je, tu, nous étions

helen36

Il était là, gisant face à elle, pâle, beau, livide. Des voix résonnaient dans le couloir. "Et toi ton week end?" "C'est fou ce que je me sens fatiguée, ça doit être les hormones!" "T'as entendu le discours du président?" Léa ne voyait que lui, les souvenirs se bousculaient dans sa tête. Ce chauffard soûl qui leur coupa la priorité, le bruit des freins, le choc ... et puis plus rien. Elle s'était réveillée dans une chambre d'hôpital. Traumatisme crânien lui a t'on dit. Banal fait divers. Et Pierre? Où est il?

Pierre, lui, ne s'était pas réveillé. "Votre ami est dans un coma profond, ses parents sont prêts de lui. Il faudra que vous réfléchissiez à ce que vous ferez...enfin si ça arrive...vous savez on ne sait pas...". Léa l'avait bien compris. Pierre ne se réveillerait sans doute pas. Don d'organes? Mais qu'est ce que ça peut bien me faire à moi de sauver une personne en France?? L'homme de ma vie va mourir, ma vie n'aura plus de sens, plus aucune saveur, je ne sais même pas ce que je pourrais faire, ni dire. Qui sera là à mon réveil tout les matins? Qui me fera rire aux larmes? Je ne peux pas, non je ne l'accepte pas, je ne veux pas que ça devienne des souvenirs, je refuse de lui dire au revoir. Lui dire adieu, c'est dire adieu à son sourire, à son air bêta quand il se sent coupable, à sa manière de sucer son pouce, ses commentaires moqueurs devant la télévision, à tout ce qui énervait Léa mais qu'au fond elle aimait tant. c'est dans ces moments qu'on s'aperçoit que ces petites choses qui nous agacent, on ne pourrait plus s'en passer. Qui aurait crû qu'il deviendrait à ce point indispensable à ses yeux, à son bonheur. Léa se souvint du soir où elle l'avait rencontré. Elle et ses amies avaient fait la fête toute la nuit et étaient parties éméchées en discothèque. Léa avait dragué toute la soirée et sollicité le côté animal des hommes afin de se faire offrir des verres. Le seul qui avait refusé, le seul qui l'avait rembarré, c'était lui. Pierre. Elle finit par le ramener chez son amie. Tout deux ne se souvenait pas grand chose de cette soirée mais un élément leur était resté en mémoire. Un élément peu glorieux d'ailleurs. Léa s'était assise sur les genoux de Pierre et elle avait laissé échapper une chose immonde, un oubli de son intégrité physique. Une odeur nauséabonde était remontée et Pierre s'était relevé dans un grognement, dégoûté! S'en était suivi un éclat de rire général et tout espoir de conclure s'était réduit à néant pour Léa. Ils étaient partis se coucher chacun de leur côté. Le lendemain, il était resté et une complicité était née entre eux. Par leur humour, ils avaient fait rire toutes les personnes présentes. Rien n'avait changé depuis ce temps la. La vie ensemble était une suite de plaisanteries, de fous rires, de chahuteries. Même la routine avait une douceur joyeuse.

Réveilles toi, mon amour je t'en supplies!penses à nous, à eux, à elle qui n'attend que de te connaître!Notre petite Lili qui va bientôt pointer le bout de son nez, une merveille que tu m'a offert. La vie ne mérite pas d'être vécu sans toi. Léa entra dans la pièce. Pierre respirait d'un souffle fort et régulier, trop régulier peut etre. Etait ce la machine qui respirait pour lui? Une angoisse monta en elle, Léa se sentait oppressé par la présence de tout ces engins braqués sur son homme, comme si la vie n'était plus présente dans la chambre. Elle s'assit près de lui. Qu'était elle censée faire? Lui parler comme dans les films? lui prendre la main et s'endormir sur son torse? Existe t'il des gens vivant ce type de situations, qui savent exactement comment se comporter? Au cinéma, ils ont toujours une petite larme en regardant avec amour leur bien aimé en se parant d'un visage angélique. Léa était bien loin de cette image, un geyser s'échappant de ces narines, en reniflant tel un buffle, les yeux gonflés par les larmes. Elle avait envie de hurler, de le taper, le secouer pour qu'il arrête de lui briser le coeur. Il paraissait si paisible alors qu'un drame se vivait si près de lui.

Qu'est ce que le bonheur? D'après le dictionnaire, le bonheur est un état durable de plénitude et de satisfaction. Le bonheur c'est se satisfaire de ce qu'on a, apprécier la beauté de ce qu'on vit, déguster chaque instant que notre existence nous offre.

Léa avait toujours été une jeune fille positive, qui voyait dans ses échecs, un signe de ce qu'il fallait changer, dans les drames, une fin positive. Tout irait mieux, un jour.

Voilà, pourquoi, dans cette chambre d'hôpital, elle refusait de croire que leur histoire se finirait ainsi. Elle resterait près de lui. S'il fallait, elle lui parlerait, elle soufflerait dans ses poumons, elle mettrait son coeur contre le sien afin qu'il revienne à la vie. "Notre fille a survécu au choc, c'est un signe mon loulou, elle a résisté pour te connaître. Au fond d'elle, elle le sait, elle le sent, son papa va résister lui aussi et lui apporter son amour." "Te souviens tu du jour où je t'avais écrit une lettre pour ton anniversaire, et tes yeux s'étaient emplis de larmes"

Léa tremblait, le froid de la pièce la pénétrait et l'atmosphère était glaciale. Les parents de Pierre entrèrent dans la pièce suivis de son frère et de sa soeur. Ils se regardèrent, vidés par les pleurs, les yeux brouillés par le chagrin. Sa mère s'avança vers elle puis regarda son fils et les larmes se remirent à couler. Léa ne savait pas quoi dire ni que faire. Elle n'osait montrer sa peine, qu'ils auraient pensé dérisoire comparé à la leurs.  Il est vrai qu'elle connaissait Pierre depuis peu de temps.

Cela faisait à peine un an qu'ils s'étaient rencontrés. Pourtant, ils avaient la sensation de s'être toujours connu comme s'ils s'étaient cherché désespérément durant toutes ces années sans jamais se croiser. Jusqu'au jour où...Jusqu'au jour où leurs regards avaient pris la même direction, la même destinée. Ils n'avaient de commun que leur humour, une envie partagée d'embellir leur quotidien par de petites blagues, un brin de folie et de fantaisie. Ils s'aimaient d'un amour inconditionnel qui ne laissait aucune place au doute. Chaque jour, le coeur de Léa rebattait de plus belle quand elle le revoyait au réveil ou rien qu'à l'évocation de son prénom comme si l'amour qu'elle avait pour lui ne connaissait aucune limite, comme s'il ne cessait jamais de croitre. Elle aimait quand il portait un regard amusé sur elle en se moquant de ses réactions, de ses propos, de sa maladresse, tout cela avec une énorme affection. Ses yeux verts pétillaient en la regardant et dans son regard, Léa se sentait une autre personne. C'était comme si ce regard la traversait. Il pouvait même parfois la déstabilisé, tant il la sublimait. Léa se moquait beaucoup de lui également. C'était leur manière à eux de s'adorer. Elle riait de sa maladresse. Pierre avait la manie, tel un bulldozer, de courir dans tout les sens sans jamais regarder où il marchait. Ainsi, un jour il buta dans un sac et traversa à grands pas en avant la pièce avant de finir la tête la première dans l'évier. Léa en avait pleurer de rire sans parvenir à s'arrêter.

Léa riait à ce souvenir, les larmes coulaient par flots, elle ne savait plus si cela était du rire ou des pleurs d'ailleurs. "Tu as toujours eu le chic pour te prendre de belles gamelles et faire rire la galerie. Allez avoues, c'est encore une de tes blagues chéri, mais arrêtes maintenant je t'en supplies, ce n'est plus drôle". La soeur de Pierre éclata en sanglots et s'accrocha aux barreaux du lit, secouée par ses pleurs. Léa ne se sentait plus à sa place, elle posa sa main sur l'épaule de la jeune fille en signe de compassion et quitta la pièce les yeux baissés. Elle erra dans l'hôpital à la recherche de la cafétéria mais bien sûr, comme à son habitude elle se perdit. Alors, elle pensa à Pierre qui aurait sauté sur l'occasion pour la tourner en ridicule. Elle se serait alors énervé et cela l'aurait amusé d'autant plus. Elle sourit à cette pensée. Mon amour, que pourrais je devenir sans toi, sans ta bonne humeur, ton don de tout tourner en dérision, ta gentillesse? se dit elle. Elle croisa un vieil homme et lui demanda son chemin, un soupçon agacé. Il avait l'air bien dépité lui aussi. L'hôpital n'est pas l'endroit par excellence où le sourire est de rigueur, c'est bien connu. Peut être vivait il le même enfer qu'elle. Elle aurait aimé lui dire qu'il avait eu la chance de vieillir auprès de celle qu'il aimait. Peut être pas d'ailleurs. Qu'importe. Cela n'aurait pas eu la magie de la réconforter.

Pourquoi aime t'on une personne au point qu'elle fait partie de nous, qu'elle alimente l'essentiel de nos pensées et abreuve notre envie de franchir tout les obstacles à la seule condition qu'elle soit la pour nous porter de son amour? Pourquoi cette personne et pas une autre? Parce que, précisément, elle est cette personne et pas l'ombre d'une autre, que l'existence des autres nous semble dérisoire. Elle était celle qui nous correspondait, aucune autre nous aurait vu comme elle nous voyait, aucune autre ne nous aurait habité telle qu'elle le faisait. Mes bras sont ta maison désormais, mon amour. Je veux avoir une petite fille avec toi, je veux pleurer devant un film à tes côtés, je veux ta voix pour me réveiller le matin. Quand je serais de mauvaise humeur, je veux que ce soit toi qui me calme. Je veux te dire des mots d'amour, te les écrire. Je veux me mettre en colère contre toi, je veux acheter une maison avec toi, faire des courses avec toi, je veux t'embrasser quand je rentre le soir et me glisser dans tes bras quand je suis fatiguée. Je veux faire toutes ces choses avec toi et je n'imagine pas les vivre loin de toi.

Une fois, la diabolique cafétéria découverte, Léa commanda un thé. Elle observait toutes ces portions de vie évoluer autour d'elle. Son cerveau n'émettait plus rien, son coeur et son corps étaient lourds. Elle ne ressentait plus rien. Elle n'avait plus de larmes. La seule chose dont elle était certaine, c'est qu'elle ne quitterait pas cet endroit sans l'amour de sa vie. Elle ne voulait plus partir, elle resterait à ses côtés jusqu'à son réveil.

Une fois son thé avalé, elle reprit la direction de la chambre. L'ascenseur s'ouvrit et ils étaient la. Ses parents, son frère et sa soeur. En passant sa mère s'arrêta devant Léa et dans un sanglot lui glissa: "iIl ne se réveillera pas ma grande" puis ils partirent sans croiser son regard. Elle s'effondra. Une femme vint l'aider à se relever et à s'assoir sur un banc. Les minutes défilèrent, Léa ne pouvait plus bouger, paralysée par les propos qu'elle venait d'entendre, elle suffoquait, noyée par les larmes, oppressée par la souffrance. Puis, elle aperçut le frère de Pierre s'avancer vers elle. "Veux tu rentrer à la maison avec nous?" Elle déclina son invitation en le remerciant. Elle l'avait dit, elle ne partirait pas sans lui. Elle reprit la direction de la chambre. Une fois, celle-ci atteinte, elle s'assit dans le fauteuil et comtempla Pierre pendant de longues heures, dans l'attente d'un signe. Dans les films, quand les personnes sortent du coma, elles bougent un doigt. Alors Léa les regardait de temps à autre. Mais surtout, elle observait son visage paisible, doux. Elle avait toujours adorer ses lèvres. Elles étaient rondes et potelées. Il avait également de longs cils. Elle le jalousait pour ça et cela amusait beaucoup Pierre qui en jouait. Ce qu'elle préférait par dessus tout, étaient les petites pommettes qui se creusait sur ses joues lorsqu'il la regardait et souriait avec tendresse. Mais ce n'était pas le cas aujourd'hui. Aujourd'hui, son visage était vide, sa peau était très pâle, son souffle régulier, il paraissait...non Léa ne pouvait dire le mot, ce mot cruel, ce mot qui à sa simple prononciation rompt l'espoir, le bonheur, la beauté des choses de la vie. Un mot qui colore de gris notre existence. Je ne sais ce que deviendra ma vie si, un jour, une personne a le malheur de désigner ton état par ce mot. Je ne saurais où aller, que faire, que deviendrais je? comment ferais je pour me lever le matin et accepter de ne plus voir ton visage, ne plus jamais te sentir, ne plus jamais entendre ta voix, sentir ton odeur, te frôler, t'embrasser, t'engueuler, t'aimer quand tu es insupportable, t'aimer quand tu me fais rire, t'aimer quoique tu fasses...comment ferais je quand je ne verrais plus ta voiture en rentrant à la maison avec la joie de te retrouver. Ce vide serait il vivable? Rien que d'y penser, mon coeur s'émiette, mon corps me lâche. Tu es mon amour, mon meilleur ami, ma famille, mon confident, mon amant. Tu es ma vie. Bien des nuits je rêve que je rencontre l'homme de ma vie, un homme drôle, intelligent, beau, attentionné avec un brin de folie. Et puis, je me réveille et je te vois. Car la vie avec toi est un rêve mon amour. Si je te perds, je perds ma vie. Combien de fous rires ensemble, de complicité.  Te souviens tu quand on s'était fait une soirée d'adolescents? On avait acheté tout plein de bonbons, de boissons sucrées de tout les parfums, et on avait regardé la télé. On aurait dit des enfants.

Une infirmière entra dans la chambre. "Il va falloir vous en aller mademoiselle, les heures de visite sont terminées! Avez vous signer les papiers pour votre sortie?" Non, Léa n'y avait pas pensé. Elle ne voulait pas partir. "Vous allez devoir rester une nuit de plus alors! c'est pas sérieux ça!" Tant mieux, je pourrais rester près de lui, pensa t'elle. "Allez, venez avec moi, on va vous trouver une chambre. Mais il faut signer les papiers demain, hein?!" Léa se leva et rejoignit l'infirmière. Elle tourna la tête afin de jeter un dernier regard sur Pierre puis referma la porte. "Vous savez, on n'a pas beaucoup de place ici! Il faut faire attention quand même!" "Bon, je comprends votre situation, hein? Mais pour nous, c'est pas facile! Ah, notre métier n'est pas facile. Trop de patients, pas assez d'effectifs, c'est une misère." Léa ne l'écoutait plus. C'était une infirmière d'une cinquantaine d'années, bien en chair sous sa blouse blanche, avec un accent breton très prononcé. Causes toujours tu m'intéresses, se dit-elle. Qu'est ce que ça peut bien me faire tes soucis de travail, si t'as besoin de t'exprimer, vas voir un psy ou une copine mais ne me choisis pas.Pas là, pas ce soir. Jamais, d'ailleurs. 

Elle entra dans sa chambre, posa son sac à main. Elle n'avait pas d'affaires. Personne n'était venue la voir. Elle n'avait averti personne. Pas même sa famille qui la croyait bien au chaud dans son salon avec son amoureux. Elle se dit qu'elle apellerait ses parents le lendemain. Elle se déshabilla, alluma la télévision et se mit au lit. Une bande de jeunes bourgeois se disputait dans une émission de télé-réalité car, Léa le supposait, une des jeunes filles avait volé le copain de l'autre. Sur la chaîne suivante, un homme racontait ses déboires avec sa femme qui aimait trop sortir en discothèque. Comment peux t'on passer à côté de sa vie à ce point? Ces personnes avaient tout pour être heureuses et pourtant, elle ne faisait que se lamenter sur leur pitoyable existence. L'être humain est conçu pour ne voir que le négatif dans sa vie, on dirait qu'il n'est pas habilité à reconnaître le bonheur lorsqu'il le côtoie comme un deni, une peur d'être heureux. Une crainte d'être trop heureux peut être? Trop heureux pour lui? Trop heureux pour les autres? Alors, il se plaint, se lamente, raconte ses déboires, les met en scène voire parfois il peut aller jusqu'à les inventer. C'est le concours de celui qui aura le plus de soucis. Ou peut être avoir des soucis et, donc, savoir les vaincre, serait une preuve de force, de courage? Léa éteint la télévision et la lumière puis ferma les yeux. Elle revit l'image de Pierre sur son lit d'hôpital. Toute la journée repassait en boucle dans sa tête. Elle se demandait ce qu'elle allait devenir. Elle était angoissée et n'arrivait pas à se détendre. Elle n'avait plus envie de pleurer, elle avait juste peur, très peur. C'était insupportable. Un peu comme ces fois où on attend le résultat d'un examen et qu'on sait que quand on aura la réponse sous les yeux, cela conditionnera notre année future. La seule différence, c'est que Léa savait que cette réponse, cette réalité, cette nouvelle conditionnerait le reste de sa vie, voire le sens de sa vie. Elle n'était pas sûre de pouvoir rester en vie si Pierre ne le restait pas. La vie d'une femme a du sens quand elle rencontre l'amour, fonde une famille, élève ses enfants, les voit grandir. Léa savait que le seul amour de sa vie resterait à jamais Pierre, elle ne se voyait pas fonder une famille avec un autre que lui. C'était impossible. Ce serait comme si cet homme volait la vie de son amour chéri, comme s'il la plagiait. Pourtant, il y avait leur petite Lili, ce petit bout de vie en elle qui ne demandait qu'à vivre, rire, aimer, découvrir le monde. Léa ne pouvait pas l'abandonner sur le chemin que serait sa vie. Ce serait égoïste. N'ayant plus de père, elle ne pouvait lui ôter le bonheur de connaître sa mère, ou même le bonheur de connaître la vie tout simplement. Il fallait qu'elle survive pour elle. Mais quel intérêt d'avoir une petite fille sans lui. Et cet enfant paraissait si abstrait, ce n'était qu'un foetus.Cependant, c'était une partie de lui qui vivrait en elle. Alors, peut être que grâce à cet enfant, elle continuerait de voir son amour, elle pourrait le sentir, le toucher, l'aimer. Léa ne savait plus quoi penser. C'est de ces conseils dont elle avait besoin, comme toujours. Elle s'était toujours reposé sur lui pour prendre une décision, elle l'écoutait et alors tout devenait clair. Il était sa raison d'être. Dans ce lit, seule, elle commençait déjà à ressentir un vide. Elle voulait le voir mais cela lui était impossible car ils avaient fermé les portes du service. C'était un mal qui la rongeait. Elle ne tenait plus, tournicotait dans tout les sens, elle avait envie de crier, de tout casser, de se faire mal, quitte à le voir. Elle ralluma la télé, rejeta sa haine contre les personnes qu'elle voyait, pleura puis se calma, pour se remettre à pleurer et finit, enfin, par s'endormir.

On frappa à la porte. A peine, le temps d'ouvrir les yeux, qu'une personne entra. "Le petit déjeuner est servi!" Léa se redressa dans son lit, tandis que l'infirmière déposait un plateau composé d'une tasse, deux tranches de pain, de la confiture et du beurre. Mais Léa n'avait pas faim. "Quand pourrais-je aller voir mon ami? Il s'apelle Pierre Le Du, on a eu un accident de voiture et il est dans le coma." Le visage de la femme se referma. "Ah oui, j'en ai entendu parler...euh les visites commencent à 13h et il n'est que 9h...Il va falloir que vous signiez vos papiers pour la sortie déjà!Descendez au rez de chaussée après votre petit déjeuner." Puis, la dame sortit et referma la porte. Léa se leva et s'empressa de s'habiller. Elle prit ses affaires, descendit au rez de chaussée et sortit fumer une cigarette. Elle en profita pour apeller ses parents et leur annoncer la nouvelle. "Ne bouges pas, on arrive, gardes ton téléphone allumé."

Une demi- heure plus tard, ils étaient là, la serrant dans leurs bras. "Ma petite chérie, c'est terrible." Léa pleurait mais ressentait un certain soulagement à pouvoir enfin se reposer sur les gens qu'elle aimait. Ses parents avaient toujours été des piliers pour elle. Bien des fois, elle les avait fait souffrir étant adolescente et jamais ils n'avaient baissé les bras. Ils avaient continué de la porter, en supportant jour après jour son immaturité, son déséquilibre psychologique, ses bêtises parfois très graves. Elle était toujours resté le "petit lapin rose" de sa mère et le "petit raton-laveur" de son père même s'ils avaient dû accepter la voir grandir et changer de façon violente. Ils n'avaient jamais cessé de croire en elle, de l'aimer et de la choyer. Ils étaient le pinceau qui avait dessiné sa vie et coloré son destin. Dorénavant, elle ne serait plus seule, ils resteraient à ses côtés et la soutiendraient. "Allez ma belle, viens, on va aller se promener. Tu en as envie?" Léa acquiesça. Après tout, ça lui ferait peut être du bien de prendre l'air quelques heures.

Le père de Léa gara la voiture dans une petite clairière au beau milieu de la forêt. Ils sortirent du véhicule et empruntèrent un petit sentier étroit qui longeait le cours d'eau. Il faisait froid mais de temps à autre, les rayons du soleil réchauffait un peu ses joues. Les feuilles rousses volaient dans l'air avant de se poser sur un tapis de végétations. Le paysage était magnifique, emprunté de couleurs chatoyantes. La mort était de toute beauté dans cette forêt comme si celle-ci voulait passer un message. Après l'automne, il y a le printemps. Après la mort, la vie renaît. Mais entre l'automne et le printemps, il y a l'hiver, une période dure, glaciale. Si on arrive à le traverser, alors les couleurs se ravivent, le soleil se remet à briller et à réchauffer le corps et le coeur. 

Ils marchèrent pendant deux heures. Les parents de Léa laissait leur fille s'exprimer, vider ce qu'elle avait sur le coeur. De temps à autre, ils faisaient une pause, l'embrassaient, la serraient dans leurs bras. Le calme l'avait apaisée alors ils reprirent la direction de l'hôpital.

Ils prirent ensemble l'ascenseur et rejoignirent la chambre de Pierre. Près de sa porte, ils virent les parents du jeune homme en pleine discussion avec un médecin. Léa se rapprocha. "Cela pourrait aider des personnes qui en ont besoin, il faut bien y réfléchir. Je comprends que ce n'est pas évident de prendre une décision aussi rapidement mais comme vous le savez, cela ne servira à rien de le laisser brancher." Les jambes de Léa la lâchèrent et ses parents accoururent pour la rattraper. Les murs semblaient se refermer sur elle et les fenêtres s'écrouler. Ses oreilles bourdonnaient et elle eut soudain très chaud. Le médecin, qui avait vu la scène se précipita vers elle. Léa voyait trouble. Ils l'assirent sur un banc dans le couloir et attendirent qu'elle retrouve ses esprits. Au bout d'une dizaine de minutes, Léa revint à elle et demanda à voir Pierre, seule. Elle se glissa sur le lit, près de lui. Elle n'arrivait plus à retrouver son odeur, celle qui la faisait frissonner, elle était masquée par tout les produits que l'on mettait sur lui et par l'odeur de la chambre. Elle posa sa tête sur son torse, ferma les yeux et pleura, pendant de longues minutes. Ses dernières minutes avec lui. Puis, les doigts trempés de larmes, elle caressa son visage et déposa un dernier baiser sur les lèvres de l'homme de sa vie, son unique amour. Elle aurait voulu lui parler mais elle ne savait pas comment lui dire au revoir. Elle murmura un "je t'aime", mis sa main dans ses cheveux, comme il l'avait toujours détesté, se releva et resta debout près de lui en tenant sa main. Le médecin entra dans la pièce, accompagné des parents de Pierre. "C'est l'heure, Léa" lui glissa dans un sanglot, la mère de Pierre. Elles se prirent la main et se tournèrent vers lui.Deux infirmières entrèrent et s'approchèrent du lit. L'une d'entre elles appuya sur des boutons. Léa ne comprenait pas ce qui se passait. "Nous réduisons l'apport en oxygène progressivement, il va partir tout doucement, il ne le sentira même pas". Le père de Pierre restait figé, assis sur une chaise, absent, comme s'il essayait de partir avec son fils. Soudain, un son permanent remplaça les petits bips qui représentait le rythme cardiaque de Pierre. Il était parti, l'âme de Léa aussi.

"Bonjour mon amour, il faut se réveiller!" C'était comme une voix lointaine, douce, qui réchauffait son corps. "Allez ma puce, il est 11h!" Léa se rendormait, souriante, elle aurait voulu que ce moment ne s'arrête jamais. Un souffle chaud caressait sa nuque. Cette voix, c'était la voix de la joie, du désir, de la tendresse, du bien-être. L'entendre c'était prolonger tout ces sentiments à la fois. Une seule voix pouvait faire cet effet, et c'était la sienne. Elle sentit un bras l'enlacer et une présence l'envahir, la porter, la bercer. Elle dégustait ce moment comme une jouissance, un aveu d'amour. Des doigts se faufilèrent entre ces doigts. C'était une main solide, elle la reconnaissait, une main qui injecte l'envie d'être toujours plus forte, plus courageuse. Cette main, c'était la main de l'immortalité. Dans ces mains, elle se sentait vivre encore des siècles. Ce souffle c'était celui qui lui tenait chaud à chaque instant, la maintenait dans un cocon de douceur. Et cette voix. Alors, cette voix grave, emplie de tendresse et de fermeté à la fois, c'était sa muse. Cette odeur? Oh oui, elle la sentait cette odeur, elle l'aurait reconnu les yeux fermés dans un aéroport bondé de monde. Cette odeur c'était son opium, plonger son nez dedans était comme entrer dans un bain bouillant, relaxant. C'était comme se laisser aller totalement au désir, ne plus penser, écouter ses envies, s'écouter, être comblée.

"Et ben dis donc ça a l'air dur!Alors, ma chérie, tu veux encore dormir?" Léa ouvrit tout doucement les yeux. Elle vit son visage, doux, souriant, de petites fossettes se creusaient sur ses joues. Ses yeux verts la fixaient et l'enveloppait. Ses cheveux étaient ébouriffés comme à chaque réveil. Il était là, vivant, riant, encore tout engourdi par le sommeil. Léa eu soudain envie de pleurer. Tout cela n'avait été qu'un cauchemar. Un monstrueux cauchemar mais cela n'était en rien la réalité. Ils n'avaient jamais eu d'accident de voiture. Tout allait bien. Ils allaient pouvoir poursuivre leur histoire, s'aimer et le montrer à la terre entière. Tout cela n'était que le fruit de son imagination, de sa peur inconsciente que cette vie merveilleuse se brise un beau jour. "Ben alors? Qu'est ce qui t'arrive? t'as fait un cauchemar? T'étais agitée cette nuit!!" Oh, mon amour, comment te résumer l'enfer que je viens de vivre par mon cauchemar. Oh, tu es là, mon amoureux, ma raison de vivre. Si tu savais, la nuit que je viens de passer. Ce serait tellement compliqué de t'expliquer ce que j'ai ressenti, tu ne pourrais pas comprendre. C'est tellement merveilleux de te voir là en pleine forme, me regardant avec affection. "Tu ne réponds pas?" Léa n'arrivait pas à émettre un son de voix. Ce cauchemar avait été tellement réaliste qu'elle pensait que c'était, ce matin, qu'elle rêvait. Elle ne savait plus quelle épisode était celui de sa vie. Etait ce le drame? Ou était ce la joie? Où s'arrêtait le cauchemar et où commençait le rêve? Le rêve était, visiblement, là, en face d'elle. "Allez moi je descend ma puce!" Il se leva et referma la porte de la chambre derrière lui. Léa regardait autour d'elle. Oui, c'était bien leur chambre, tout paraissait être bien réel. Elle se souvint de la veille quand ils étaient partis se coucher en chahutant comme à leur habitude. Ils s'étaient endormis en bavardant. Comme très souvent, ils n'avaient pas regarder l'heure, ils avaient ri, se moquant l'un de l'autre, chahutant. Comme très souvent, Léa, maladroite, avait infligé des blessures à son homme. Un coup de coude par ci, une griffure par là. Puis, ils avaient fini par s'endormir.

C'était bien réel alors. Léa se leva et eut envie de courir voir Pierre pour le serrer fort dans ses bras, ne plus le lâcher, ressentir cette sensation encore et encore. Mais Pierre n'aurait sans doute pas compris ce qui l'habitait. Elle descendit dans le salon. Il prenait tranquillement son café devant son ordinateur, comme à son habitude. Cette vision, qui d'ordinaire lui paraissait dérisoire, fût un instant magique pour Léa. Elle se servit un thé puis alla enlancer Pierre. Il sourit. "Tu es bien câline aujourd'hui, dis donc!" Elle resta la tête posé sur son épaule. "Allez, je prends ma douche et puis j'y vais" lança t'il en se levant. Léa retourna dans la cuisine, rêveuse. Elle n'avait jamais autant aimé sa vie, que ce matin là. Elle la dévorait avec autant de vigueur que ce pain au chocolat qu'elle croquait à pleines dents. Pierre resdescendit à toute allure, attrapa son manteau, ses clés, fît un baiser rapide à Léa et ouvrit la porte. "A ce soir! fais bien attention sur la route mon am..." Trop tard, il avait déjà refermer la porte. Oui, à ce soir mon amour, fais très attention sur la route, et surtout...n'oublies jamais a quel point je t'aime...

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