois. Elle devait y aller, dans sa cabane. Elle devait changer d'air, penser à autre chose, s'enfermer dans son cocon où elle avait la possibilité d'être Alice. L'Alice que personne ne connaissait à part elle-même. Elle déboula dans la petite clairière où était sa merveille. Elle l'observa un instant. Ses multiples draps aux motifs persans et indiens servaient de toit et étaient lestement accrochés à deux arbres pour tenir. « L'intérieur », si on pouvait l'appeler comme cela, était couvert de tapis vieux de dizaines d'années et de coussins tout aussi anciens. Sa grosse couverture blanche était étalée au milieu, comme elle l'avait laissée quelques heures auparavant.
Plus elle considérait le lieu, plus elle le trouvait beau. Il n'avait rien à voir au sublime château de la Renaissance dans lequel elle vivait mais pour elle, c'était le plus bel endroit au monde. Sa cabane dans les bois ne craignait même pas la pluie, tant elle était bien protégée par cette clairière. Comme si elle était hermétique à tout autre chose qu'Alice.
Elle rentra avec soulagement dans le logis et prit au hasard un des livres qu'elle rangeait dans un coin. Elle piocha La Sélection, de Kiera Cass et après avoir lu la quatrième de couverture elle commença à le dévorer, intriguée.
D'ordinaire elle ne pouvait pas lire ce genre de roman qui était considéré comme « mauvais » par ses parents. Il fallait plutôt lire du Victor Hugo ou de l'Emile Zola pour demeurer intelligente et cultivée. Certes, ce n'était pas faux. Mais lire du Kiera Cass, du Guillaume Musso ou du John Green n'allait pas la tuer.
Alors qu'elle lisait tranquillement dans son cocon, un casque vissé sur les oreilles qui diffusait des chansons de Green Day, elle crut entendre les branches craquer. Sûrement le fruit de mon imagination… Toutefois, de nature craintive, elle enleva sa musique et sortit prudemment de sa cabane. Alice aperçut les buissons bouger. Et alors qu'elle allait repartir en courant dans sa cabane, elle tomba nez-à-nez sur Damien. Elle poussa un petit cri de peur et lui, de surprise.
- Que fais-tu ici ? S'écrièrent-ils en chœur.
- Ahah… Rit doucement Damien. Toi d'abord.
- Je… je réfléchissais, tranquille, loin de… de ça. Murmura-t-elle en désignant la bâtisse.
- Je te comprends. Répondit-il à voix basse, comme s'il lui faisait une confidence. Comme tu m'as répondu, je suppose que je dois t'expliquer ma présence ici et non… à cette pathétique fête. Lâcha-t-il en soupirant d'exaspération.
Elle hocha la tête et attendit sagement ses explications, gênée. Il lui raconta que, excédé face au comportement de Peyton, il était parti dans sa chambre pour s'excuser. Comme Alice n'avait pas répondu, il avait ouvert la porte et avait trouvé la pièce, vide. Inquiet, il était sorti dehors à sa recherche et, c'est là qu'il l'a trouvé. Soudain, il remarqua la cabane de la jeune fille et la pointa du doigt. Elle se retourna et bégaya :
- C'est… c'est ma cabane.
- Elle… est vraiment magnifique. Affirma-t-il en écarquillant les yeux. C'est toi qui l'as faite ?
- Oui.
- Tu as un vrai talent. Je… je peux entrer ? Demanda-t-il en baissant les yeux, timide.
Alice accepta, malgré le fait qu'un inconnu pénètre inconsciemment dans son intimité. Il rentra tout doucement, comme s'il avait peur de déranger et considéra l'endroit. Il ne cessa de complimenter Alice pour sa prouesse et avoua : « On a vraiment le sentiment d'être chez soi ici. »
Ils discutèrent un moment, puis, sans s'en rendre compte, ils s'assoupirent, bercés par le bruissement des feuilles de platanes et le vent qui soufflait gentiment sur la cabane.
Cette cabane dans le jardin –ou dans les bois- semblait couver, telle une mère les deux jeunes gens. Et grâce à elle, deux individus apprendront se connaître et à s'aimer.
Décidément cette cabane dans le jardin était un paradis sur terre.
© Awne, 2015.
Image trouvée sur le site We Heart It.