La chute
Jay M Tea
L'un claque la portière côté passager. C'est le top départ. L'autre démarre la voiture et glisse le long des allées du parc. Les deux hommes se lovent au fond de leur siège. Vincent se gare à mi-chemin entre l'entrée principale du parc de la Colombière et une rue familière. Ils restent muets. Un vent léger pousse sans effort les nuages molletonnés qui esquivent le soleil chaud de ce dimanche de gueule de bois. Ils suivent les promenades circulaires en manquant de se faire chier dessus par des corneilles antipathiques. Au niveau des aires de jeux et des enclos à animaux, ils décident de suivre quelques passants au détour du cadran solaire, le long du canal. Les chemins sentent la boue fraîche des pluies de mars. Ils entendent le bruit d'une chute d'eau. Vincent-le-téméraire prend les devants. Arthur le suis de près. Ils longent la berge en béton du canal jusqu'au déversoir le plus proche.
Ils se manquent souvent, se taisent des semaines durant mais pour mieux se retrouver, comme à chaque fois, dans un tête-à-tête nécessaire et toujours dans le meilleur des endroits au moment le plus opportun. Lyon-Dijon… c'est pas si loin. Ils le déplorent mais les folies de la vie et le quotidien de chacun mettent à mal la moindre volonté de se retrouver plus tôt encore que les fois d'avant.
Le soleil en pleine face, la clope au bec, son ami à ses côtés, il faudrait un lac pour faire bon genre mais Arthur ne peut s'empêcher de chanter dans sa tête : « Ô temps, suspends ton vol... » Lamartine n'a qu'à bien se tenir. Les temps ont changé. Le vague à l'âme et la naïveté du cœur vont bon gré mal gré le long des canaux en béton. Il conserve cet instant avec les autres souvenirs clés de son amitié avec Vincent. Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, les chemins des deux amis se séparent jusqu'à ce que le temps s'arrête à nouveau, juste histoire de faire une pause.