La Chambre d'amour

Rachel Leconte

La Chambre d'Amour

Biarritz Avril 2012,

 Tourne la tête Sharleen, regarde-le où tu vas passer pour une godiche!Une tebêt comme dirait Diane. Doucement, tout doucement, j'essaie de bouger mon visage, de dessiner un sourire encourageant mais à peine aperçu ce corps tant admiré et si désiré que je me sens devenir toute rouge et détourne immédiatement la tête. Un petit mouvement de la tête m'indique la progression certaine de Maxence. Je remonte immédiatement le drap jusqu'au cou afin de cacher mon corps faussement dénudé, j'ai seulement descendu les bretelles de mon soutien gorge afin de lui faire croire de j'étais aussi nue que lui.

Han! Son regard gourmand et son sourire qui salive anticipe déjà son régal. Il me dévisage et m'envisage comme une bonne pâtisserie à déguster. Trouver une solution vite!

Il commence à tirer sur le drap, il faut absolument que je me détende.

Je sais! Je sais! Je m'appelle pas Sharleen pour rien. Il faut que je pense aux livres que ma mère cachait au fond du placar. Qu'est-ce-que ça disait déjà?

« Son corps dénudé, musclé et bronzé lui fit l'effet d'une décharge électrique qui la fit vibrer toute entière. Elle voulait se donner corps et âme et qu'il la prenne là, dans l'instant, qu'elle soit marquée au fer rouge à tout jamais. Sentir son désir insatiable et si savoureux à la fois. Elle en était sûre, elle désirait maintenant plus que jamais caresser sa peau et en connaître chaque centimètre, l'entendre gronder de plaisir et ce grâce à elle...»

Tout d'un coup, Maxence arrache le drap avec ses dents.

Mais qu'est-ce-que tu fabriques?

Son regard passe de mon jeans à son corps tout nu et remonte peu à peu jusqu'à mon visage, dès que ses yeux croisent les miens, je les ferme et tourne vivement la tête, rouge comme un coquelicot. A ce moment-là, Maxence, s'allonge près de moi puis se redresse, enfile son pantalon, s'allonge à nouveau près de moi, tire doucement le drap et recouvre son corps. Un silence plane dans la chambre, je sens le regard de Maxence mais ne peux me résoudre à le croiser. Malgré mon mal au cou, je garde obstinément la tête fixée de l'autre côté, les yeux dans le vide. Je sens alors ses doigts parcourir mon visage, doucement, tout doucement, il en caresse chaque contour. Mon souffle s'intensifie pendant qu'il détache avec délicatesse chaque mèche de cheveux collée sur mon visage, puis caresse de ses doigts délicats, mes yeux, mes hautes pommettes, mes lèvres et mon menton. Je suis alors surprise de constater qu' aucune résistance n'entrave ses gestes lorsque délicatement il tourne mon visage face à lui. Il me regarde intensément, embrasse les larmes qui s'échappent du coin de mes yeux et me chuchote :

Chuuut Sharleen! C'est rien... Ne t'inquiète pas...

Tel une condamnée, les bras le long de mon corps, je suis incapable du moindre mouvement. La peur me tenaille, je ne sais pas quoi faire. Tétanisée de la tête aux pieds, malgré les douces caresses de Maxence.

Détends-toi. Je veux pas que tu aies peur, surtout pas aujourd'hui...

Ses lèvres parcourent maintenant mon cou pour descendre sur ma poitrine. D'un mouvement expert, il fait s'envoler mon soutien-gorge et ses mains, comme des plumes, caressent juste la surface de mes seins, je ferme les yeux et me laisse envahir par la délicatesse de ses gestes. Il n'est plus le même, cette sauvagerie qui ma effrayée lorsqu'il s'est emparé de ma bouche a fait place à une douceur insoupçonnée. Presque malgré moi un soupir s'échappe de mes lèvres lorsque Maxence pose sa bouche sur mon ventre, il s'enhardit alors et défait la ceinture de mon pantalon. J'ouvre les yeux instantanément mais nulle arrogance dans son regard, juste une douceur infinie qui me fait lâcher les dernières digues d'une résistance déjà bien mise à mal.

Je vais m'occuper de toi Sharleen...

Me dit-il le regard gourmand.

Jamais tu oublieras...

De cela j'en suis sûre, j'ai tellement attendu ce moment. Je l'ai rêvé, appelé de mes vœux les plus chers mais je n'ai jamais osé penser que je le vivrai vraiment.Il s'est emparé de tout ce qui restait de l'ancienne Sharleen pour faire naître la nouvelle. Je suis envahie par une exaltation lumineuse, je la vois dorée, scintillante. Bien plus magnifique qu'un arc en ciel parce que les couleurs ne suffisent pas à décrire mon rayonnement intérieure. Je souhaite que cela ne finisse jamais. Je veux vivre l'instant présent et le cacher tel un objet précieux afin de le contempler à souhait lorsque je serais seule au fond de mon lit les yeux grands ouverts à vivre, revivre encore et encore ce rêve éveillé.Les rues de Biarritz me semble magnifique aujourd'hui, les gens que je ne connais pas me saluent, un grand sourire aux lèvres. Je ne marche pas, je flotte.C'est mon secret à moi et je ne le partagerai avec personne. Il est moi, à moi toute seule.Je continue ma déambulation à travers la ville, je me paye le luxe de passer devant le lycée Malraux que j'ai séché cet après-midi et s'il fallait recommencer, je n'hésiterai pas une seule seconde, sans culpabilité aucune. Face à cette magie, il ne fait pas le poids. Allez promène- toi et ne pense à rien. Aujourd'hui t'es la plus belle, la plus forte et rien ne peut te résister.

Ah ouais? Me dit une toute petite voix

Absolument!

Mmmmh! Mmmmh! Même si Diane te pose des questions, tu résisteras et ne lui raconteras rien, rien du tout! Insiste la voix

Oh laisse-moi tranquille! Je ne dirais rien, pas même à Diane.

Ah oui, celle qui te confie tout, même ses secrets les plus scabreux, celle qui n'a pas hésité à flanquer une bonne raclée à Emma lorsque celle-ci t'avais prise comme cible en te ridiculisant dès qu'elle le pouvait afin de se mettre en valeur devant les autres? Vraiment? Rajoute encore la voix.

Bon ça suffit! Je ferais une exception juste pour Diane, parce qu'elle est mon amie d'enfance. Mais ça s'arrête-là! Le reste m'appartient.

La voix se tait enfin, je peux reprendre mes déambulations. Mais aujourd'hui je ne veux pas me réfugier sur la plage. Non, je suis trop heureuse et je veux que tout le monde sache, respire cette effluve qui s'échappe de mon corps, cette essence si précieuse que je crois deviner comme étant le bonheur.J'arrive enfin à la maison, où plutôt dans l'appartement que nous partageons ma mère et moi avec grand-mère Garance.

Houhou! Grand-mère! C'est moi Sharleen! Je prend le plateau et je te rejoins.

Je verse le thé dans la tasse empire de ma grand-mère et la lui tend. Elle suit le même rituel, humer d'abord ce thé fumé et bien corsé et l'avaler à petites gorgées. J'adore regarder grand-mère Garance, elle est tellement belle, je l'ai même toujours trouvé plus belle que ma mère. Ou peut-être qu'il s'agit d'autre chose. Elle a toujours été aussi brune, maintenant elle est toute blanche, que ma mère est blonde et si mes traits sont un doux mélange de ses deux femmes de ma vie, à n'en pas douter mes cheveux, ma crinière comme dirait ma mère est bien celle de grand-mère Garance. Elle a de jolies traits fin, un petit nez, elle n'est pas très grande et surtout très très fine. Son port altier que nous possédons toutes les trois et le résultat de longues heures de danse classique mais ma mère n'a jamais eu la passion chevillée au corps comme ma grand-mère et moi. On dirait une reine et sa gentillesse n'a d'égale que sa beauté et sa compréhension à deviner vos états d'âmes, quel qu'il soit. Elle termine de savourer son thé, me lance un regard en biais tout en posant sa tasse sur ses genoux et me dit :

Alors ma chérie, il a manqué un professeur aujourd'hui?

Euh... Non pourquoi? Quelle heure il est?

Plus tôt que d'habitude en tous les cas...

Confuse je baisse la tête, je n'ai jamais su mentir à grand-mère Garance, elle me redresse doucement le visage et telle une exploratrice le parcourt intensément de ses petits yeux bleu et vifs.

Qui est l'heureux élu ma chérie?

Rouge et agitée je réponds :

Personne, personne! Grand-mère! J'te jure!

Ttttttt! Tu oublies qui je suis et qu'elle fût ma vie. Ma rencontre avec Aimée de Heeren, reine incontestable de la haute société de Biarritz, ses réceptions où toutes les têtes couronnées ou non se disputaient la faveur d'y être invitée, m'en ont appris beaucoup sur la nature humaine.

Mais tu ne diras rien à maman alors...

Grand-mère Garance retourne sa main, crache dedans trois fois, la referme, souffle à l'intérieur, lève les yeux au ciel et chuchote une incantation, ouvre grand la main comme pour laisser s'envoler quelques messages secrets qu'elle seule peut connaître. Elle évacue un grand souffle, se redresse sur son siège, me regarde et me lance :

Je suis prête à tout entendre ma petite chérie

Elle acquiesce du menton.

Ben voilà, je suis retournée à la grande plage pour regarder les surfeurs.

Maxence par exemple?

Je pose ma tête sur ses genoux afin qu'elle ne voit pas mon trouble même si après tout c'est un peu vrai puisque j'étais avec lui cet après-midi.

Mais tu te fais mal, tu sais bien qu'il est la propriété d'Emma... Et elle est pas commode celle-là.

Oui je sais mais je ne peux pas m'empêcher, il est si beau grand-mère et gentil en plus, il ne m'a jamais toisé du regard, au contraire il a toujours eu un mot gentil pour moi.

Pfff! Gentil n'a qu'un œil comme disait ma mère. Et comment il est lorsqu'il te croise en compagnie de Emma?

Je ne réponds pas.

Je vais te le dire moi! Il fait comme s'il ne te connaissait pas. J'ai pas raison?

Oui c'est vrai mais c'est pas sa faute après tout!

Tu l'aimes tellement que tu es prête à l'absoudre! (un silence s'installe) Tu ne veux pas ouvrir les yeux n'est-ce-pas?

Grand-mère Garance me caresse les cheveux et me sourit.

Tu apprendras que souvent les hommes, surtout à cet âge-là, préfèrent les femmes audacieuses, sûres d'elles, conquérantes comme Emma. Elles les font vibrer et les rassurent dans leur virilité. Plus tard, ils peuvent aimer des jeunes filles romantiques comme toi...

Mais tu sais, grand-mère parfois j'ai l'impression que j'appartiens davantage à l'ancienne époque, la tienne peut-être, plutôt qu'à celle d'aujourd'hui. Je ne me sens pas toujours à ma place avec les filles de ma classe. Tant que Diane était là, j'y arrivais, elle me connaissait et me prenait comme j'étais. Elle se mettait en avant et ainsi me protégeait mais maintenant qu'elle est partie, c'est difficile avec les autres, je ne suis pas toujours à l'aise. J'ai l'impression de jouer un rôle, de faire semblant, d'être une autre, celle que je ne suis pas. Tu comprends grand-mère?

Oui oui ma grande. Mais ne t'inquiètes pas de ne pas ressembler aux autres filles. Être original est un plus même si pour l'instant tu ne t'en rends pas compte. Même si pour l'instant ton plus vif désir est de ressembler aux filles de ta classe qui elle-même ressemble aux jeunes filles des magazines que vous dévorez toutes.

Mais c'est pas toujours facile pour moi grand-mère...

Je sais, mais regarde comme tu danses, personne ne danse comme toi et ça c'est grâce à ta différence. Si tu étais comme toutes ses pimbêches qui ne rêvent que de faire partie de la bande d'Emma, il te serait impossible de danser, de voler comme tu le fais. Tu comprends ma douce?

La porte d'entrée claque et clôt la conversation entre grand-mère Garance et moi

Qu'est-ce-que vous complotez encore toutes les deux?

Ma mère s'approche et colle à chacune un baiser, sur la joue pour grand-mère, sur le front pour moi. Pragmatique même dans son affection, elle a toujours était ainsi. Dans la retenue du geste affectif mais d'une incroyable disponibilité d'esprit si le besoin était. Je me suis toujours retenue moi aussi dans mes élans affectif vis à vis d'elle, comme si instinctivement je savais qu'il ne fallait pas franchir cette barrière érigée afin de toujours mieux se protéger, surtout de ceux que l'on aime le plus. Ou peut-être est-ce la disparition subite de ce père jamais connu qui a pris la poudre d'escampette avant même ma naissance. Pour cela aussi ma mère ne m'a jamais rien caché, j'ai toujours su qu'il n'avait jamais été là. Elle n'a pas voulu inventer, je me suis prise la vérité toute crûe dans la figure et il me fallait faire avec. Grand-mère Garance l'a bien sermonné une ou deux fois, lui reprochant d'inventer la cruauté de la vérité et que j'étais bien trop jeune pour entendre l'histoire d'un père qui ne voulait pas de moi. Je me souviens d'une dispute mémorable entre ma mère et grand-mère Garance à ce sujet et je crois que ce fût la dernière fois qu'elles en parlèrent. Ma mère criait et comme à chaque fois qu'elle est en colère, elle appelait sa mère Garance lui intimant l'ordre de se taire lorsque grand-mère lui répétait pour la énième fois, qu'elle l'avait avertie que ce garçon ne valait rien, qu'il était trop beau, trop arrogant, trop tout pour être vrai. D'ailleurs à la moindre difficulté, il s'est empressé de s'envoler vers une destination inconnue. Ma mère, folle amoureuse de son premier amant qui croyait dur comme fer qu'il l'épouserait. Grand-mère Garance reprochait à sa fille Ingrid d'utiliser cette vérité pour se venger de lui en l'abîmant aux yeux de sa fille et tentait de lui faire comprendre que la première meurtrie par cette fuite ce serait moi .Mais pour l'heure, ma mère s'installe près de nous, se débarrasse de ses chaussures en les faisant valdinguer à l'autre bout de la pièce comme elle aime le faire, se sert une tasse de thé et s'enfonce dans son fauteuil préféré, tout abîmé, tout défoncé mais si moelleux. Avec grand-mère Garance nous échangeons un coup d'œil et attendons patiemment le premier râle de satisfaction. Un sourire s'affiche sur le visage de ma mère et dit:

Aujourd'hui, Monsieur Pinot nous a fait l'honneur de nous accueillir avec un nœud papillon jaune à pois rose. Il était très élégant avec son pyjama vert. Même comme cela il est toujours d'une grande classe et c'est surtout un tombeur, il les rend toutes folles à la maison de retraite.

Elle se tait un instant, comme rêveuse puis reprend :

Ah heureusement qu'il est là, pour nous faire sourire et nous faire rêver aussi. Je n'ai jamais rencontrer quelqu'un qui croit encore et autant à l'amour malgré son âge. C'est merveilleux quand on y pense. Ça laisse rêveuse...

L'amour arrive à celui qui le désire et qui y croit de toute son âme...

Ma mère se tourne vers grand-mère Garance et secoue la tête dépitée :

Arrête maman avec ces conneries, ça ne veut rien dire tout ça...L'amour, l'amour c'est du pipo, tu le sais aussi bien que moi...

D'abord tu cesses de dire des gros mots et en plus je sais de quoi je parle! J'ai eu la chance de rencontrer un seul et unique amour dont tu es le fruit ma chérie... En étant mariée en plus...

Ma mère souffle et lèvent les yeux au ciel :

Allez c'est reparti! Arrête de mettre ses idées dans la tête de Sharleen, regarde comme elle te regarde... C'est pas possible! On dirait que c'est toi qui l'a faite!

Grand-mère garance se renfrogne et bougonne doucement.

En tous les cas ce n'est pas moi qui aie appelé ma fille Sharleen. Je connaissais même pas ce prénom. Américain,c'est ça? Déniché dans un de tes romans à l'eau de rose, comme on dit... Que j'aime lire moi aussi, je l'avoue! J'aime l'amour! Alors qui est la plus romantique des deux? La différence c'est que moi j'assume alors que toi ta vie n'est faite que de regrets...où personne n'a le droit de pénétrer!

A cet instant, ma mère se tourne vers grand-mère Garance et au regard furibond qu'elle lui lance je sais que la guerre est à nouveau déclarée. Je me redresse vivement et m'échappe le plateau à la main. A peine la porte de ma chambre claquée, je les entends s'adresser tous les reproches de la terre. Ma mère intimant l'ordre à grand-mère Garance de cesser de me raconter des histoires de prince charmant, les mêmes qu'elles lui racontaient et qui lui ont valu de se retrouver seule avec moi. Grand-mère Garance, comme à son habitude, les mains sur les oreilles refusant d'entendre ses reproches mais criant elle aussi que jamais elle ne dirait que le grand amour n'existe pas puisqu'elle a rencontré et qu'elle fût aimé et comblé. Cela ne dépend que d'elle te retenter sa chance. Je connais leurs disputes par cœur, je pourrais même crier à leur place si besoin était, mais aujourd'hui est un beau jour pour moi et je refuse qu'il me soit gâché, je refuse d'en entendre davantage. Allongée sur mon lit, les bras en croix et repue de bonheur, je visualise mes coupes et médailles remportées lors de différents galas et dont je suis fière, aussi fière que l'est grand-mère Garance et que Marishka ma prof de danse russe. Rassasiée de satisfaction, je place les écouteurs sur mes oreilles, et dès que la musique surgit, je pars et me repasse le film de la journée. Ce matin en me levant, je n'aurais jamais cru recevoir ce message. D'ailleurs je pensais même qu'il s'agissait d'une mauvaise blague de la part des pestes de la bande d'Emma et c'est pour cela que je n'ai pas répondu au premier message de Maxence, persuadée qu'il ne m'était pas vraiment adressée. C'est lorsque le deuxième puis le troisième message est arrivé sur le chemin du lycée que je me suis dit que peut-être cela pouvait être vrai. Il n'y avait que lui pour savoir que j'étais aller le voir surfer sur la grande plage. Je savais ce jour-là, comme à chaque fois, qu'Emma était absente pour je ne sais quelle razzia de fringues sur Paris, là où habite son père à l'année. Mais jamais, jamais de ma vie je n'aurais pensé que Maxence remarquerait que je venais l'admirer en cachette. Remarque il a toujours su que j'étais amoureuse de lui. J'ai même crû qu'il en était touché mais c'était juste avant l'arrivée d'Emma dans notre ville, dans notre lycée, avec ses airs hautains nous prenant tous pour des pèquenots parce que nous étions des provinciaux alors qu'elle était parisienne, en insistant sur le P. Avec Diane on se moquait souvent d'elle et on répétait, en appuyant fortement sur la lettre P.

«P comme une Paaaa...Comme une Pétasse!Ah!Ah!Ah!»

La musique reprend ses droits et à nouveau je repars dans les bras de Maxence. Je revis cette montée du plaisir avec ses lèvres se promenant et explorant mon corps. A revivre ces instants, je suis à nouveau toute émue, mon corps vibre et seule la sonnerie de mon portable m'inflige un retour à la réalité. Je décroche complètement hébétée.

Tu sais combien ça me coûte de t'appeler de Londres?

Mais qu'est-ce-qu'il y a?

Et toi pourquoi tu prends cette voix?

Sans attendre de réponse, Diane rajoute :

Ça fait une heure que j'essaie de t'appeler sur skype.T'as un problème?

Non non non!

Franchement t'es pas normal! Va sur Skype! J'attends!

 Avant d'allumer mon ordinateur, je secoue mes longs cheveux que je trouve exceptionnellement beaux aujourd'hui, me pince les joues comme me l'a appris grand-mère Garance et enfin prête j'affronte le regard inquisiteur et les questions non moins inquisitrices de ma meilleure amie. Comme par magie, Diane apparaît sur mon écran, je lui demande faussement décontractée :

C'est toi Diane?

Non mais tu te fous de ma gueule ou quoi? Non c'est Harry Potter en direct de Poudlard!

Ah!Ah!Ah! Arrête de faire ta mauvaise tête...

Qu'est-ce-que tu faisais dans ton lit Sharleen?

Qu'est-ce-que tu veux que je fasse?. Ma mère et grand-mère Garance ont remis le couvert et depuis tout à l'heure, pfff!

Change pas de conversation s'il te plaît.

Ah!Ah!Ah! Tu fais ta suspicieuse. Ben y'a rien justement.

Tu jures? Si je découvre que tu me caches quelque chose...

Bon ça va ça va...  Voilà, ma mère m'a inscrite à un cours de math accéléré et le prof, genre 25 ans, c'est une vraie bombe! Je crois que je l'aime déjà.

Diane fait la grimace et lève les yeux au ciel.

Abrège s'il te plaît! Raconte comment il est? Blond, brun, petit, non pas petit j'aime pas ça. Grand plutôt...

Bof, à voir!

Regarde-moi bien dans les yeux, si dans 30 secondes, t'as pas réglé l'addition, je coupe la communication!  (Diane bouge son doigt au milieu de son visage en s'approchant peu à peu du bouton d'extinction.)

D'accord, d'accord mais t'arrêtes de faire ton scandale!

L'index stoppe immédiatement sa progression mais reste droit sur le côté du visage. Puis là, je ne sais pas ce qui me prends, je deviens complètement muette et reste figée devant l'écran, face à mon amie.

Oh Sharleen, je rigole! Arrête de faire cette tête, tu m'fais peur.  (Silence, je ne sais pas raconter ce genre de choses. En plus Diane va me demander des détails et ça je sais pas faire, et ne me laisse pas réfléchir, impossible de me concentrer, elle fait des grimaces, m'insulte,  c'est impossible, j'y arriverai jamais...)

Ça suffit! Arrête tes conneries-là! Tu me fais même pas rire!

Le visage décomposé de Diane me fait craindre que j'y suis allée trop fort.

Désolée, c'est pas ce que je voulais dire.

Je baisse la tête, repentante, Diane en profite.

Je suis plus ton amie, c'est ça?... (silence) Ah ça y est j'ai trouvé! Tu fréquentes la bande des péteuses d'Emma et t'oses pas me le dire? (elle recommence à s'exciter) Alors écoute-moi bien ma peut-être ancienne meilleure amie, si tu m'as fait ce coup, alors que j'ai failli être saigner pour toi, enfin presque, je crois que je ne pourrais jamais te le pardonner. Voilà c'est dit. (elle hausse les épaules) Maintenant tu peux faire ce que tu veux, devenir qui tu veux, t'es libre mais rappelle-toi notre amitié est morte! A jamais!

J'éclate à nouveau de rire, c'est merveilleux comme ça marche à tous les coups avec Diane, elle court, galope et me fait à chaque fois son cinéma. Essoufflée, je la regarde bouder. Je reprends enfin mon souffle et la fixe en pensant que j'ai vraiment de la chance de l'avoir pour amie et j'espère qu'on le restera toute la vie.

Bon... Comment te dire ça...

Immédiatement, Diane se ranime, son visage est à nouveau ensoleillée par l'alléchante promesse d'un secret partagé.

C'est pas facile quand même. (Diane arrive à se contenir et ne dit rien) Tu sais que moi j'aime pas trop raconter ces choses-là...

Tout d'un coup son visage s'éclaire et elle ne peut plus se contenir.

Non!... C'est pas possible! Me dit pas que...

J'hoche la tête plusieurs fois.

Me dis pas que tu l'as fait!!!!????

Hurle-t-elle. Je pince les lèvres très fort et secoue encore plus vivement la tête. Diane est maintenant excitée au plus haut point. Elle se lève tout d'un coup et saute de joie à plusieurs reprises, je n'aperçois plus que son buste et une partie de ses jambes qui bougent dans tous les sens. Elle se rassied enfin.

C'est vrai alors? Avec qui?Dis-moi qui c'est? Je le connais?»

Oui, oui. Bon c'est pas sûr que tu sois aussi contente que moi mais j'ai pas pu résister.

Ses yeux s'écarquillent, à cet instant je sais qu'elle sait.

- Haannnn! Je le crois pas! Lui? Tu l'as fait avec lui?...

Maxence!? Mais arrête de rougir ! Mais comment t'as fait? Comment ça c'est passé? Je l'ai toujours trouvé canon ce mec mais trop con pour moi.

Je m'en fiche! C'est lui que je voulais pour cette seule et unique fois! Tu me l'as toujours dit, il faut que ce soit un souvenir impérissable. C'est bien ce que tu m'as dit, non?

Oui oui ma chérie mais il n'empêche qu'il est con! Et une de plus sur son tableau de chasse. En plus maintenant tu vas être encore plus amoureuse. C'est pas bon pour toi cette affaire..

Ça m'est égal.  Me gâche pas mon plaisir. Je ne voulais pas le faire avec n'importe qui et sans être  amoureuse. Tu le sais que c'est impossible pour moi! J'ai besoin d'aimer...

Et d'être aimé aussi un peu non?

Mais il m'a aimé, je t'assure, il m'a vraiment aimé.

Ok, ok. Et maintenant comment tu vas faire?Tu sais comment ça va se passer? Dès que sa « pouf » reviendra, il te regardera même pas...

Je redresse les épaules en signe d'indifférence mais Diane n'est pas dupe et saisit mon trouble.

D'accord on en parle plus. Alors comment c'était? En gros hein, parce que je compte bien savourer les détails une prochaine fois... Ah!Ah!Ah!

C'était super!

Mais encore?

Féérique, magique, merveilleux. Attentionné. Non vraiment. Il a été très doux, très tendre (je sens que Diane est en train de fondre) et surtout il a été patient et attentif à mon...

A ton quoi? (Diane redevient elle-même)

A mon, à mon plaisir, voilà je l'ai dit. A quoi tu veux que ce soit? T'es bête alors...

Et ben dis-donc, faut te tirer les vers du nez toi, c'est pas possible. Tu l'as joue perso, alors que moi je te raconte toujours tout. T'as même eu le privilège des détails avant l'heure. Tu pourrais un peu partager!

Oh moi  je sais pas raconter tout ça. Toi tu l'avais même pas fait que déjà tu salivais.

Ah!ah!ah

Nous rions ensemble lorsque ma mère toque à la porte.

A table dans cinq minutes.

Bon, je te laisse, C'est l'armistice, on va pouvoir manger.

Je lui envoie plein de bisou et avant d'éteindre, de son air mutin, coquin et en prime avec un clin d'œil, Diane me lance d'une voix suave :

Passe une bonne nuit et fais de beaux rêves! Ah!Ah!Ah!

Face à la grande glace qui longe les deux murs du studio de danse, je tire ma jambe posée sur la barre et pointe mon pied le plus en avant possible. Je sais que Marishka ne me quitte pas des yeux depuis que je suis arrivée et que je m'échauffe. Pourtant, je me sens si bien à l'intérieur de moi, que je ne comprends pas pourquoi j'ai tant de mal à me détendre. Et je n'ai pas besoin du regard de Minouche, comme nous l'appelons toutes ici, pour savoir que j'ai les mollets et les orteils plus durs que d'habitude. Et même lorsque je tente de me dérouler souplement pour atteindre la pointe de mon pied, c'est avec un peu plus de force que d'habitude. Je ne la vois pas mais je sens Minouche s'approcher de moi. De son éventail, elle me tape sur la colonne vertébrale :

Où tu es ma Bibouskha?

Je reprends mes exercices et jette un coup d'œil dans la classe et me rends compte que les autres filles nous fixent. Certaines se réjouissent même de ce reproche. On cherche tellement son approbation et l'on sait que le seul moyen d'y parvenir c'est de viser l'excellence, sinon rien. A défaut d'atteindre le haut du podium, certaines n'hésitent pas à utiliser tous les moyens pour destituer la meilleure aux yeux de Marishka. Mais si certaines se sont laissées aller à des vacheries, allant jusqu'au croche pattes, le renvoie de certaines en a décourager plus d'une de se laisser aller à des penchants malheureux et méchants. Je me tourne précipitamment vers Minoouche et lui dit, confuse :

Je suis désolée Marishka. J'ai mal dormi et puis l'approche du Bac m'angoisse.  (Marishka me coupe):

Bon ça va, ça va... Replace ta jambe sur la barre...

Je m'exécute et déplie à nouveau mon torse afin d'être au plus près de mon orteil. Minouche pose alors ses deux mains à plat sur mon dos et appuie de toutes ses forces. Mon visage, sous l'effort et la surprise s'empourpre tandis que je transpire mais atteins mon but. A ce moment-là seulement, Marishka me délivre, elle exécute une pirouette et me lance :

Tout m'est égal, sauf l'effort et la perfection du geste! Des danseuses qui suent sang et eau!

Toute l'après-midi, nous avons transpirés et déposés aux pieds de Marishka tout ce que nous possédions. Lorsqu'enfin, elle claque des mains, nous sommes rompues et si nous ne la craignions pas, nous aurions rejoints à quatre pattes les vestiaires. Mais nous traversons la salle et passons devant Minouche, le corps droit, le menton relevé et l'allure royale et gare à celle qui ne se prête pas à ce rituel, de la pointe de son éventail, Marishka redresse le tout et nous gratifie d'un regard noir et charbonneux qu'elle seule possède. Et comme à chaque fois, après chaque répétition, après chaque ballet, je me sens merveilleusement bien. Je ne sais comment expliquer cela. On dirait que je renais. Plus tout à fait la même dans une enveloppe corporelle identique. C'est étrange. Se sentir différente à l'intérieur et restée identique aux yeux des autres, celle que tous connaissent. Ma passion est toujours aussi authentique, comme la première fois où grand-mère Garance m'a amené dans ce studio. J'ai su immédiatement que cette maison était la mienne et mon désir, celui de danser encore et toujours, d'aller plus loin et plus fort. Je vibre de la même intensité qu'au premier jour. Pourtant, il m'est arrivé de verser des larmes que je tentais de ravaler mais l'effort et l'épuisement était tel qu'il me fallait laisser quelques larmes s'échapper. Discrètes et fugitives, elles étaient mon seul abandon. Le prix à payer pour cette liberté ressentie. Personne, sauf peut-être grand-mère Garance ou encore mon amie de toujours Diane, ne se doute de ce volcan qui m'habite, de cette passion pour la danse qui parfois semble me consumer et si je veux être honnête, l'amour est peut-être le seul sentiment que je place à égalité, sur la première place du podium.

Dans cette euphorie, je décide de faire un petit tour par la grande plage, non pas pour voir Maxence, pour l'instant je suis remplie de cette rencontre qui me réchauffe encore le cœur mais juste pour la beauté du paysage et de sa lumière. J'aime l'idée, en marchant au bord de la plage, que les plus grands se sont inclinés face à la splendeur de cet ancien village de pêcheurs situé au bord de l'océan atlantique . Victor Hugo venait s'y ressourcer et Napoléon s'y baigna. Il a même fait construire un palais en forme de E pour l'impératrice Eugénie qui venait y séjournait uniquement quelques mois par an. Si c'est pas de l'amour ça! La reine Nathalie de Serbie et l'actrice Deborah Kerr ont également succombé aux charmes de Biarritz, ma ville, celle où je suis née. Diane se moquait toujours de moi lorsque je lui racontais ce beau passé. Elle ne pouvait s'empêcher de pouffer dans sa main et me disait souvent : « Il ne te manque plus que les clés de la maison, à t'écouter on croirait que Biarritz t'appartient! » Et là je me lançais dans l'histoire de cette ville, enfin surtout les pans qui m'intéressait le plus, je lui disais alors : «Allons prendre d'assaut le rocher de la vierge et faisons un vœu.» De son air mutin, elle me répondait : «Je préfère la chambre d'amour, ça m'excite plus!» Je riais avec elle mais ne pouvait m'empêcher de penser au sort qui avait été réservé aux deux amoureux, venus cacher leur amour dans une des grottes ouvrant sur l'océan et qui furent un jour surprit par la montée des eaux et ne purent s'échapper. Ils sont à jamais unis, endormis éternellement dans leur chambre d'amour.

A penser ainsi à mon amie Diane, son absence se fait encore plus ressentir et je me souviens  de notre dernière promenade sur la grande plage avant son départ pour Londres. Ce jour-là, pour m'épater, elle s'était redressée et avait crier, les bras écartés, face à l'océan, sans se soucier des promeneurs de la plage, la devise de la ville : «J'ai pour moi les vents, les astres et la mer.» Puis se tournant vers moi, elle avait rajouté : «Et je t'ai toi mon amie de toujours et pour toujours.» A ce moment-là nous étions tombés dans les bras de l'une et de l'autre et nous avions pleurés, pleurés à chaudes larmes sans pouvoir nous arrêter. Et lorsque nous relevions nos visages pour nous regarder, afin d'imprimer les traits de chacune dans nos esprits, le rire se mélangeait aux larmes, ne sachant choisir l'un ou l'autre.

Je respire à pleins poumons, une dernière fois avant de rentrer, cette odeur qui m'est si familière, dont j'aurais vraiment du mal à me passer et qui reste ma senteur préférée. Les effluves marines de l'océan face à moi pénètre tout mon corps, toute mon âme. Peut-être que dans une vie antérieure je devais vivre au fond de l'eau. Je me relève, me secoue pour me débarrasser du sable et rejoins  le bitume. J'aperçois au loin les surfeurs qui dansent sur les vagues. Ces ondulations et ces glissements qui caractérisent le surf n'a d'autre objectif que de maîtriser la mer pour mieux posséder ces vagues, ces rouleaux qui n'en finissent pas de se jeter sur la plage. De loin, ces surfeurs sont tous beaux, la souplesse et l'élégance sont une force calculée afin de se maintenir debout sur la planche et ainsi savourer ce plaisir toujours renouvelée pour vaincre la vague. La rechercher pour la soumettre et ne faire plus qu'un avec elle. Mais toujours droit, toujours debout. Arrivés sur la plage, heureux, ils se racontent comment ils ont échapper à cette force liquide ou comment, au contraire ils l'ont apprivoisé pour faire corps avec elle. J'aperçois, au loin, Maxence qui rit et secoue ses cheveux blonds couleur paille pour faire tomber l'eau de mer restante. Je m'arrête un instant et le regarde. Mon Dieu qu'il est beau et combien je l'aime! A cet instant précis je me fais  la promesse que je ne regretterai jamais de l'avoir choisi. Quelque soit la suite, si suite il y a, jamais, non jamais je ne le regretterai.

 Avril touche à sa fin et bientôt nous n'aurons plus besoin d'aller en cours. Au mois de Mai de cette année je ne pourrai pas faire ce qui me plaît, les révisions approchent et si je ne veux pas repiquer une troisième terminale, j'ai intérêt à mettre le paquet. Mais c'est dur de réussir partout et c'est vrai que ma priorité a toujours été de danser, au grand dam de ma mère. Mais si j'avais su le tsunami que j'allais provoquer en ratant mon bac, je me serais débrouillé pour l'avoir.

Je me souviendrai toujours dans quelle rage est rentrée ma mère lorsque j'ai même échoué l'oral de rattrapage. Grand-mère Garance en a pris aussi pour son grade, écoutant calmement sa fille lui reprochant mon échec et le sien. Grand-mère Garance n'a pas bronché face à cette explosion de déception, percevant sans doute autre chose à travers cette colère. C'est la seule fois où je me suis rendue compte de l'amertume de ma mère, de cette force destructrice qu'est le regret. Je l'entends encore hurler sur grand-mère Garance :

Je ne veux pas, tu entends, je ne veux pas qu'elle finisse comme moi...

T'as choisi ta vie ma chérie. Répondait avec calme grand-mère Garance.

Non, c'est faux. Si je n'avais pas écouté tes sornettes, je ne me serais pas fait engrosser par le premier Don Juan venu...

Ah! Parce que c'est moi qui t'es prise par la main pour te mettre dans son lit? Regarde-moi dans les yeux et ose me dire que je ne t'avais pas mis en garde. Combien de fois va-t-il falloir que je le répète.

Je me croyais la plus forte, la plus belle. A 20 ans on se croit toujours invincible!

Puis me regarde et secoue la tête, dépitée.

Mais comment j'ai fait pour avoir une fille comme toi! C'est pas faute de t'avoir répéter encore et toujours qu'il te faut réussir tes études, si tu veux t'en sortir. L'indépendance financière est la seule vraie liberté! Que tu gagnes très bien ta vie. Pas finir comme moi à nettoyer, récurer parce que j'ai crû au prince charmant!

Je baisse toujours la tête dans ces moments-là, incapable de rassurer ma mère. Je suis si désemparé et déçue de ne peut-être pas être la fille qu'elle aurait voulu. Puis d'un coup ma mère se redresse et pointe son doigt dans ma direction.

La danse s'est terminée?!

Je me revois la suppliant : «Non maman je t'en supplie, pas ça...»

Si! On a fait un pacte et tu ne l'as pas respecté.  (Je me tourne alors vers grand-mère Garance, en larmes.)

Pourquoi t'es méchante comme ça? Lui dit-elle.

Ma mère, les yeux exorbités, n'y croit pas.

 Tu ne te mêles pas de ça!

Non seulement je vais m'en mêler mais en plus je t'interdis de l'empêcher de danser!

Ah ouais? C'est à cause de toi qu'elle est comme ça.  Avec tes histoires de danseuses russes qui dansaient avec Noureev, les tournées mondiales avec le Bolchoï! Ah!Ah!Ah! Mon œil! (dit-elle en appuyant dessus). Des conneries oui! Heureusement que je me suis réveillée... Je veux plus de Belle au bois dormant à la maison!

Non seulement Sharleen va continuer à danser et en plus en elle aura son bac l'année prochaine. Quant à toi, tu n'as plus intérêt à me reprocher l'éducation de ta fille ou je lui raconte pourquoi je me suis occupée d'elle.

T'oserais pas?!

Essaye pour voir!

Un long regard est échangé entre ma mère et grand-mère Garance. Ma mère pleine de colère rentrée secoue la tête, les lèvres tremblantes, tandis que grand-mère Garance, le visage fermé et dur, comme je ne l'ai jamais vu, n'a pas un cil qui bouge. Elle rajoute juste : «Les regrets ne servent à rien et tu ne peux pas faire porter tout ça à ta fille. Combien de fois t'ai-je dit de donner une nouvelle chance à l'amour...» Tétanisée ma mère secoue la tête, refusant de toute son âme cette idée-là. «Et pourtant si tu m'avais écouté tu ne serais pas devenue ce bloc de colère et de frustrations...» Ma mère crie et se bouche les oreilles, mais grand-mère Garance, imperturbable, continue en ne la lâchant pas du regard. «Tu n'as laissé aucune chance à tous ceux qui voulaient t'aimer. Tu les dégoûtais avant l'heure. Vouloir toujours garder le pouvoir, quitte à humilier. Ta méchanceté affichée les faisait fuir. Lâches, tu disais, ce sont tous des lâches! Mais la vérité, c'est que c'est toi qui les poussais à partir pour mieux les accuser. C'est toi qui est lâche! Incapable d'aimer encore, de te donner une nouvelle chance.»

Un long silence s'installe ou les deux femmes de ma vie s'affrontent du regard. Ma mère debout, face à elle et grand-mère Garance assise dans son fauteuil habituel, le menton redressé, fixant ma mère de ses grands yeux bleus vifs. Elle poursuit un rictus au coin des lèvres : «Et je ne te laisserai pas faire la même chose avec Sharleen. N'oublie pas je l'ai aussi élevé. J'étais là quand tu avais besoin de moi, c'est tout! Donc, elle continuera à danser!...» Elle se tourne alors vers moi et rajoute : «Et toi ma chérie, l'année prochaine tu nous ramènes le bac comme trophée.» Ma mère s'échappe en courant du salon, la porte de sa chambre claque, je me précipite dans les bras de grand-mère Garance où je m'écroule et pleure tout mon soûl.

Mais pour l'heure c'est le printemps et je suis heureuse. Je suis sûre que cette année ça va le faire. Je vais l'avoir mon bac. Pas seulement pour faire plaisir à ma mère mais surtout pour le soutien de grand-mère Garance. J'arrive devant le lycée Malraux et j'aperçois au loin Maxence, il est avec des amis. Je lui adresse un petit signe, d'un sourire un peu contrit, il me répond.  Je rejoins ma classe et j'ai déjà hâte que la sonnerie de 10 heures retentisse pour apercevoir Maxence.

Dès que ça sonne, je me précipite  dans la cour et cherche si mon amoureux est là, je l'aperçois sortant de sa salle et me dirige droit sur lui mais dès qu'il me voit, le regard affolé, les mains serrés dans les poches, il change de direction. Je sais que je ne devrais pas lui courir après mais c'est plus fort que moi. Arrivée à sa hauteur, je le salue d'un air faussement gai, il ne prend même pas la peine de s'arrêter. Je le poursuis et lui demande pourquoi il ne veut pas me saluer? Il se tient à grande distance de moi et me répond énervé :

Lâche-moi! Qu'est-ce-que t'as à me courir après comme ça? C'est bon là!

Mais...(je ne sais plus quoi lui dire) C'était juste pour te dire bonjour.

Non mais t'arrête-là! (D'un signe de tête, il me montre le banc où viennent de s'installer les pestes d'Emma) Tu vois pas les charognes sur le côté...  J'ai pas envie d'avoir des embrouilles avec Emma... (Devant mon air ahuri, il m'achève) Et puis elle je l'aime!

Je baisse la tête, mal à l'aise, puis la redresse : «Je voulais juste te dire bonjour et...(je hausse une épaule) et peut-être qu'on pourrait être amis quand même...»

Maintenant c'est Maxence qui est gêné, il souffle : «T'es une fille bien Sharleen mais  c'est pas possible...» (il regarde en direction du banc des pestes et leur adresse un sourire ironique ) «Oui t'es une fille bien (il balance sa tête vers les autres) pas comme ces serpents à sonnette.» A cet instant il lève la main vers mon visage et me caresse la joue. Je sais les risques qu'il prend en faisant ça et sa sincérité ne fait aucun doute, je reconnais ce regard. «Mais n'attend rien de moi. C'était super avec toi, c'est vrai. J'ai adoré mais j'aime Emma.»

Sa main se retire : «Je suis désolé mais c'est la dernière fois que l'on se parle! Ne cherche plus jamais à me revoir et à me parler!» Je le regarde et ne peux m'empêcher de laisser les larmes roulaient sur mon visage, incapable de bouger. Il se détourne et me lance :

Putain, tu fais chier Sharleen!      Maxence s'en va, Maxence me quitte pour toujours, je le sais, il me plante au milieu de la cour sous les regards inquisiteurs des grosses pestes qui n'en perdent pas une miette. D'un geste rageur j'essuie mes dernières larmes et part en courant.

Et c'est à partir de ce moment-là que mon calvaire à commencer. Non pas celui de ne pas être aimé par Maxence, c'est un risque calculé que j'ai pris même si j'espérais secrètement, maintenant je peux le dire, qu'il tombe amoureux de moi après lui avoir offert ce qui m'était le plus précieux. Mais bon, je me racontais des films. Comment faire le poids face à Emma. Seule Diane pouvait rivaliser avec elle, elle le savait bien  Emma. Mais maintenant c'est la seule reine et ne compte pas se faire détrôner.

C'est Diane qui m'a interpellait un soir où je rentrais épuisée mais sereine d'une de mes répétitions de danse. Cela faisait plusieurs jours que je m'écroulais sur mon lit après la douche sans même aller sur ma page facebook. Avec Diane on s'envoyait des petits sms et nombreux sont ceux auxquels je n'ai pas répondu et c'est sans doute pour ça qu'elle s'est rendue sur ma page. Entre les révisions en journée et les répétitions le soir tard, je ne touche plus terre, comme dit ma mère. Donc ce soir, je « skype » avec mon amie.

Dis, moi aussi j'arrête pas de bosser! T'imagines pas ce que c'est d'être fille au pair avec 5 personnes. Si ma mère me voyait, elle n'en reviendrait pas!

Oui je sais, je suis désolée. Mais je me mets une telle pression. Cette année je dois rien rater ou sinon je sais pas ce que je deviens...

Bon ça va, ça va... Mais ça fait longtemps alors que tu vas plus sur ta page facebook?

Mouais, je sais plus... pourquoi?

Parce que t'as été taguée...

 Mais par qui? Pourquoi?

C'est tout l'effet que ça te fait?

Non mais je suis trop fatiguée... Tu peux m'arranger ça?...

Pourquoi tu vas pas  voir? ... Ça craint. Va yet après on se reparle. Allez à plus!

 Je me mets sur ma page facebook et là ce que j'y découvre me sidère mais très vite l'indifférence prend le dessus. Pourtant ma petite voix me dit que je devrais réagir, répondre immédiatement mais je n'y arrive pas. Je me déconnecte et retrouve Diane.

Pfff! C'est Emma et compagnie. Je m'en fous de ce qu'elle raconte...

Mais c'est vrai?

Quoi?

Oh arrête ce petit jeu! Pas de ça avec moi! Tout ces commentaires, comme quoi tu t'es traîné aux pieds de Maxence dans la cour pour qu'il te reprenne...

N'importe quoi!

Mais qu'est-ce-qu'il y a de vrai là-dedans?

La photo de la vierge Marie, tu le sais bien c'est mon premier.

Mais encore?...

Ben, j'ai voulu lui dire bonjour dans la cour et lui voulait pas. Alors je lui ai couru, un peu, après.

Un peu?

Ouais un peu, c'est tout! Mais les pétasses, elles étaient sur le banc et elles ont vu quand il m'a caressé la joue. Alors elle se sont fait plein de films et elles ont tout répété à qui tu sais! Elle a dû le cuisiner. C'est pas de sa faute, elle a dû l'obliger!

En plus tu l'excuses ce lâche! Ce petit con!

Oh arrête! Je m'en fous d'elles! Elles peuvent dire ce qu'elles veulent!

En attendant je parie qu'il te parle plus. Il t'a dit, (elle prend une voix moqueuse) t'es une fille bien mais toi et moi c'est pas possible. Mais pour qui il se prend ce connard. Si j'étais-là je lui en filerai une à lui et à sa pouf! Non elle je la massacrerai. Elle en profite cette salope...

T'énerves pas comme ça. Je m'en fous d'elle!

Ben moi non et j'te jure qu'elle perd rien pour attendre. Un de ces quatre je lui ferais manger le trottoir!

Bon ça y est là, t'as fini? Allez salut.

Ouais c'est ça. Byebye!

Mais aujourd'hui je suis obligée de reconnaître que mon amie avait raison. Je ne sais pas si c'est mon silence qui les a excitées, comme si leur méchanceté n'avait plus de limites. Pendant des jours et des jours, j'ai ignoré les regards des autres danseuses lors des répétitions, leurs messes basses lorsque je passais près d'elle, leurs sourires en coin et leur mines conspiratrices. Comme si elles avaient trouvées là un bon moyen de me faire payer l'attention particulière que m'accorde Marishka. J'ai bien compris qu'elle sont au courant des rumeurs, les vipères sont en action et sifflent. Mais je ne veux pas me laisser entraîner dans cette spirale et décide alors de ne plus leur parler, de ne plus leur accorder la moindre attention. Je danse, je tourne, je saute, je vole, toujours plus haut comme me le demande Marishka. Je traverse la salle en diagonale et j'enfile six piquets à la suite, je reprends mon souffle et repart en sens inverse. Je ne lâche rien et si je reconnais les signes de satisfaction dans les yeux de Marishka, ce sont ceux de la jalousie qui s'affichent sur les visages de certaines des autres ballerines et je sais qu'elles me le feront payer le moment venu.

Et c'est dans ces moments-là que, Bordel de merde, Diane me manque le plus. Non pas que j'ai besoin d'elle pour me défendre mais combien est douce son amitié et me donne à espérer sur la nature humaine. Jamais nous nous sommes disputées, nous passions plutôt notre temps à rire, des autres bien sûr,  mais surtout de nous. C'est elle qui la première m'a fait fumer, même si maintenant je ne fume plus, j'ai besoin de mon souffle. C'est elle qui m'a montré dans une glace comment bouger ma langue le jour où un garçon m'embrasserait. Même que j'avais trouvé ça dégoûtant et m'avait alors proposé des travaux pratiques, pour se rétracter immédiatement, prétextant que j'aurais déjà beaucoup à faire avec les mecs. Elle m'a même, à l'aide d'une banane appris à enfiler un préservatif, elle était naturellement experte et moi godiche comme d'habitude. Je ne crois pas que je connaisse une autre fille aussi aimante des hommes. Mais vraiment, elle en parle comme une gourmande devant une gros gâteau. Et dans sa bouche rien n'est sale, bien au contraire, elle réchaufferait n'importe quel glaçon et je suis sûre que Maxence n'aurait pas refusé, si elle avait voulu. C'est pour cela, qu'aujourd'hui plus qu'hier, elle me manque tant et je regrette de ne pas l'avoir écouté et de ne pas avoir affronté la situation pendant qu'il en était encore temps. Elle est dans une colère noire lorsque ce soir elle me «skype».

Putain, t'as regardé ce qui sort quand on tape ton nom?

Non pourquoi?

Non là maintenant faut que t'arrêtes Sharleen, ça commence à être grave. Tu peux pas les laisser continuer. Si tu bouges pas, c'est moi qui descends et je te jure que c'est à kalachnikof que je les achève!

Je vais voir et je reviens sur toi!

Horreur! Des photos pornos s'affichent avec ma tête sur le corps d'une autre et il y en a des tas comme ça avec des commentaires salaces.

Mais elles sont folles!

 T'as pas compris encore? C'est la mauvaise qui est derrière tout ça. Son mec a couché avec toi! Il t'a préféré à elle... C'est impossible dans sa tête!

Mais elle l'a récupéré...

 C'est le genre de fille qui déteste les filles comme toi, ça les renvoie à leur vie de merde. Tu verras dans 10 ans, elle sera toute flétrie, imbibée d'alcool et tellement botoxée qu'elle ressemblera plus à rien.  Elle sera moche de partout!

Je suis fatiguée par tout ce qui m'arrive et même par la colère de Diane.

Faut réagir! Et rappelle-toi ce je que je te dis, Emma sera la plus grande cocue de Biarritz. Mais en attendant il faut lui couper les jambes à cette salope!

Mais qu'est-ce-que tu veux que je fasse?

Œil pour œil, dent pour dent!

Non!

Comment non?!

Je sais pas faire ça. J'arrive pas!

Quoi! Non mais tu plaisantes-là!

Écoute quand j'aurais passer mes épreuves de bac et mes concours de danse, je te promets je m'attaquerai au problème. Mais là, je peux pas...Où? Quand? Et puis merde!

Diane me lance un regard noir avant d'arrêter brutalement de «skyper» :

Je suis morte de rire tellement t'es nase!

Pour dire toute la vérité, je sens que si je me laisse aller, cela sera trop fort et je risque d'exploser en plein vol, c'est pour cela que j'affiche une certaine distance. Comme si je n'étais pas vraiment concernée. De toute façon, bientôt ce sera les vacances et tout le monde partira de son côté, j'ai juste à attendre que tout cela se calme. En plus je ne croise même la bande des pestes d'Emma et je ne vois pas grand monde du lycée, donc... Il n'empêche que le lendemain, après ma nuit blanche, je suis dans un tel de fatigue que j'ai du mal à me concentrer pour les révisions. Et les petites attentions de grand-mère Garance n'y change rien. Je picore dans mon assiette et ne touche au goûter. C'est lorsque j'arrive au studio de danse en voyant les mines réjouies de certaines danseuses que je comprends que j'en ai pas fini avec cette histoire. Quand je pénètre dans les vestiaires, je trouve affichée au-dessus des portes manteaux les photos avec le même montage qui donne à croire qu'il s'agit de moi dans ces positions pornographiques. Je les entends rire derrière mon dos, pendant que je précipite sur les photographies et les arracher avant que Marishka ne les découvre. Puis je me prépare et rejoins les autres afin de m'entraîner. Mais le cœur n'y est plus et ne cesse de me tromper. Marishka le remarque et ne me lâche pas. Je rate une pirouette sur deux et les autres sont trop fières de montrer qu'elles y arrivent. A la pause, Marishka s'approche de moi et me demande :

Qu'est-ce-qui t'arrive aujourd'hui? T'es pas dans ton assiette, t'es malade?...

Je secoue la tête, incapable de parler.

Alors tu te bouges et tu me réussis ce qu'une enfant de 9 ans réussirait sans problème. C'est clair?!

Elle n'attend pas ma réponse, elle exige que je revienne à mon meilleur niveau. Mais toute la soirée est aussi catastrophique et lorsque je lui adresse mon bonsoir, elle ne me répond pas, et les autres en profitent pour aller l'embrasser, toutes heureuses de gagner ses faveurs.

Le soir même, je ne dîne pas et adresse à peine la parole à grand-mère Garance et lorsque le lendemain arrive l'heure de me rendre au studio, je préfère, pour la première fois, aller me promener du côté du phare et des rocheuses plutôt que d'aller danser. Je suis un instant tentée d'aller rejoindre les deux amoureux dans leur chambre d'amour mais en y réfléchissant je n'en ai même pas le courage. Lorsque je rentre, je me fait discrète et regagne sur la pointe des pieds ma chambre, en laissant l'assiette pleine sur la table de la cuisine. Le lendemain, je me fais studieuse dans la journée, jette à la poubelle la nourriture apportée par grand-mère Garance et à l'heure de rejoindre le studio, à nouveau je m'échappe vers la plage. J'emporte avec moi un plaid afin qu'il me tienne chaud et mon I-Pod pour écouter ma musique, surtout notre chanson préférée à Diane et moi. Diane qui ne répond plus à mes messages et refuse de se «skyper» avec moi. Sa colère n'est pas retombée et je ne sais pas quoi faire pour la calmer. Je ne peux quand même pas lui raconter des mensonges, pas à mon amie. Alors je ne l'appelle plus, je ne lui dis plus rien et j'attends qu'elle revienne vers moi. En attendant j'écoute encore et encore notre chanson, c'est elle qui me l'a faite découvrir, c'est sa mère qui l'a lui chanté enfant et moi je ne la chante pas, je la hurle, les yeux remplis de larmes avec en fond sonore le bruit des vagues qui vient s'échouer sur la plage.

« Dis, quand reviendras-tu?

Dis, au moins le sais-tu

Que tout le temps qui passe

Ne se rattrape guère...

Que tout le temps perdu

Ne se rattrape plus!»

 Je laisse Barbara terminer la chanson, je ne peux plus chanter. Les larmes inondent mon visage, s'engouffrent dans ma bouche, je m'allonge alors sur le sable et termine d'écouter la chanson en silence.Lorsque je rentre à la maison, je trouve ma mère et grand-mère Garance sur le pas de la porte, angoissées et le visage complètement défait. Ma mère m'attrape et me sert fort contre elle, j'étouffe et la repose doucement.

Où t'étais? Marishka nous a appelé, elle nous a dit que ça fait plusieurs jours que tu ne vas plus danser... Elle te croyait malade...

Grand-mère Garance s'approche alors et me tire à elle et c'est dans ses bras qu'à nouveau je pleure, je sais qu'elle seule peut me comprendre sans explications aucune. Elle m'entraîne avec elle à l'intérieur de la maison, ma mère nous suit, silencieuse. Grand-mère Garance m'installe dans son fauteuil et toutes deux m'entourent de leur amour et je sais alors que je leur dois une explication mais je ne peux pas leur parler des photos pornos sur internet et au studio. Alors je leur avoue juste mes soirées sur la plage et notamment la dernière en compagnie de Barbara à pleurer sur l'absence de mon amie Diane. La réaction de ma mère ne devrait plus m'étonner mais je ne peux m'empêcher de la regarder avec stupéfaction lorsqu'elle me dit :

Quoi c'est pour ta copine que tu ne manges plus, tu ne danses plus, tu ne vis plus quoi? Mais c'est pas normal!.. Ça va la tête de faire des trucs comme ça!

Grand-mère Garance lui jette un regard noir et lui dit :

Va lui préparer un chocolat s'il te plaît!

Ben quoi qu'est-ce-que j'ai dit! C'est vrai quoi. On s'est fait un sang d'encre toute la soirée et c'est pour savoir que c'est parce que Diane lui manque. C'est un peu fort de café quand même!

Le chocolat s'il te plaît! Insiste grand-mère Garance

Ma mère hausse les épaules et nous laisse seules. Grand-mère Garance me prend alors les mains et me dit : «Elle te manque ton amie, hein? Tu as raison, une amie est toujours chère à nos cœurs.»

Et ton petit ange gardien, tu l'as appelé près de toi ma chérie?... Tu sais il est là pour te protéger...

Ma mère apparaît alors dans l'encadrement de la porte du salon, la tasse de chocolat à la main.  L'oreille toujours compatissante de grand-mère Garance plus le chocolat m'ont tenu chaud au cœur toute la nuit. Le lendemain, après, le départ de ma mère au travail, je descend prendre mon petit-déjeuner, grand-mère Garance m'attend dans la cuisine. Elle me laisse petit-déjeuner et me raconte alors ce qui s'est passé hier soir mais dont ma mère n'est pas au courant.

C'est pas la peine de lui en parler, tu sais comme elle est. Me dit-elle.

De quoi tu parles?

Ne t'inquiète pas, Marishka m'a tout raconté. Lucette qui fait le ménage au studio de danse a trouvé les photos dans la poubelle et les lui a montré. Pourquoi tu ne m'en a pas parlé?

Poufff! J'en sais rien et puis c'est difficile...

Enfin en tous les cas, Marishka a attrapé les filles et je te prie de croire qu'elle leur a passé un savon. Par contre, elles ont jurés, crachés que le montage ne venait pas d'elle, qu'elle l'avait trouvé sur internet. C'est vrai?

Oui, c'est vrai...

Alors qui c'est? Même si je m'en doute un peu, en plus les filles ont parlé quand même. Marishka les a cuisiné...

Je ne réponds pas.

J'attends Sharleen! Je veux que tu me donnes son nom.

Emma. Elle s'appelle Emma.

Très bien. Tu termines ton petit-déjeuner et après on y va!

On va où?

Tu verras... Allez dépêche-toi, je passe juste un coup de fil...

Et nous voilà partis à travers la ville, à la recherche de je ne sais quoi, grand-mère Garance gardant le silence. Je la suis à travers la ville, jusqu'à ce que nous atteignons le fief d'Emma et de sa bande de pestes en face du lycée. A ce moment-là je tire grand-mère Garance par le bras et m'oppose de toutes mes forces afin qu'elle n'entre pas dans le bar. Elle me repousse doucement mais fermement et sans me laisser le temps de réagir je la vois rejoindre la table d'Emma. A travers la vitre je suis sa progression sans se soucier des sourires ironiques et des interrogations des autres jeunes attablés ou en train de jouer au baby foot où se trouve aussi Maxence qui m'adresse un regard fugitif. Grand-mère Garance ne se démonte pas et se place droite et fière devant Emma qui la toise de son mépris, comme à son habitude, lorsqu'elle sait qu'elle ne peut obtenir allégeance. Entourée de ses amis pestes, elle souffle et veut se lever mais tout d'un coup elle se rassoit, quelque peu décontenancée. Je ne sais pas ce que lui dit grand-mère Garance à ce moment-là mais au fur et à mesure qu'Emma se décompose, les pestes d'abord gênée échangent maintenant des petits sourires mesquins puis d'un coup elles éclatent de rire. Elles se gaussent les Hyènes, hier amies, aujourd'hui elles se repaissent déjà d'une possible déchéance. Mais elle se réjouissent trop tôt. D'un seul coup Emma se tourne vers celle qui se trouve près d'elle et la gifle à toute volée. Les autres pestes cessent immédiatement de rire et se composent des mines affectées. Emma encore dans sa fureur retrouve toute sa vigueur et affronte du regard grand-mère Garance qui d'une phrase lui fait à nouveau baisser les yeux. Emma les garde ainsi jusqu'à ce que ma grand-mère chérie quitte la table et leur tourne le dos. Telle une reine, elle traverse la salle dans un silence de plomb et lorsqu'elle me rejoint enfin, Emma me regarde, rageuse et je lui offre mon plus beau sourire. Grand-mère Garance me rejoint alors, colle son nez à la vitre du bar et joint un beau doigt d'honneur. Derrière la vitre c'est une explosion de rire qui agite la salle, grand-mère Garance m'attrape alors le bras et m'entraîne avec elle. Je ne résiste pas longtemps à lui demander ce qu'elle a bien lui dire pour l'anéantir ainsi.

Tu te rappelles le petit coup de fil que j'ai passé tout à l'heure?

Mmmmh!

Et bien au bout du fil j'étais avec la grand-mère d'Emma.

Tu la connais? Mais il paraît qu'elle est de la haute...

Grand-mère Garance éclate de rire.

Ah!Ah!Ah! Si elle est de la haute, moi je suis encore vierge alors... Je vais te raconter... Pendant la guerre, sa grand-mère travaillait dans un bordel...

Non, c'est pas vrai...

Chuuut, écoute-moi. C'était la meilleure et beaucoup d'allemands se la disputaient et des gradés en plus, cela nous a bien servis. Quand une guerre éclate, en général les barrières tombent et c'est une bonne chose. C'est comme ça que nous nous sommes retrouvées à travailler, avec ton grand-père pour le même réseau de résistance, chacune dans sa partie. Le lit d'Hortense de son vrai nom, Bijou pour les habitués, a accueilli beaucoup de monde, certes, mais aussi bon nombre d'enfants juifs qu'elle cachait dans son armoire ou sous le lit, enfin tous ceux que je ne pouvais plus cacher dans ma classe. Alors tu vois dans ces cas-là, écarter les cuisses, prend tout son sens...» Dit-elle en rigolant.

Tout d'un coup je m'arrête me place face à grand-mère Garance, la prend dans mes bras et la serre fort, fort, fort, à l'étouffer. Elle se dégage et poursuit :

C'est pour ça que la petite pimbêche elle l'a pas ramené quand je lui ai dit : «Au moins ta grand-mère quand elle faisait la pute, c'était pour une noble cause, pour sauver la France! Et elle sait que je suis ici, je lui ai tout raconté! Alors tes origines de la Haute, comme tu dis, tu sais à qui tu les dois, ne l'oublie jamais...»

Pour fêter cela, avec grand-mère Garance nous nous rendons au grand magasin «Les galeries Lafayette» mais je préfère l'appeler «Biarritz Bonheur», de son vrai nom. Quand avec grand-mère Garance je me promène dedans, je ne peux m'empêcher de penser au livre lu en classe: «Au bonheur des dames» d'Émile Zola. J'ai adoré ce livre et son univers créatif et contemporain pour l'époque. Et aujourd'hui c'est la «razzia» dans les rayons, grand-mère Garance est prête à toutes les dépenses pour que je retrouve ma joie de vivre, me dit-elle.

Et si j'ai mon bac alors, qu'est-ce-que j'aurais comme cadeau?

Mais rien du tout. C'est pour toi que tu travailles...

Alors autant en profité aujourd'hui... Lui dis-je en l'embrassant.

C'est dans le salon de thé art déco du casino avec sa vue panoramique et imprenable sur l'océan, autour d'un savoureux chocolat viennois que j'ai osé posé la question qui me taraude depuis longtemps.

Dis grand-mère... je peux de demander quelque chose?

Elle acquiesce de la tête et je poursuis : «Pourquoi maman, quand j'étais petite, je l'entendais toujours dire qu'elle en avait marre d'être une enfant de vieux?...»

Grand-mère Garance baisse la tête puis la redresse et me sourit.

Ta mère a été trop gâtée par ton père, mais j'avais beau le lui dire, il ne m'écoutait pas, il me disait : «C'est ma princesse!» et rajoutait en me baisant la main : «Mais toi tu es ma reine! Il savait parler aux femmes celui-là. Après la guerre j'ai fait une fausse couche et après impossible de tomber enceinte. On avait beau essayer mais ça ne marchait pas! A l'époque, la fécondation n'existait pas. Alors petit à petit on a laissé tombé et puis un jour, au moment où je m'y attendais le moins, autour de mes 40 ans, le miracle s'est produit.» Elle reste un moment songeuse puis reprend : «Pour Léon, c'était la plus belle chose de sa vie, je crois que je ne l'ai jamais vu aussi heureux! Alors ta mère elle en a profité. Il ne pouvait rien lui interdire! Rien lui refuser et elle en profitait la coquine mais elle adorait son père. Le problème c'est que lorsque le cancer l'a emporté, Ingrid ne l'a pas supporté. C'est comme si son miroir se brisait. J'ai fait ce que j'ai pu mais je ne pouvais pas le remplacer. Des fois je la surprenais en train de me regarder et je me demandais si elle n'aurait pas préféré que ce soit moi qui parte plutôt que son père. Elle m'a rendu folle et je pense qu'elle me l'a fait payer. Mais la première malheureuse c'est elle. Elle ne retrouvera jamais un amour comme celui-là et tant qu'elle ne l'acceptera pas, aucun homme ne sera à la hauteur!» 

Après ces confidences, nous sommes rentrés doucement mais repues par notre gourmandise satisfaite, nos nombreux achats et plus riche encore de notre affection.La vie me semble tout à coup plus belle. Tout est toujours possible alors? A la danse Marishka est tellement contente de retrouver mes sauts de gazelle comme elle les appelle, mes pirouettes, mes sauts de chat, qu'aucune n'ose plus se moquer de moi, ni afficher le petit sourire en coin. Elle rajoute même exprès pour leur faire payer leur cruauté: «Nulle autre que toi ne possède cette grâce Sharleen, c'est un don du ciel ma chérie!» Si je pouvais voler rien que pour lui faire plaisir , je le ferai et de voir leur air dépité me fait pousser des ailes, j'enchaîne alors des piquets à travers la salle jusqu'à épuisement.

 C'est dans la nuit que le portable se met à vibrer, dans un demi-sommeil je lis le message : «Sniffffff!!!!». Je me redresse alors et malgré les yeux remplis de sommeil j'attrape mon ordinateur branché au pied de mon lit, me dépêche de l'allumer et apparaît ma belle et douce amie, Diane. Mais pour l'heure, elle est plutôt en «vrac».

Mais qu'est-ce-qui te prend?  

Elle renifle, s'essuie le visage avec son tee-shirt, ouvre la bouche pour me répondre mais à la place une rivière de larmes inonde ses yeux et s'écoulent sans s'arrêter le long de ses joues.

Dis-moi! Il s'est passé quelque chose de grave? … Tu me fais peur Diane, dis-moi à la fin!

C'est... C'est... (elle renifle encore plus bruyamment, me regarde et reste silencieuse le temps de se reprendre. Je reste interdite devant l'écran ne sachant plus quoi dire. Au bout d'un moment, quand le flot s'est enfin endigué, elle me répond enfin.)

C'est toi, tu ne m'as plus donné de nouvelles depuis la dernière fois qu'on s'est disputé...

Et là c'est reparti pour un tour, Diane se remet à pleurer, encore plus fort cette fois-ci et tout d'un coup de la voir dans cet état il me prend un fou-rire, tellement puissant qu'il m'est impossible de m'arrêter, par contre Diane sèche enfin ses larmes et retrouve son naturel.

Non mais t'es sérieuse là? Je pleure devant toi et tout ce que tu trouves à faire c'est de te foutre de ma gueule! Non mais je rêve! Je vais me pincer, c'est pas vrai.

Et moi, plus elle s'énerve plus je ris, plus je pleure de rire comme jamais ou si lorsque nous étions encore ensemble à Biarritz. Dès que je veux m'arrêter pour éviter de l'énerver davantage, il me suffit de jeter un coup d'œil sur l'écran pour voir sa mine renfrognée et j'explose à nouveau. Je me reprends et veux lui raconter l'exploit de grand-mère Garance.

 La Emma elle s'en est pris plein la tête par grand-mère Garance...Quoi? Qu'est-ce-que tu dis-là? (Elle se réveille alors complètement) «Raconte, raconte! »

Je m'exécute avec une certaine jubilation, je l'avoue, l'épisode de grand-mère Garance et son face à face dans le bar avec Emma entourée de ses pestes. Je n'oublie rien, c'est impossible, je voudrais en rajouter, qu'il n'y aurait pas de place. Tout y passe, la grand-mère prostituée, bon je la réhabilite en disant qu'elle a servi la France. Allongée, certes, mais quand même! Et je conclus par la baffe magistrale qu'une des lèche-bottes s'est prise devant tout le monde.

Putain, elle trop forte grand-mère Garance. Je l'aime trop! Là, elle l'a enterrée! Elle est foutu! La honte! J'aurais trop voulu être là pour la voir ravaler sa misère cette salope!

Mais attends tu sais pas la suite... En sortant, grand-mère s'est mise devant la vitre et elle lui fait ça! (avec mon majeur, je fais un doigt d'honneur devant l'écran)

Han! C'est pas vrai! Merde j'ai manqué ça aussi! Bien fait pour sa gueule en tous les cas! C'est fini pour elle! Elle est grillée, elle a même plus de réputation, plus rien! Je suis trop contente. Tu remercieras grand-mère Garance! (elle s'étire, baille la bouche grande ouverte) «AAAAHHH! Je sens que je vais passer une bonne nuit, une très bonne nuit même!»

J'enchaîne alors :

Tu sais je voulais te dire que tu avais raison la dernière fois de t'énerver. J'ai pris tout ça à la légère mais en vérité ça m'a fracassé, je ne savais pas comment faire et je me disais qu'elle se fatiguerait bien avant moi. Mais c'est surtout quand les filles de la danses ont collés les photos salaces dans le vestiaire que j'ai commencé à flipper.

Ah ouais, elles aussi elles ont fait les belles c'est sainte ni-touche! Putain je sais pas ce qui me retient de descendre et de les claquer toutes! Merdeuses,va! Et ça fait de la danse classique ça... Tu parles! Aucune classe ces poufs! (elle baille à nouveau bruyamment) «J'y vais parce que je vais me décrocher la mâchoire. Bon ma bella, je te fais plein de poutous partout partout...» Elle joint le geste à la parole et m'envoie plein de baisers, je lui renvoie les mêmes elle me dit alors : «Bon cette fois c'est à toi d'appuyer sur le bouton, la dernière fois c'était moi.»

T'es gonflée! La dernière fois t'étais énervée, t'as claqué l'ordi...

Bon ça va, ça va.. Byebye

Je ne m'endors pas tout de suite et me repasse l'après-midi que j'ai passé avec grand-mère Garance, je me dis alors que j'ai vraiment de la chance d'être aimée et entourée de la sorte. Allez bonne nuit, je m'endors!

 C'est à la fin de la répétition et seulement lorsque toutes les autres danseuses partent que Marishka me rejoint dans les vestiaires, elle s'assied près de moi, ce qui est assez inhabituel, pour que je cesse de m'habiller. Je la regarde alors et attends avec sur le visage une interrogation qui la pousse à me rassurer.

Non ne t'inquiète pas ma chérie, efface cette inquiétude de ton visage.

Je ne sais que répondre et lui souris.

Voilà, c'est mieux. Je voulais te proposer ou te conseiller, comme tu veux, d'aller faire un stage de danse contemporaine chez une amie à Paris qui pourra même t'héberger, si besoin était.

Je n'en crois pas mes oreilles, je ne m'y attendais tellement pas que je reste bouche-bée. Marishka reprend :

Ferme la bouche ma chérie. Alors ça t'intéresse ou pas? Parce qu'à ce moment-là je passe un coup de fil à la fille de mon amie Olga, Irina elle s'appelle la fille...

Transportée par l'émotion et la joie, je me jette dans les bras de Marishka qui manque s'écrouler en arrière..

Oh merci, merci Minouche.

Elle ne me laisse pas longtemps la serrer contre moi, les effusions, ce n'est pas son fort à Marishka, alors délicatement elle me décolle de sa poitrine, recoiffe son chignon et me dit :

Bon écoute, tu en parles à ta mère et à Garance surtout. D'accord, et après on en reparle toutes les deux. A propos c'est quand les résultats du bac cette année? Parce que là, il faut que tu l'ai du premier coup... t'as saisi pourquoi n'est-ce-pas?..

J'hoche la tête, toujours incapable de dire un mot, elle s'apprête à se redresser quand spontanément je lui dépose un rapide baiser sur la joue. Baboushka se lève, un petit sourire sur les lèvres, à peine perceptible, de son éventail elle me tapote l'épaule et Royale quitte le vestiaire. Mais juste avant de placer la porte, elle se retourne et rajoute : «Bien évidemment, tout cela est soumis à l'obtention de la médaille d'or régionale, comme l'année dernière...» Elle me renvoie un grand sourire et me laisse seule me demandant comment réussir à relever tous les challenges en même temps.

 Alors depuis, je travaille la journée sur les révisions du bac, je me suis installée sur la table de la salle à manger ainsi je peux laisser tout mes cahiers et livres ouverts. Grand-mère Garance, installée près de moi dans son vieux fauteuil club en cuir marron tout défraîchi mais gardant toujours son allure coloniale. Ma mère est anormalement gentille, elle passer et repasse et dépose un baiser sur ma joue, mes cheveux, reconnaissante, je pense d'avoir envie d'y arriver. Grand-mère Garance est normalement gentille, devançant mes moindre désirs, avant même que j'ai envie de déguster un chocolat chaud ou des madeleines, le plateau est déjà posé près de moi. On dirait que c'est elles qui passent le fameux examen et j'avoue que j'aime assez cet empressement dont elles font preuve à mon égard, même si les baisers de ma mère me gêne quelque peu, n'étant pas habituée avec elle à cette démonstration affective. Heureusement que le soir je danse. Je danse, je crois comme jamais. Toute la tension accumulée dans la journée, je m'en libère. Je l'évacue mais sans grossièreté, avec grâce, j'essaie de la transformer afin qu'elle me fasse gagner sur tous les plans. Cette année j'ai décidé de gagner. Non pas que l'année dernière je ne le voulais pas, mais je n'y pensais pas. Là je sais ce que je veux. Je veux tout! Avoir mon bac, la médaille d'or régional et aussi, aussi effectuer mon stage de danse contemporaine à Paris chez Irina. Je n'en ai pas encore parlé à maman, juste à grand-mère Garance, à elle je ne peux rien lui cacher et secrètement je compte sur elle pour qu'elle amène le sujet sur la table. Je sais qu'elle y pense, elle n'a pas besoin de me le dire. Un regard suffit pour savoir qu'elle y réfléchit et le moment venu, lorsqu'elle sera sûre d'emporter la mise, non sans bataille évidemment, elle abattra ses cartes. Mais pour l'instant il faut que moi je lui donne envie de me soutenir le moment venu. Et si je suis si galvanisée, je suis sûre que c'est grâce à la prestation de grand-mère garance face à la peau de vache d'Emma. C'est vrai, depuis ce jour quelque chose c'est débloquée en moi. Elle m'a tant impressionnée et montrée qu'il était possible d'affronter nos peurs où en tous les cas, celui ou celle qui la représentait. Relever la tête et se battre, voilà ce que j'ai appris au cours de ses cinq minutes passées à la regarder faire et je crois que c'est ce jour-là aussi que mon amour pour Maxence s'est transformé en même temps que moi. Je ne saurais dire comment mais c'est ce que je ressens au fond de moi. Je ne regrette rien de ce qui s'est passé avec lui mais je sais que ce n'est pas avec lui que l'histoire doit continuer mais je n'oublierai jamais non plus sa délicatesse, ce jour-là, avec moi il a été vrai, pas comme lorsqu'il est avec Emma. Je vais juste garder et chérir ce moment-là.

Mais il y aussi un autre problème qu'il va falloir régler le moment venu. Comment dire à Diane que je viendrai pas à Londres au mois de Juillet et que je préfère effectuer le stage de danse contemporaine à Paris. Aïe! Aïe! Aïe! J'avoue que j'appréhende. Je crains sa déception. Comment faire? A la fois je ne peux pas demander à ma mère de m'offrir les deux, trop d'argent à sortir d'un coup. Pour l'instant je préfère mettre tout cela de côté et voir plus tard. Surtout qu'elle m'a envoyé un sms pour me demander la date de mon arrivée, j'ai esquivé en lui disant que ma mère ne voulait pas me dire qu'elle était la date et attendait les résultats du bac et j'en ai profité pour lui dire aussi que je la recontacterai lorsque j'aurai passé toutes mes épreuves aussi bien celle de l'esprit et du corps. Diane, il me coûte de lui mentir un peu, je me console en me disant, comme me l'a appris grand-mère Garance, qu'il s'agit d'un mensonge blanc. Lorsque j'étais petite, elle me disait : «Tu as droit d'utiliser le mensonge blanc si c'est pour protéger l'autre, afin de ne pas lui faire de la peine.» Depuis cette couleur m'arrange bien, je l'avoue. Diane qui n'a jamais faillit dans son amitié avec moi. Au début, je me demandais même comment une fille si belle et si sûre d'elle pouvait s'intéresser à moi. Elle aussi avait une cour, dont je ne faisais pas partie. J'ai toujours admiré, regardé mais de loin, j'ai un peu de mal avec les groupes, à y trouver ma place, comme si je ne savais pas où me placer et les rares fois où j'ai essayé j'ai toujours eu l'impression de jouer un rôle. De ne pas réussir à être moi. C'est peut-être cela qui lui a plu à Diane. En tous les cas un jour où je mangeais seule à la cafétéria du lycée, elle a pris son plateau et elle venue partager son repas avec moi. C'est elle qui m'a choisie et rapidement elle m'a parlé comme si nous nous connaissions depuis toujours, j'étais impressionnée par son aisance. Alors que tous autour nous regardaient et elle faisait comme s'il n'existait pas. J'étais heureuse et lorsque nous somme sortis et que tous les regards nous suivaient, j'exultais d'être près d'elle et d'être, en tous les cas je l'espérais, son amie. Diane était grande, mince avec des cheveux couleurs miel et se plaisait à répéter que tout chez elle était naturel. Faisant ainsi référence à Emma qu'elle traitait de «Barbie Pouf» et qu'elle se plaisait à dénigrer dès qu'elle le pouvait. Bien évidemment par la suite, Diane et moi et ne formions plus qu'une et toutes celles qu'elle avait refusé dans sa cour se sont précipitées pour rentrer dans celle d'Emma. Souvent dans la cour, lorsque nous étions assises sur le banc, elle les regardait faire et disait : «Non mais regarde-moi les ses lèches-bottes!» En effet, Emma faisait toujours en sorte de s'asseoir sur le haut du banc, afin que les autres s'installent sur le banc et qu'elles soient ainsi toutes à ses pieds et elle toujours au-dessus. En fait, elle s'inventait un siège, sur lequel elle trônait. Souvent nous les regardions, et riions ouvertement d'elles, Emma se contentait alors de lancer des regards éclairs en notre direction mais ne venait jamais demander d'explications. Elle craignait Diane qui ne la lâchait pas du regard, mais ce qu'elle redoutait plus que tout c'est de ne plus avoir sa cour, elle savait qu'il suffisait à mon amie de claquer des doigts pour reconstituer une petite troupe autour d'elle. Alors elle préférait jouer l'indifférence, calculée certes, afin d'éviter une division et ne plus être le centre du monde, enfin du lycée. La première fois que j'ai vue Diane, j'ai crû qu'elle aussi dansait. Tout dans son allure, sont port de tête altier, son corps droit et princier me portait à le croire. Même lorsqu'elle marchait, elle avançait comme s'il était normal que tout se dégage, tout s'ouvre devant elle. Mais au contraire d'une Emma qui profitait de la situation, Diane l'acceptait, certes, mais n'en profitait pas. Au contraire elle détestait toute forme de servilité ou de pouvoir abusif sur l'autre. Cette maturité m'a toujours impressionnée mais je compris, lorsque je rencontrais ses parents, que ce respect envers l'autre faisait aussi partie de leur manière d'être et de vivre. Je me souviens de la première fois où elle m'invita chez elle, les rapports à la fois simples et ouverts avec ses parents et avec chacun de leurs enfants étaient plus qu'une éducation, c'était une philosophie de vie. C'est ce jour-là d'ailleurs, qu'elle me montra aussi comment tous les soirs elle s'exerçait devant la glace à marcher avec un livre sur la tête, apprendre à se déplacer dans la vie avec élégance, avec assurance même lorsque le cœur chavire. Elle tenait ça de sa mère qui elle même le tenait de la sienne avec en prime ces préceptes collés dans les toilettes :«Ne pas faire à l'autre, ce que tu ne voudrai pas que l'on te fasse!» Où un autre encore : «Fais en sorte, dans la vie, de ne pas subir. Si c'est le cas, efforce-toi de trouver une solution afin que cela cesse!». «Être toujours dans une résistance active!»... Et bien d'autres encore, je compris alors pourquoi Diane m'avait choisi même si nous en avons jamais parlé. Un jour je découvris une nouvelle phrase mais je ne la compris pas tout de suite et j'attendis de rentrer à la maison pour en comprendre la signification en cherchant dans le dictionnaire le mot clé. «N'aie pas peur de l'ennui, c'est lui qui t'apprendra à rêver et à développer ton intériorité» C'est ce dernier mot que je recherchais dans le dictionnaire et pour dire vrai, je ne suis pas sûre d'en avoir encore compris tout le sens mais j'adore aller aux toilettes de Diane. Même si je n'en ai pas envie, j'y vais, rien que pour découvrir une nouvelle phrase que sa mère nous a concoctée. Grand-mère Garance adorait que je lui rapporte ces petites phrases et souvent, elle secouait la tête, l'air entendu de celle qui a tout compris et qui n'en demeure pas moins impressionnée.

 Biarritz 5 Juillet 2012,

 Aujourd'hui c'est le grand jour, les résultats du bac sont enfin affichés. En tous les cas, quelque soit du résultat et comme Grand-mère Garance l'a dit, j'ai donné tout ce que j'avais. Bon ma mère n'est pas convaincue, pour elle on verra si j'ai vraiment tout donné le jour où je lui rapporterai le bac. Il est vrai que cette année j'ai vraiment envie de l'obtenir. Non pas que l'année dernière je ne le voulais pas, mais j'étais sûr de l'avoir, jamais je ne me suis imaginée rentrer à la maison les mains vides et en larmes. Ce fût une grande claque, surtout que Diane, qui elle l'avait eu s'en allait à Londres. J'étais effrayée à l'idée de me retrouver seule au lycée avec en prime Emma et une partie de sa cour qui elles aussi avaient échouées. Mes vacances furent gâchées et je traînais tout l'été entre la télé, la plage et un peu de danse, juste pour faire plaisir à grand-mère Garance et surtout ne plus avoir ma mère sur le dos. Cette année je veux réussir, pour ne pas me décevoir et rendre ma mère heureuse, elle tient à ce bac comme à la prunelle de ses yeux. Pour grand-mère Garance, j'ai toujours su que quoi que je fasse, quoi qui m'arrive, elle ne sera jamais déçue par moi. J'en ai toujours eu l'intime conviction, elle cherchera toujours à comprendre les raisons de ce qui m'arrive afin de ne pas rester sur un échec. Ce jour-là, afin de dédramatiser la situation comme toujours, elle me dit de son petit air malicieux, en essuyant mes larmes qui coulaient sans interruption : « Et bien ma chérie, il ne te reste plus qu'à transformer l'essai! Comme on dit nous chez nous!»

Mais pour l'heure, le cœur battant, les mains moites j'avance seule vers le panneau d'affichage, ma mère et grand-mère Garance attendant devant le lycée. Devant l'attroupement, j'hésite un instant puis me précipite et cherche mon nom sur la liste des admis. J'ai l'impression que mon cœur va éclater dans ma poitrine. Heureusement mon nom de famille ne commence pas par la dernière lettre de l'alphabet ou sinon je serais morte avant. Au fur et à mesure que les noms défilent j'ai à la fois hâte de voir apparaître le mien et j'appréhende de ne pas la trouver... Quand tout à coup. Oh! Miracle je vois écrit en toutes lettres, Litsané Sharleen! Aaaaaaaaaah! Je hurle avec les autres filles autour de moi. On tombe dans les bras l'une de l'autre, on pleure et on rit ensemble. Je m'incruste dans une ronde avec plusieurs filles et nous crions toutes notre joie, on tourne, tourne, en tapant des pieds, en secouant la tête, les cheveux jusqu'à épuisement. Puis d'un coup me rappelant l'attente de ma mère et de grand-mère Garance, je me détache d'un coup et en pleurant me précipite jusqu'au portail. Lorsque ma mère m'aperçoit en larmes, elle se décompose tandis que grand-mère Garance blême, jette des regards anxieux en direction de sa fille. Je hurle alors :

Je l'ai eu! Je l'ai eu!

Je cours vers elle et je continue à crier : «Maman, je l'ai eu, j'ai eu mon bac avec la mention assez bien!J'ai mon baaaacccccc!»

Ma mère se précipite alors sur moi, transfigurer et me serre fort, si fort que je n'arrive plus à respirer. J'étouffe mais me laisse faire, je savoure ce qu'elle me dit à l'oreille entre deux sanglots :

Oh merci ma chérie! Merci ma fille chérie! Je t'aime! Je t'adore!

On reste un petit moment dans les bras l'une de l'autre mélangeant nos larmes, nos rires et notre amour. Pendant tout ce temps grand-mère Garance se tient sur le côté et nous regarde avec l'élégance qui la caractérise attendant que ma mère et moi nous nous retrouvions tout à fait, elle tente bien de retenir ses larmes mais quelques unes s'échappent et coulent le long de son si beau visage.

Lorsqu'enfin ma mère se détache de moi, grand-mère Garance s'approche à son tour et avec douceur, sans un mot, arrange les mèches qui tombent sur mon visage, me serre très fort dans ses bras, puis elle se détache me regarde un moment prend mon visage entre ses mains et me dit : «Bravo Sharleen et merci! Mais rappelle-toi que lorsque tu l'as voulu, que tu l'as décidé et que tu en étais enfin convaincue, tu as réussi».

Merci à toi grand-mère, tu as toujours cru en moi! 

Je l'embrasse à mon tour en la serrant fort sur mon cœur.

 La suite se déroule comme dans un rêve, sur le chemin, j'appelle Diane à qui je crie ma réussite et ma mention. Je me fiche que les gens me regardent au contraire je suis heureuse comme jamais. Pendant que je parle avec mon amie, que je rie, que je crie, ma mère et grand-mère Garance marchent derrière-moi bras dessus, bras dessous. Elles affichent ce sourire complices si rare entre elles, elle sont fières et combien il est doux et bon ce sentiment d'être à l'origine de ce bonheur. J'ai l'impression qu'à partir de maintenant plus rien de mal ne peut m'arriver, je me sens comme invincible. Grâce au bac mais aussi et surtout à l'amour de ses femmes les plus importantes dans ma vie. Arrivées à la maison, nous nous «skypons» toutes les trois et Diane est encore avec nous lorsque ma mère fait éclater le bouchon de champagne. Diane fait alors apparaître une autre petite bouteille et ensemble nous sablons notre réussite. Puis maman, insère son dvd spécial Karaoké année 1980 et avec le micro me chante sa chanson préférée. C'est parti, on ne l'arrête plus, ça faisait longtemps qu'elle ne s'était plus laissé aller à chanter comme elle le faisait quand j'étais petite. Dès les premières notes je reconnais sa chanson et nous reprenons avec elle, grand-mère Garance, Diane et moi le refrain :

- «And when the rain begins to fall

You'll ride my rainbow in the sky

And I will catch you if you fall

You'll never have to ask me why...»

C'est la première fois que ma mère chante cette chanson pour moi, d'habitude nous savions, grand-mère Garance et moi, que ma mère était amoureuse lorsque les notes de cette chanson résonnaient dans toute la maison mais dès que les pleurs remplaçaient la mélodie, nous savions alors que sa belle histoire d'amour était terminée.

Nous avons chantés, bus, mangés et chantés encore avec Diane en direct de Londres.

 Le lendemain ma mère et grand-mère Garance m'attendent dans la cuisine, comme hier soir elles sont au petit soin avec moi. Une qui me verse mon chocolat, l'autre qui me prépare mes tartines, je suis aux anges, je plane encore. La soirée a tellement été magnifique que j'ai eu du mal à redescendre et à m'endormir. Quand enfin je termine mon petit-déjeuner et repose mon bol sur la table, je regarde alors ma mère et grand-mère Garance qui ne me lâche pas du regard comme si j'étais la dernière merveille du monde. A ce moment-là je vois apparaître une enveloppe dans leur mains, elles la secouent et me sourient. Les yeux grand ouverts, j'attends laquelle des deux me tendra ma récompense la première.

Tiens, c'est pour toi ma grande fille!

J'attrape l'enveloppe, la décachette en lorgnant sur celle que tient ma grand-mère et là je découvre un montage photos des sites anglais : Big Ben, le tamise, le palais de la reine d'Angleterre et surtout, surtout un billet pour Londres. Je m'empresse de vérifier la date et saute au cou de ma mère, les dates correspondant au mois d'Août, juste après Paris. Je me précipite alors sur l'enveloppe de grand-mère Garance, je la déchire et découvre alors la photo de la tour Eiffel avec sur sa pointe ma photo collée, en tutu me représentant lors du dernier concours régional avec la médaille d'or autour du cou. Je hurle et les attrape toutes les deux par le cou, je ne sais laquelle embrasser en premier, alors j'alterne une joue après l'autre. Nous n'avons jamais été aussi proches toutes les trois. C'est merveilleux et nous pleurons encore de joie lorsque ma mère pour qui les effusions n'ont jamais été son fort, se redresse alors et pour se débarrasser du trop plein d'émotions, nous dit, moqueuse :

Bon ça suffit, les pleureuses! On a versé assez de larmes pour toute l'année.

Grand-mère Garance et moi restons encore dans les bras l'une de l'autre pendant qu'elle s'échappe, nous laissant seules. Mais ma mère a beau «crâner», nous n'avons pas fini de pleurer. Le grand jour, enfin arrive et c'est encore à trois que nous rejoignons le quai afin de prendre mon train. Si cette fois grand-mère Garance ne verse pas une larme et se retient vaillamment, il n'en est pas de même pour ma mère. Lorsque je monte dans le train, je m'installe à ma place et revient à la porte pour un dernier salut. Je vois alors ma mère se décomposer, pincer ses lèvres, baisser la tête et incapable de me regarder, s'accrocher au bras de grand-mère Garance, et laisser couler toutes les larmes de son corps. Je suis surprise, alors que nous nous sommes embrassées et serrées dans les bras l'une de l'autre sans verser une seule larme, je la vois s'effondrer là, devant moi. Je ne sais pas quoi faire, quoi dire. Je suis tellement heureuse de partir que je n'arrive pas à pleurer avec elle et je m'en veux. Je n'aurais jamais crû que ma mère puisse pleurer mon départ sur un quai de gare. Qu'elle soit touchée pour l'obtention de mon bac ne m'a pas du tout étonnée mais, elle, d'habitude si hermétique à toute démonstration affective me surprend et me peine à la fois. Je sais alors que ce départ est le premier d'une longue liste et elle aussi le sait. Mais pour l'instant je lui crie, juste avant la fermeture des portes :

Maman je t'aime et je reviens bientôt!

Je leur envoie pleins de baisers jusqu'à ce que la porte se ferme complètement et que le train démarre. Alors à nous deux Paris!

 Paris 15 Juillet 2012,

 Je l'ai entendu arriver avant qu'il n'apparaisse. La tête entre les jambes en train de m'assouplir, ce sont d'abord ses jambes que j'aperçois en premier. Au fur et à mesure qu'il avance et traverse la pièce de sa démarche féline et gracieuse, je déploie mon corps totalement et remonte complètement Lorsque je m'apprête à poser la jambe droite sur la barre, c'est dans un même mouvement qu'il dépose la sienne. Je ne le vois pas faire mais je l'entends lorsqu'il s'installe juste derrière-moi et je peux dire même que je le sens, là tout près. J'hésite à relever la tête afin de découvrir enfin son visage. Je ne sais pas de quoi j'ai peur ou ce que je redoute mais je préfère continuer mes exercices d'assouplissements sans jeter un seul regard en direction de la grande glace. Pourtant je sens dans la salle comme un frémissement, des petits rires s'échappent, anormalement aigües, du côté des filles et une certaine agitation s'exprime et ce depuis qu'il est arrivé. Je résiste autant que je le peux mais au bout d'un moment ma résistance faiblit et je jette alors un coup d'œil dans la glace et la première chose que je rencontre, ce n'est pas son corps, mais ses yeux. Ceux-ci me traversent, me transpercent et un instant je semble perdre tout contrôle. On dirait qu'il attendait patiemment ce moment, comme s'il savait que je ne pourrai tenir longtemps et qu'il voulait être là à ce moment-là. Il ne me lâche pas du regard et travaille ces assouplissements avec une grande concentration. Mais je ne décèle aucun triomphalisme dans son attitude, juste la certitude que je ne peux échapper à sa présence, à son magnétisme. Heureusement qu'Irina arrive, elle claque des mains pour nous rassembler autour d'elle et le cours de contemporain commence enfin.

 Le soir même, je «skype» avec mon amie Diane mais me garde bien de lui partager mon émoi. De toute façon, elle n'est pas d'humeur à écouter mais plutôt à raconter, si je puis dire.

Non mais tu le crois, j'avais rencard avec Alberto, un bel italien en Erasmus et Madame me fait le plan de la sortie en amoureux avec son mari, en essayant en plus de me rendre complice. Je m'en fous, moi de ces problèmes de couple, j'ai bien le temps d'avoir les miens.

Je me contente de hocher la tête sachant qu'il n'y a pas de place pour donner mon avis et de toute façon j'en ai aucun, elle reprend :

Mais je me suis pas démontée. Je les ai laissé partir, j'ai couché les gosses, ni une, ni deux. Avec moi y'a pas de caprices et j'ai appelé mon Alberto.

Elle sourit, songeuse, se remémorant les meilleurs passages. Elle se mord le coin de la lèvre, me lance un regard en coin et me dit :

Tu veux que je te raconte ma petite Sharleen...

Ouais mais pas trop dans les détails. Tu sais que moi j'aime pas quand...

Elle ne me laisse pas terminer. Elle soupir et lance un cri :

Han! C'était divin. D'abord, il m'a fait un streap-tease. Tu le crois ça. Moi j'étais installée dans mon lit et lui il se dandinait devant moi. Si tu vois le corps qu'il a... Mamamia! Je me ferais bien italienne pour toute la vie!

Mmmmh! La semaine dernière tu voulais être espagnole!

Oh arrête de me casser mon délire! Quand c'est pour le plaisir, je suis internationale, moi. Bon enfin bref, au fur et à mesure qu'il avançait vers moi, je salivais...

Ah t'es dégueulasse!

Oh là là! Arrête de faire ta sainte Ni-touche. Maintenant tu fais partie du club, hein! Bon je continue. J'étais assise sur le lit et je l'attendais en me dandinant le regard suave et au moment où il s'est mis debout devant moi, il a fait tomber le slip, j'avais les yeux exorbités. J'ai jamais vu ça de ma vie. Je te jure et pourtant j'ai de l'expérience... J'en pouvais plus, je lui ai caressé les jambes et petit à petit je suis remontée, de mes mains expertes je l'ai encore plus excité et là il a moins fait le malin. Hop! J'ai retourné la situation et j'ai pris les commandes. Il était comme un fou, il s'est jeté sur moi et là (elle a une grande respiration) là ma chérie on est monté tous les deux jusqu'aux cieux.

Ben dis-donc et les gamins ils vont ont pas entendu!

Euh non, je crois pas! En tous les cas, ils ne se sont pas levés et de toute façon c'est pareil... Remarque je ne risquais pas d'entendre quoique ce soit, on a remis le couvert encore deux fois. Il est vraiment chaud celui-là! Mais qu'est-ce-que t'as? T'es toute rouge!... (elle sourit) C'est mes histoires qui te chauffent, petite coquine va.

Je préfère ne pas lui répondre, je ne suis pas performante dans ce registre. Face à mon silence, elle reprend :

Heureusement que j'ai réussi à le faire partir juste avant que les deux tourtereaux reviennent, et ils étaient pas à la fête, crois-moi. Le repas amoureux, c'était pas ça, ils auraient mieux fait de rester ici et de s'envoyer en l'air. Bon enfin bref et toi comment ça c'est passé ce premier jour de danse?

J'adore! C'est d'une liberté incroyable. Enfin il y a beaucoup de travail aussi mais à la fois je trouve ça plus souple, plus libre que la danse classique. Et puis je te dis pas le niveau. On n'est pas nombreux mais c'est le haut du panier. Je me dis que j'ai de la chance que Marishka m'en ait parlé.

Bon ok! Mais y'a des garçons? Enfin tu vois ce que je veux dire.

Oui, il y en a un...

Et alors?

Et alors quoi?

Ben raconte. Comment il est foutu, si c'est raccord entre la tête et les jambes, enfin t'as compris. Je vais pas de sortir les vers du nez quand même... j'en suis capable remarque et tu le sais!

C'est complètement raccord mais comme c'est le seul garçon, il a déjà pas mal de poules autour de lui et je veux pas en être!

Ah oui? Et comment ça se fait que tu dis ça? C'est que tu t'es déjà posé la question et que tu as freiné ton élan.

Non! C'est pas vrai!

Mon œil! Insiste Diane.

Écoute, c'est vrai qu'il est beau, de partout même...

Hé c'est intéressant, tu l'as bien regardé en plus... Tu fais des progrès...

Ben en même temps quand tu danses, tu vois l'autre...

Ouais c'est ça, arrête ton baratin. Et la suite... Comment il s'appelle au fait?

Scott, il est anglais et c'est vrai qu'il superbe, il le sait en plus. Mais voilà je suis ici pour danser, c'est tout!

Ah C'est bien ce que je dis! T'as déjà mis les barrières que tu es prête à sauter où sinon tu t'y prendrais pas autant à l'avance. Ah là là ma Sharleen, je lis en toi comme dans un livre ouvert.

N'importe quoi! Ben raconte-toi la suite alors! Lui dis-je irritée.

On se calme et avec la prof et les autres élèves ça se passe bien?

Oui, ça va. Mais même ici, il y le clone d'Emma et elle s'appelle Chloë avec son petit toutou qui la suit partout, Estelle. Mais bon je les ignore et je me suis fait une copine, Ambre.

 Après quelques deux ou trois détails artistiques qui n'intéresse guère Diane, nous nous envoyons des baisers et je m'écroule dans mon lit. La première journée a été éreintante, Irina ne lâche rien et en demande toujours plus. J'espère être à la hauteur afin que Marishka soit fière de moi.

 Tous les matins c'est le même rituel avec Olga, nous nous retrouvons dans la cuisine pour notre petit-déjeuner et nous partons pour les studios de danse. Dès que j'arrive, avant même de me préparer, avec Olga nous rangeons la pièce de répétitions des petites danseuses classique. Elles aussi effectuent un stage intensif pour progresser. Olga et Irina se partagent les disciplines, à l'une le classique et à l'autre le contemporain. J'aime ces moments où seuls nous pénétrons dans cet espace complètement dédié à la danse. Je considère comme un grand privilège de l'aider à tout remettre en place avant l'arrivée des élèves, comme si nous mettions notre patte à ce spectacle tous les jours renouvelés. Et ce que j'aime le plus, je crois, c'est le bruit du plancher lorsque nous marchons dessus. Ce son qui seul résonne quand nous sautons, tournons, répétons encore et encore, juste accompagné de notre souffle. C'est comme une musique qui m'accompagne depuis l'enfance.

Les petites danseuses arrivent, pendant qu'Olga les accueille avec leurs parents, moi je les retrouvent dans le vestiaire pour les aider à se préparer. Même à Biarritz, les grandes ont toujours aidé les plus petites, notre rôle était de transmettre une manière d'être, de se comporter, de penser la danse, cet art qui nous fait toutes vibrer. J'en coiffe une, j'en aide une autre à placer convenablement son juste-corps, une autre encore à remonter ses collants et là aussi, les plus grandes aident les plus petites. Cette solidarité est importante même si après la compétition peut-être féroce entre nous, ce lien-là demeure, les aînées doivent s'occuper des plus jeunes.

Lorsqu'enfin, elles rejoignent Olga, je me prépare aussi et rejoins la grande salle. Ces moments de solitude où je suis seule à la barre à m'échauffer, à m'assouplir sont pour moi précieux. Mais avant, là aussi il me faut veiller à ce que la pièce soit conforme aux désirs d'Irina, bien rangée avec chaque chose à sa place. C'est important pour elle comme pour nous de façon à ce qu'elle ne perde pas de temps à rechercher un cd ou la télécommande de la chaîne, par exemple, lorsque nous devons travailler et danser.

Mais avant même de pénétrer dans la pièce, je sens une présence. D'un regard circulaire je m'aperçois que celle-ci est déjà rangée, tout est déjà en place. J'avance alors avec précaution et là je vois Scott assis dans un coin, dans un juste-corps noir qui lui habille tout le corps. Il se masse les pieds et c'est avec un grand sourire qu'il m'accueille.

Hey Sharleen! Comment va?

Je souris timidement et son accent anglais me fait vraiment craquer mais je ne veux rien montrer. Je lui réponds :

Bien , merci. Et toi, tu vas bien? Tu es bien matinal aujourd'hui...

Non, je l'ai fait exxprrès. Je découvert que tou étais la seule à tout rranger tous le matin, alors je sous veneou pour t'aider toi. Yes, tu comprrends?

Oui, merci, c'est gentil. Mais c'est pas un problème pour moi, j'aime venir avant les autres et puis...

Il me coupe.

Ce n'est pas le problème pour moi non plou.

Je hoche la tête et m'installe à la barre pour commencer mes assouplissements, il poursuit les siens et à travers la glace me sourit dès que je croise son regard. Je n'ose d'ailleurs plus me suivre dans le miroir qui couvre les murs du studio, j'ai peur qu'il croit que je le fais exprès. Puis il se redresse et semble vouloir regagner la barre mais fidèle aux jours derniers je reste très concentrée, cela m'aide à rester indifférente à sa présence. Je ne veux plus aimer comme j'ai aimé Maxence et le seul moyen de me protéger c'est de l'ignorer. De toute façon dans moins d'une semaine, il rentre chez lui, en Angleterre et plus jamais nous nous reverrons. Alors il vaut que je prenne les devants, je ne veux plus faire souffrir mon cœur d'artichaut comme l'appelle Diane. Mais il y a quand même une chose où elle a raison, c'est ma résistance trop forte vis à vis de lui, et ce dès le départ. D'après elle et sa grande expérience cela veut simplement dire que je l'aime dès le premier jour. Mais pour être honnête, comment ne pas être amoureuse, comment ne pas avoir envie d'être remarquée, touchée, désirée ou simplement danser avec lui. Oui j'ai envie de tout ça en même temps mais je me le refuse, j'ai trop peur de me brûler. Voilà, c'est bon, je me suis avouée que je l'aimais, mais maintenant j'en reste-là. Et puis ça suffit, à force de cogiter, je n'arrive plus me concentrer et lui n'en perd pas une miette dans la glace. Mon Dieu qu'il est beau! Mais à chaque fois je dis ça, mais c'est vrai que j'aime la beauté, qu'elle me fait chavirer et aujourd'hui particulièrement, il est magnifique dans son juste corps qui épouse ses formes musclées mais fuselées et équilibrées. Je ferme les yeux, c'est mieux pour moi et j'ai vraiment hâte que les autres filles arrivent pour faire diversion. Lui et moi seuls dans le studio ne me rend pas très à l'aise. En plus, lui ne cesse de me regarder avec cette intensité, la même qu'il met lorsqu'il danse. Et dans ce regard je vois bien que déjà il m'envisage, me dévisage à moins que je ne le désire tellement que je me l'imagine. Je ne sais plus, peut-être que je me fais des films et qu'il est là, ce matin, uniquement par gentillesse. En tous les cas, je reste sur mes gardes, je n'ai pas envie d'affronter Chloë et Estelle, trop de jalousie, trop de méchanceté, trop de tout. Non merci j'ai déjà donné, ce n'est pas pour moi ce genre de relations. Et puis peut-être que ça lui convient ce genre de filles, prêtes à tout pour se faire remarquer, prête à tout pour y arriver. On en a eu une petite démonstration l'autre matin. Irina avait décidé de nous faire travailler les portées et comme Scott est le seul garçon, il n'a que l'embarras du choix. Irina le place alors au centre de la pièce et nous dit en claquant des mains :

Allez on y va! Laquelle danse avec Scott ce matin?

Avant même qu'une autre se propose, Chloë se jette sur Scott, heureusement que je n'ai pas fait le moindre mouvement, au contraire je regardais ailleurs et même Irina a sourit devant son empressement. D'ailleurs pendant toute la matinée, elle irradiait de bonheur tandis que Scott, magnifique danseur à la technique sûre n'a pas faillit une seule fois. Nous ressentions toutes l'abandon physique de Chloë et la maîtrise totale de Scott. Après cela, elle ne l'a plus lâché d'une semelle, lui proposant de lui faire visiter Paris, ce à quoi il répondait qu'il connaissait puisque tous les ans il effectue ce stage chez Irina. Mais Chloë ne s'avoue pas vaincue et les jours suivants, même si à tour de rôle les danseuses doivent effectuer les fameuses portées avec lui, elle ne lâche pas prise. Elle a même réussi à prendre la place d'Estelle, un matin où celle-ci a dit se sentir faible, pour reprendre son expression, mais je crois que personne n'a été dupe, y compris Irina et surtout Scott. Pourtant, un soir il a accepté une invitation chez elle, mais seulement parce que nous y sommes toutes invitées. Je la remercie mais ne me rend pas à sa fête, ça ne m'intéresse pas, je connais par cœur ce genre de filles et je sais déjà comment cela va se terminer. Son but c'est de mettre Scott dans son lit, au vu et au su de toutes et je doute que ce soir-là elle n'y arrive pas. D'ailleurs depuis cette soirée, elle et Scott sont pratiquement inséparable et même si quelque fois on sent que cela lui pèse, il reste toujours très fair play. Par moments, elle le colle comme si il est sa possession et avec élégance et le secours d'Irina, il arrive à s'éloigner, prétextant des exercices et de la concentration. Mais il est dur d'échapper à Vampirella. Et à chaque fois que je la vois faire, je me félicite d'avoir adopté cette attitude de retrait et puis de savoir qu'il a cédé à ses avances, me déçoit tant que je ne regrette pas mon attitude distante. De toute façon je ne peux pas faire autrement, c'est plus fort que moi. La nécessité de le tenir loin, très loin de moi est vital. Enfin de compte, il est comme les autres, ce qui l'intéresse c'est ce genre de filles qui promet le ciel et tous ses saints et ils sont prêts à tout pour l'atteindre. Alors c'est vrai qu'il m'est arrivée de surprendre des regards et à chaque fois ça me fait le même effet. Alors je détourne vite les yeux afin de refroidir cette brûlure que je sens dans mon ventre, prête à remonter pour mieux m'enflammer. Mais clic-clac! Je verrouille tout, je suis devenue experte en la matière. Et il n'y a que Diane qui après maints et maints efforts et ruses, arrive à me faire avouer mes sentiments, mais je refuse quand même à baisser la garde, à sa plus grande déception. Elle ne manque pas de me le dire, avec son vocabulaire qui la caractérise tant.

Non mais je rêve! Tu recommences à laisser une pétasse à te prendre le mec qui te plaît!

Je recommence rien du tout! Tu sais très bien que face à Emma je n'avais aucune chance.

Que tu dis... Mais quand tu l'as voulu, tu l'as eu et cela veut dire que tu lui plaisais.

Oui pour un jour, un après-midi et après il est vite retourné à la niche. Il ne m'a pas choisi...

Oui mais tu l'as eu quand même. Et c'est ce qui compte. De toute façon, lui c'était ton amour de la première fois, c'est bien ce que tu m'as dit?! Et ben c'est fait! T'as sauté le pas, t'arrête pas en route, la route est longue chouchou pour notre plus grand plaisir. Ah!Ah!Ah!...

Allez toujours plus Diane et égale à toi-même. Non moi Maxence je l'aimais pour de vrai, c'était pas juste pour sauter le pas, je suis pas comme toi, moi...

Ouais ouais je sais. T'es tombée dans la marmite de l'amour quand t'étais petite. Remarque entre ta mère et grand-mère Garance tu pouvais pas finir autrement. Bon ou sinon, tu comptes te lancer quand?

Me lancer où?

Ben à l'attaque de l'anglais. On a un passif nous les français, il nous faut remporter la victoire.

Euh en l'occurrence c'est pas lui le problème, c'est la Chloë, elle me laissera pas faire un pas.

C'est parce que tu la laisses faire! Bats-toi merde! Pourquoi ce serait elle et pas toi?

Parce que j'ai pas envie de me battre pour un mec. Oh! On est où là? Et pourquoi ça serait pas lui qui se battrait pour moi?

Parce qu'il a l'embarras du choix, c'est tout!

Et ben tant pis! Dans quelques jours on se quittera et Basta!

Diane souffle et me jette un regard noir. Je reprends alors faussement enjouée :

Dis ma meilleure copine du monde entier, quelle est la première chose que tu veux me montrer à Londres quand j'arriverai. La plus importante, la plus belle! C'est qui t'as fait flasher...

Diane réfléchit puis tout à coup s'anime :

Buckingam Palace! C'est là que je t'emmènerai en premier... C'est magnifique! Grandiose avec la relève de la Garde...

Je la coupe et lui demande avec ferveur :

Et la maison de Jane Austen, tu l'as vue?

Non mais tu rêves, toi, j'ai pas le temps. Mais je sais que c'est dans le Hampshire. Je me suis renseigné, tu vois.

Ben moi j'irais! C'est obligé!

Ouais, tu m'étonnes... Tu crois trop que la vie c'est «Orgueil et préjugés» toi et c'est comme ça que tu laisses filer les meilleurs plans...

Pourquoi c'est pas Scott qui ferait le premier pas? Moi aussi j'ai besoin de sentir que je lui plais, qu'il me désire... Il est trop habitué à ce qu'on lui court après celui-là. Ben voilà, il est servi avec Chloë et compagnie.

Bon ça va on se calme, mais promets-moi que si il se déclare, on ne sait jamais, tu lui laisses un petit passage quand même...

Ouais d'accord mais c'est pas demain la veille! Bon allez j'te laisse. Bises et byebye.

 Mais pour l'heure nous travaillons chacun de notre côté avec la plus grande assiduité. La jambe toujours sur la barre, je m'étire en redressant le plus possible mon buste et place mon bras au-dessus de ma tête afin de composer une figure droite, dans la lignée de mon corps. Lorsque tout à coup Scott attrape ma main, je ne l'ai pas vu arriver derrière-moi et j'en suis d'autant plus surprise. Nos regards se croisent alors dans la glace et je rougis comme cela faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé. Scott, concentré fait mine de ne pas s'en apercevoir et continue d'accompagner tous mes gestes. Je suis en émoi, j'ai le cœur qui bat la chamade, je tremble de tout mon corps et je sais qu'il s'en rend compte et lorsqu'il improvise l'exercice de portée que je me refusais pour l'instant à faire avec lui, je suis si tétanisée, tendue que j'en ai mal aux muscles. Alors je lâche prise et me laisse complètement portée par Scott, je suis comme une poupée en chiffon, n'arrivant plus à reprendre possession de mon corps mais je ne peux pas dire non plus que cela est déplaisant, surtout lorsqu'il me fait glisser entre ses bras. Puis tout à coup la musique s'élève dans le studio, un coup d'œil sur le côté et je m'aperçois que c'est Irina qui en est l'auteur et là, sans doute son regard ou l'instinct de compétition, je reprends possession de mes moyens. Au fur et à mesure que Scott et moi exécutons nos figures, les autres danseuses arrivent et prennent place autour de nous. Le silence règne dans le studio et je sens bien tous les regards, mais je m'en fiche, mon plaisir à danser avec Scott se décuple au fur et mesure que nous progressons ensemble. J'évite toujours son regard afin de rester concentrée et qu'Irina soit elle aussi satisfaite. D'ailleurs à aucun moment, elle ne nous interrompt et laisse défiler le morceau de musique jusqu'à la fin, ce qu'elle n'a jamais fait jusqu'à présent. Mais j'adore ce que je suis en train de vivre là, maintenant avec Scott, je n'ai jamais ressentie une telle osmose avec aucun des partenaires de danse que j'ai pu rencontrer au cours de ces dernières années. Dans ses bras je suis comme une plume, sa façon de me porter, de me faire passer d'un bras à un autre, son attente pour mieux me reprendre, pour mieux me récupérer sont d'une douceur et d'une légèreté insoupçonnée. Et lorsqu'enfin nos deux regards se croisent, pour la première fois enfin nous partageons le même sourire comme si nous étions seuls au monde. A la toute dernière note de musique et en synchronisation avec avec les derniers gestes, Scott laisse alors glisser le bout de ses doigts tout le long de ma colonne vertébrale et cette caresse suffit à nouveau à me faire chavirer. Mais je me reprends immédiatement, les applaudissements d'Irina et des danseuses me ramènent à la réalité. Toutes, sans exception frappent des mains, même Chloë qui me foudroie du regard en affichant son sourire le plus carnassier qui soit et là je sais que je risque de le payer au centuple.

 Tout le reste de la journée se déroule normalement, comme à son habitude devrais-je dire. Nous travaillons toutes d'arrache-pied et Irina est là au cas où nous nous laisserions aller. Elle ne laisse rien passer et tourne, tourne autour de nous et rectifie le moindre geste qui ne soit pas dans la ligne voulue, qui ne soit pas parfait. Nous dire qu'il ne faut jamais se contenter de bien faire, cela ne suffit pas. Placer l'exigence au-dessus tout afin de se rapprocher au plus près de la perfection, si elle existe. Harassée mais heureuse, la journée se termine enfin. Je veux m'avancer afin de préparer la salle pour le lendemain dimanche, où nous pouvons commencer exceptionnellement une heure plus tard mais devons être présent pour continuer à nous améliorer encore et toujours et travailler sans relâche. Mais après tout nous sommes là pour ça, en tous les cas en ce qui me concerne.

Au moment de quitter le studio pour me rendre au vestiaire, Estelle s'approche de moi et c'est là que j'aurais dû me méfier mais éreintée par la journée, je ne lui accorde aucune malveillance. Je pense que je ne suis pas naturellement «parano», pour reprendre Diane et que je ne vois pas le mal partout. Mais je crois que cette fois-ci j'aurais dû porter des lunettes ou mieux, sortir un bouclier pour me protéger de la diabolique Chloë et de son valet.

franchement, tout à l'heure, toi et Scott et toi vous étiez trop beau! Me dit-elle en emboîtant le pas.

Puis tout d'un coup, elle m'attrape le bras pour arrêter ma progression et reprend :

Mais, il y a quelque chose entre vous? Parce que la manière dont vous avez dansé tout à l'heure...

Je me dégage et lui répond agressive :

Lâche-moi mon bras et en quoi ça te regarde?

Avant qu'elle est eu le temps de répondre, on entend Chloë qui l'appelle, alors tout d'un coup elle me passe devant et court vers le vestiaire et rit à gorge déployée. Je la suis et qu'est-ce-que je découvre dans le vestiaire : Scott et Chloë enlaçaient ou plus exactement, les bras de Chloë autour du cou de Scott lui caressant la nuque, son corps collé au sien. Elle minaude et me jette un regard triomphant lorsqu'enfin elle m'aperçoit. Scott se retourne alors et saisit immédiatement la situation, il détache les mains de Chloë croisées autour de son cou et s'élance derrière-moi. Je cours plus vite encore et il n'a pas le temps de me rattraper, j'arrive à me cacher dans le cagibis où Irina et Olga rangent tout le matériel de danse. Il m'appelle mais je refuse de répondre. Je reste là un moment, attendant qu'il n'y ait plus aucun bruit dans le studio, je m'extrait alors de ma cachette et avec précaution, en regardant partout, je rejoins les vestiaires où je m'habille dans le noir. Lorsque j'ai fini, je rejoins Olga et ensemble nous rentrons chez elle. «Tu es bien pâlotte!» Me dit-elle, j'en profite alors pour lui dire que ce soir je ne suis pas bien, plutôt patraque pour avoir une excuse et ne pas dîner avec elle. Elle me dit alors, sans doute pour me remonter le moral :

Irina m'a dit pour toi et Scott, votre duo était magnifique. Elle a même rajouté que ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu un couple aussi harmonieux et que ça lui fait un bien fou!

A cet instant, dans la voiture, je n'attends même pas d'arriver à la maison, au souvenir de ce duo avec lui, mon cœur chavire, se fend en deux et mes larmes se déversent, inondent mon visage sans que je puisse rien y faire. Olga, effrayée par cette intense émotion, ne sait plus comment faire. Le volant manque lui échapper des mains, elle se reprend rapidement et ne cesse alors de me jeter des regards du coin de l'œil tout en essayant d'être attentive à la route. Arrivée à la maison, à peine finit-elle de se garer que je saute en dehors de la voiture. Je ne sais même pas si elle prend le temps de fermer son véhicule mais je l'entends m'appeler et me courir après. Devant sa porte, elle m'attrape par les épaules et me force à la regarder mais je n'y arrive pas et baisse la tête. Elle prend mon menton entre ses mains, me caresse le visage et me dit : «Je suis là pour toi aussi. Mon amie t'as confié à moi, c'est un devoir pour moi de prendre soin de toi.» J'acquiesce d'un signe de tête : «Mais tu n'es pas malade au moins?» Un autre mouvement de la tête pour signifier qu'il ne s'agit pas de cela et me tais, je ne peux pas dire plus, au risque de me noyer encore une fois. Olga me regarde encore un moment, me serre dans ses bras et me libère. Dès que la porte s'ouvre, je m'engouffre et file directe dans ma chambre.

C'est décidément une habitude chez moi, je me jette sur mon lit et termine de pleurer ma déception, mon écœurement, la trahison de Scott et la méchanceté gratuite des deux pestes. Je pleure tellement que je suis épuisée et vidée et après ce long silence qui m'apaise je sens mon téléphone portable qui vibre sous moi. Je réfrène alors mon geste et laisse ma main au-dessus du portable, le regardant vibrer fixement. Je crois ou espère qu'il s'agit de Scott et ne veux surtout pas répondre puis je me rappelle tout d'un coup que je ne lui ai jamais donné mon numéro de téléphone, il ne me l'a jamais demandé et moi je n'ai pas le sien. Alors j'attrape mon portable pour m'apercevoir que c'est Diane qui me demande de me mettre sur «Skype». Je me traîne jusqu'au bureau, allume mon ordinateur et me recouche. Diane apparaît alors sur l'écran :

Han! La tête que t'as! Qu'est-qui t'arrive?

Je renifle longuement, souffle et répond :

Qu'est-ce-que tu veux qui m'arrive! Comme d'habitude. J'ai pris en flag la Chloë en train d'embrasser Scott dans les vestiaires...

Et là je me remets à pleurer.

Oh putain Sharleen, arrête un peu et raconte-moi!

Je lui dis tout. Ma surprise de le trouver ce matin dans le studio, notre moment de répétition, je lui avoue mon émoi, mon tremblement, mon petit affolé, tout, je lui dis tout entre deux sanglot et je garde le meilleur pour la fin, notre duo magnifique, sublime où je n'avais qu'une envie me fondre dans ses bras. Même Diane, la chasseresse, la guerrière est touchée par mon émotion mais la vindicte reprend vite le dessus lorsque je lui raconte le piège que m'ont tendues les deux garces, Chloë et Estelle. Et là je m'apprête à verser encore des larmes que je croyais taries mais Diane lève la main dans la direction et me dit :

STOP! Ça suffit de pleurer! Oh tu te crois où, là!? A la maternelle avec maman qui va souffler sur tes plaies. Non mais je rêve! Tu te bouges un peu! J'en ai marre de te voir pleurnicher dès qu'on te souffle dessus! Devant ma tête horrifiée, elle reprend : «Et c'est pas la peine de me regarde comme ça, depuis le temps que je voulais te le dire, et ben c'est fait!» 

Pour le coup, j'arrête net de pleurer et lui répond agressive:

Ben on peut dire que tu sais parler toi et en plus aller chercher ma mère pour me consoler, t'as la mémoire courte ou quoi?...

Ouais je m'en fous, appelle grand-mère Garance si tu veux pleurer et te laisser faire. Moi c'est plus possible! (elle croise les bras et conclus) Voilà!

Nous restons silencieuses un moment en se regardant sans pitié aucune et c'est elle qui reprend :

Ben alors qu'est-ce-que tu comptes faire maintenant?...

Rien, il a fait son choix, non?!

N'importe quoi! T'es sérieuse là?! Tu vois qu'elles t'ont tendu un piège. Moi je suis sûre que l'autre conasse si elle est venue te parler c'était pas pour rien. Elles ont monté un coup ensemble et puis je vais même te dire, si c'est elle qu'il préfère, elle mérite une raclée! Ouais ouais! Parce que tu vas pas me dire qu'elle pouvait pas attendre que tu partes pour l'embrasser, non elle voulait que tu les vois, c'est tout! C'est une sadique et une sorcière! Je vais te dire ce que tu vas faire demain quand tu arrives au studio....

Je ne sais pas encore si je vais arriver à suivre les recommandations de Diane mais rapidement je suis passée des larmes au rire et ainsi, réconfortée, rassurée j'ai mieux dormi.

 Le lendemain, avec Olga nous procédons au même rituel, jusqu'à ce que les petites danseuses arrivent et que je retrouve dans leur vestiaire. Quand je rentre dans ma salle de danse, elle est vide mais rangée, comme hier. Je cherche des yeux Scott mais ne le trouve pas, lorsque tout d'un coup je l'entends arriver derrière-moi. Je reconnais ces pas sur le parquet en bois. Je me retourne vivement et le laisse arriver vers moi. Les mains bien campés sur mes hanches, je suis sa progression, bien décidé à ne pas me laisser conter n'importe quelle histoire. Il s'approche au plus près de moi, je me recule alors, il ne désarme pas et s'avance à nouveau, ce petit manège dure jusqu'à ce qu'il me coince contre le miroir et que je ne puisse plus bouger, je laisse alors tomber mes bras le long du corps, interdite, complètement démunie. Sa joue tout près de la mienne, il me chuchote à l'oreille.

Je te cherché toi parrrtout hier soirr, où étais-tou?

Je ne réponds pas, j'en suis incapable, j'ai le cœur qui bat à tout rompre et je sens que d'un moment à l'autre je vais m'écrouler. Scott ne s'arrête pas là :

Il n'y a rien dou tout avec Chloué. J'ai pas compris pourquoi elle faire ça... Tou me crrois Sharleen?

Toujours silencieuse et tétanisée, je reste droite contre lui qui se rapproche de plus en plus dangereusement. Sa joue glisse alors vers le coin de mes lèvres qui tremblent maintenant mais il ne semble pas s'en rendre compte à moins que son désir ne soit plus fort. Cette pensée me soulève alors et lorsqu'enfin il pose sa bouche sur la mienne, j'ai le souffle coupé mais rapidement je me laisse emporter par la fougue de son baiser, et l'embrasse moi aussi avec une passion que je ne me connaissais même pas. Son corps pèse juste ce qu'il faut sur moi, une légère pression qui marque son désir, son futur territoire à découvrir. Je sens tous ses muscles, son corps se déployer, se déplacer contre moi pour m'embrasser encore et encore. Sa main sous ma nuque et dans mes cheveux maintient ma tête avec fermeté et douceur à la fois. La brûlure qui se diffuse alors dans tout mon corps, ne me brûle plus, bien au contraire, elle m'envahit, me réchauffe et accentue même ce désir qui me saisit toute entière pour lui. Essoufflés, nous nous détachons et nos regards se fondent alors l'un dans l'autre sans pouvoir bouger, faire un pas le côté et se séparer. Nos mains enlacées l'une dans l'autre restent accrochées longtemps, jusqu'à ce que l'écho de celles qui viennent d'arriver, nous parviennent. Nous nous détachons alors, je me dirige, comme sur un nuage, vers les vestiaires, tandis que Scott commence ses assouplissement à la barre. Un dernier coup d'œil dans le miroir me confirme que je n'ai pas rêvé tout ce qui vient de m'arriver. J'ai hâte ce soir pour tout raconter à Diane, je crois qu'elle va être fière de moi mais pour l'instant j'ai encore à faire.

Lorsque j'arrive dans les vestiaires, les deux pestes sont encore là. Je me demande comment je vais faire pour coincer la Chloë quand la chance me sourit. Estelle est appelée en même temps que les autres filles par Irina. J'attends un petit moment et me précipite sur la porte pour la fermer à clé. Un instant, un instant seulement, je vois la panique dans les yeux de Chloë mais elle se ressaisit très vite et me balance :

Alors bien dormi quand même?

Comme un bébé!

Elle me rétorque :

Et bien moi avec Scott c'était chaud tellement chaud qu'on a pas eu le temps de dormir...

Alors tout d'un coup je me lève du banc et m'approche lentement vers elle en la regardant droit dans les yeux. Bon c'est vrai que j'essaye de penser à Diane pour me donner le courage d'y arriver jusqu'au bout et me compose le regard qu'elle m'a montré hier soir sur «Skype». Je pense à la phrase qu'elle m'a conseillé et la répète comme un mantra: «Tu vas morfler, je vais te massacrer!» Bon pour dire la vérité, je ne suis pas vraiment sûre avec cette phrase, ça ne me ressemble pas mais pour l'instant mon regard menaçant et ma démarche non moins menaçante semble porter ses fruits. Mais on est crâneuse ou on ne l'est pas et dans un sursaut, Chloë me lance :

Espèce de jalouse! T'aurais bien voulu être à ma place, hein!

Et elle rit méchamment. Là je n'ai plus besoin de faire semblant, je lui saute dessus, l'attrape par la gorge et lui coince la tête entre deux portants. Les dents serrés, en fureur, je ne me reconnais pas mais je découvre alors que je suis moi. Que cette fille qui se comporte de la sorte, fait aussi partie de moi mais que je ne l'ai jamais laissé s'exprimer. Et j'avoue que je prends plaisir à tenir ainsi Chloë dans mes mains et de lire enfin la peur plutôt que son regard narquois, dans ses yeux. J'approche tout près mon visage du sien, et là je ne me souviens plus si c'est de Diane ou si j'improvise. Peu importe, ma bouche touche presque la sienne lorsque je lui dis:

Toi il t'a peut-être baisé mais moi il m'a fait l'amour. Il a embrassé chaque partie de mon corps et il n'en était pas rassasié et tu sais quand c'était ça?

Elle essaie de bouger la tête pour répondre mais je lui coince toujours le cou, je continue pendant que des larmes coulent le long de ses joues.

Cette nuit! Toute la nuit on s'est embrassés, on s'est aimés... Mais tu peux pas savoir ce que c'est, toi! Il avait soif de moi et il n'a cessé de me le dire... Et toi qu'est-ce-qu'il t'a dit? (silence dans le vestiaire) Rien, il peut rien te dire, y'a rien à dire parce qu'il était avec moi. Alors écoute-moi bien maintenant si tu recommences tes petites manigances et si tu me tournes autour encore une fois, tu sais que tu auras à faire à moi. (Je lâche mon étreinte et conclus) Je te louperai pas, reste bien à ta place et il ne t'arrivera plus rien, espèce de hyène.

Je la libère complètement, elle en profite pour s'échapper en courant et moi je m'écroule complètement sur le banc, transpirante, n'en revenant pas de ma performance. Je suis épuisée par cette énergie que je trouve maintenant inutile, mais tout d'un coup je me revoie face à Chloë et cela ne me ressemble tellement peu que j'éclate seule de rire dans les vestiaires.

 Après cela, Scott et moi vivons comme dans un rêve. Nous sommes toujours discrets mais personne n'est dupe. Même Olga et Irina s'en sont rendues compte mais jamais je n'ai eu la moindre réflexion. Mais comment ne pas s'apercevoir de notre bonheur et de ce qui se passe entre nous. Dès que nous échangeons un regard, plus grand chose n'existe autour si ce n'est la recherche avide de notre présence commune, la confirmation de notre amour, de notre désir et si l'un ou l'autre vient tout à coup à disparaître du paysage, c'est avec anxiété que nous attendons son retour. Parfois s'en est même douloureux, ne pouvoir se toucher alors que nous nous sentons aimantés l'un par l'autre.

J'adore ces instants où quelque chose nous échappe et que nous offrons à l'autre pour mieux s'emparer de lui, pour mieux le posséder peut-être? J'adore avoir envie de le toucher et de ne pouvoir le faire parce que nous ne sommes pas seuls. C'est une véritable découverte pour moi et je peux dire que je trouve cela aussi bon que de faire l'amour.

Lorsque j'explique cela à celle à qui je peux tout dire, tout confier, voici sa réponse :

Ouais ça y est t'es repartie dans tes délires... Mais c'est pas possible...

Comme je ris, elle en rajoute :

C'est bien beau tout ça mais rien de tel que le concret! J'espère que quand on se verra à Londres, tu seras un peu plus prolixe, pour parler comme ma mère, enfin que tu me donnes des détails de la chose, comme on dit!

Je lui réponds alors exaltée :

Je suis une amoureuse Diane, je suis amoureuse de Scott (je crie en levant les bras en l'air) et j'aime la viiiiie!!!!

 C'est évidemment Scott et moi qu'Irina choisi pour le duo de fin de stage. Et depuis que j'ai remis les pendules à l'heure à la peste de Chloë, elle a complètement disparue de la circulation, prétextant une maladie imaginaire. C'est Estelle qui l'excuse et celle-là essaye même de se rapprocher de moi mais je la remets vite à sa place. Il y a des personnes comme ça qui ont la mémoire courte et qui s'arrangent toujours pour retourner la situation en leur faveur. Mais moi je n'oublie rien, surtout pas les hypocrites méchantes de surcroît. Lorsque je fais le compte rendu de la situation à Diane, elle me demande à nouveau de lui raconter dans le détail le passage du vestiaire avec Chloë. Bon à chaque fois j'en rajoute un peu mais comme ça l'a fait jubiler, ce n'est pas bien grave et puis elle connaît la version originale. Ce jour-là, elle exulte vraiment et me dit d'un air entendu :

Tu vois toi aussi quand tu te laisses aller, tu peux être comme les autres... Tout le monde possède cet instinct, il faut juste savoir s'en servir, sans culpabilité mais avec ceux qui le méritent. Mais je te fais confiance ma chouchou d'amour tu sauras t'en servir avec précaution. Bon c'est pas tout ça mais moi ça fait un moment que je t'attends aussi, alors t'arrives quand?...

 Aéroport de Gatwick à Londres le 2 Aout 2012,

 Nous arrivons enfin, Scott et moi, à la sortie des passagers, des yeux je cherche mon amie que je n'ai pas vue depuis plus d'un an. Scott se tient juste derrière-moi, comme s'il sentait qu'il me fallait vivre ce moment-là seule en tête-à-tête avec celle qui m'accompagne, qui m'engueule quand c'est nécessaire, essuie mes larmes lorsqu'elles coulent trop longtemps et m'appelle sa chouchou d'amour quand il le faut... Ou es-tu Diane?...

Tout d'un coup, elle est là, je la vois au milieu de tous. Cette grande et belle fille est mon amie, la seule au monde! La plus grande amie que je n'ai jamais eue. Je cours vers elle, elle pousse tout le monde, fait tomber la barrière et nous nous jetons dans les bras l'une de l'autre. Nous rions, pleurons, crions, nous nous embrassons et nous nous serrons fort l'une contre l'autre, comme tous ces gens autour de nous, heureux enfin de se retrouver.

Puis Scott nous rejoint, il rit avec nous. Je présente mes deux amours l'un à l'autre, Diane le serre dans ses bras comme si elle le connaissait depuis toujours, se tourne vers moi et me dit :

Buckingham Palace? Allez c'est parti!

  

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