La chambre rouge

Frankie Perussault

TABLEAU FÉLIX VALLOTTON hors concours. "La chambre rouge"1898 en possession du Musée cantonal des beaux-arts à Lausanne. L'oeuvre fait partie de la rétrospective du Grand Palais à Paris cet automne.

- Non, Félix... Non!

- Tu es si appétissante...

- Non, vous n'y pensez pas, je suis mariée et vous aussi.

- Oh, si peu.

- C'est non, Félix, laissez-moi.

- Tu étais moins farouche hier...

- J'ai hone, honte, honte, je ne veux plus vous voir.

- Honte de moi?

- Oh non Félix, vous êtes quelqu'un de bien connu dans la maison. Mon mari vous apprécie, enfin, il apprécie vos belles peintures. Il va en acheter une, il m'a dit.

- Laquelle? Celle des femmes au bain en été?

- Non, poussez-vous et laissez-moi passer, la lampe à pétrole a besoin d'être remplie, on n'y voit plus clair...

- Justement! Laissons-la s'éteindre!


Le couple malgré lui que formait Félix et la maîtresse de maison se tenait caché dans l'embrasure de la porte qui allait à la chambre. Dans le salon une table ronde trônait, ornementée d'une lampe à pétrole vascillante. Vascillante. Allait-elle lui céder? Il n'en doutait pas.


- Votre sein est rond.

- J'ai commis l'adultère. Je n'irai plus au paradis. Je suis damnée.

- Allez à la confesse, le curé vous absoudra.

- Vous n'avez donc pas de remords, vous? Est-ce que c'est comme ça qu'on fait dans votre pays? Lâchez-moi.

- Je vous lâche. Mais écoutez-moi. Dieu a créé l'homme et la femme pour qu'ils jouissent sinon pourquoi aurait-il mis dans nos veines cette envie, ce désir obsédant l'un de l'autre. Mais il s'est un peu trompé, ou bien c'est peut-être le diable qui a brouillé les cartes. En tout cas, vous et moi, nous avons envie d'aimer et de jouir avec plein d'autres partenaires.

- Non, non, j'ai fauté, je n'ai pas voulu le faire.

- Menteuse, avouez que vous avez joui et que vous m'aimez...

- J'aime mon mari.

- Et moi j'aime ma femme.

- Vous n'aimez pas votre femme...

- Si!... mais je peux et je veux aimer au pluriel, plusieurs femmes, plein de femmes. Vous êtes toutes si... si appétissantes, toutes.


La femme s'était redressée de toute sa hauteur, avait repoussé Félix avec force.


- Vous venez ici pour me damner et ensuite vous rentrez au domicile conjugal faire l'amour à votre femme. Vous me dégoûtez.

- Jalouse? Vous êtes jalouse... C'est normal. Parce que le Très-Haut qui s'est embrouillé dans ses plans a fait qu'on veut aimer au pluriel mais qu'on veut être aimé au singulier. Vous voulez que je n'aime que vous et vous êtes prête à aller arracher les yeux de ma femme maintenant!


Il continua à lui expliquer que tout cela était normal, que c'était une espèce de contradiction universelle qui pesait sur tous les êtres, jusqu'à ce qu'il sente qu'elle lâchait prise et qu'elle allait lui tomber dans les bras.

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