La clairière magique

 Dans un passé lointain, du temps des vilaines sorcières, des fées imaginaires et des royaumes qui s’étendaient jusqu’aux cieux, vivait un enfant ordinaire. Un enfant heureux comme tous les enfants de son âge, insoucieux, dynamique qui se croyait à l’abri des malheurs. Or, ce petit bout d’homme, pas plus haut que trois pommes, oubliait souvent qu’il n’était pas juste un enfant, c’était un ENFANT-ROI qui avait hérité de son père mort à sa naissance, une couronne et un royaume. 

 Hélas, sa mère chagrinée par la perte de son cher mari tomba gravement malade. Les guérisseurs, les médecins venus d’autres terres et d’autres royaumes se pressaient à son chevet mais en vain. Puis un jour se présenta au château une vieille femme qui avait d’affreuses rides et des cheveux rouges comme le feu. Elle pointa son doigt maigre vers l’enfant roi et lui dit « Pour sauver ta mère, il te faut une fleur unique que tu ne trouveras hélas que dans la clairière magique ».

 En prononçant devant l’assistance le nom de la maudite clairière, la vieille ne s’attendait sûrement pas à voir tant de frayeur sur les visages…Mais ! Criaient-ils, c’est un endroit maudit d’où personne n’est jamais revenu…oserions nous envoyer notre unique héritier ».

  Par amour à sa mère qu’il chérissait plus que tout, l’enfant roi décida de partir sur le champ dans cette lointaine clairière à la quête de la fleur magique. Le matin où commença son périple, l’aube blêmit les jardins du royaume. S’attardant un moment sur le seuil du château, le regard de l’enfant roi erra à ras le sol sur la vallée verdoyante, plongea dans le bleu glacé de la rivière serpentante, puis remonta les pentes des collines jusqu'à atteindre la cimes des montagnes.

   Au-delà de la ligne des lointains, s’élevait une lumière nouvelle, blanchâtre, puis, elle se teinta d’un rose tendre son voyage a déjà commencé. Des heures plus tard, en longeant la lisière de la forêt, il garda en souvenir, cette première naissance du jour sur son royaume. L’enfant roi aimait, vois-tu, ces moments solitaires, envahi par un bien être certain, il oubliait par moment sa pénitence. Il traîna alors, un pas par ci, un pas par là, s’attardant devant chaque buisson, devant chaque arbuste fleuri, surveillant les bourgeons naissants sur les branches, humant les délicates pétales avant de se choisir un endroit entre feuilles éparses et branches enchevêtrées pour s’allonger et rêvasser à une aventure joyeuse. Or, ce que le petit naïf ne savait pas c’est que ces bois étaient ensorcelés et celui qui y pénétrait ne pouvait plus s’extraire de leur magie. 

    Et notre pauvre ami, n’a jamais vu autant de fleurs animées. Il se mit alors à gambader à travers toute la forêt, touchant chaque branche nouvelle, s’excitant devant chaque naissance aux fonds des nids, imitant les croissement des grenouilles au bord des étangs. Emporté par son exaltation l’enfant roi ne se rendit pas compte qu’il était entraîner au plus profond de la forêt, jusqu'à ce que épuisé il s’effondra sur une herbe satinée. Il ferma les paupières alourdies par un sommeil insistant en aspirant fortement les odeurs suaves qui lui chatouillaient les narines. Quand il rouvrit les yeux, une merlette enrayait le ciel de ses ailes larges et bleutées par les rayons solaires. Il s’assit sur l’herbe fraîche, enleva ses chaussures, palpa la terre de ses mains,  puis se mit à dessiner dans les airs, de délicates, de souples et frénétique silhouettes filiformes d’arbres chargés de secret ou d’oiseaux saisis dans le temps. Comme si sur une toile, une aquarelle prenait naissance, prenait forme.

    L’enfant-roi était tellement émerveillé par ce qu’il voyait, tellement heureux de courir derrière les papillons, qu’il ne s’était pas rendu compte qu’il était arrivé dans l’effroyable clairière Argentine. Depuis, l’instant où il avait foulé de ces pieds l’endroit magique, tout se figea dans ses yeux.

    Il oublia peu à peu son existence passée, il oublia sa mère malade, son royaume abandonné. Ses souvenirs s’effaçaient au grand bonheur de la dame argentée, la fée des bois qui voulait le garder près d’elle, qui voulait lui volait sa vie. La clairière était maudite disait-on personne n’en revenait, les êtres étaient transformés en arbres, ceux qui plaisaient à la fée devenaient fleurs immortelles.

   Le soir venu, l’enfant-roi allait passer sa première nuit, loin de sa maison et de sa tendre mère souffrante. Il s’endormit au pied d’un arbre fruité, et déjà dans son sommeil courraient comme des insectes rampants, des images, des voix et des souvenirs. Il tenta de rêver de sa tendre maman mais n’arrivait pas à se rappeler son visage, ni ses yeux, ni sa bouche.  Il ne rappelait plus rien, rien n’existait pour lui que la verdure qui l’entourait, que l’eau cristalline où il se baignait, que les oiseaux qui chantaient, que la paix qui régnait. Les jours passaient, le ciel du royaume s’assombrissait, la mère du roi mourrait et personne n’y pouvait rien, sauf prier, le deuil s’installait déjà. Or, tout au fond de la clairière, l’enfant roi, inconscient comme tous les enfants de son âge, s’amusait follement ; il jouait avec les gazelles, croassaient avec les grenouilles, volait avec les rouges-gorges, taquinait les chenilles et s’oubliait, il oubliait sa pauvre mère.

   L’enfant roi s’endormait en riant et se réveillait avec une nouvelle aube, avec un nouveau visage, l’enfant roi ne vieillissait plus, il avait déjà la senteur d’une fleur et la peau écarlate d’une rose. La fée argentée jubilait de sa belle prise, l’enfant serait bientôt à elle, rien qu’à elle et il deviendrait une autre fleur qui ornerait son jardin. Chaque jour, elle le poussait à découvrir un nouvel endroit, toujours plus beau, chaque jour, le sol où il marchait se transformait, devenait tapis de feuillages, parfois, mauves, parfois jaunes, parfois rouges.

    La fée argentine avait pris soin d’éloigner l’enfant roi des eaux de la clairière. Il ne devait en aucun cas voir son visage dans la mare aux nénuphars jusqu'à sa complète transformation ! Avait-elle recommandé aux gardiens des lieux. Un an. Deux ans. Trois ans, des années sont passées dans la clairière argentine. L’enfant roi n’était plus l’enfant roi et le royaume sans héritier était perdu. Déjà, quelques rois cupides des royaumes jouxtant le sien se préparaient à le conquérir. « Que  faire dirent les gentils gens du royaume ? »

    La solution fut apporté par l’apprenti sorcier, né le même jour et la même heure que l’enfant roi, lui seul ressentait les émotions et les troubles de son maître, lui seul, savait que l’enfant roi était toujours vivant, qu’il était en symbiose avec l’univers.

    Il ressentait son renoncement et le danger qui le guettait. « Il faut lui envoyer un émissaire, en urgence » Or la clairière maudite faisait peur et les gens savaient que la fée argentée était cruelle, elle les transformerait en arbres crochus. L’apprenti sorcier voulait sauver son ami, il accepta sa mission en chargeant sa besace de plusieurs potions magiques, celles qui le transformeraient en aigle majestueux, capable de voler vite et en  papillon pour pénétrer dans la clairière ou encore en lapin pour passer entre les feuillages et les rameaux.

   Au sixième jour de son voyage, il arriva à la lisière de la clairière, un triangle immense de verdure, entouré d’arbres centenaires qui formaient avec leurs branchages entortillés une muraille infranchissable. Il se posa sur une branche et son œil perçant de rapace sonda les alentours, cherchant son ami, l’enfant roi. Il vit un étrange être allongé sur l’herbe entrain de somnoler. Est-ce un être humain ou une fleur ? Le corps est celui d’un adolescent ! Se dit-il mais toutes ces pétales, ces bourgeons qui couvrent sa peau. L’apprenti sorcier s’approcha de plus près en se posant sur un arbuste pour contempler à son aise, cet être bizarre.

    L’apprenti sorcier connaissait la légende d’argentine (la clairière maudite) où les hommes sont transformés en plantes. « C’est donc vrai ! » Se dit-il.

     Emerveillé par ce qu’il voyait,  il ne vit pas le temps passé. Déjà l’horizon se teintait d’un rouge orangé, le soleil terminait sa course derrière les montagnes grisâtres qui s’étendaient à perte de vue

   L’apprenti sorcier descendit sur terre, et dès que ses pieds touchèrent le sol, il se transforma à nouveau pour reprendre sa forme humaine. Il se cacha sous un fourré et décida d’y passer la nuit mais préféra pour plus de précaution, car la sorcellerie d’Argentine ne s’opérait pas sur des animaux de se transformer en lapin.

   Aussitôt pensé, aussitôt fait et un adorable lapin tout blanc s’approcha de l’enfant roi. Celui-ci se mit à le caresser, à le cajoler, heureux de se trouver un nouvel ami. Soudain, une tristesse subite voila les yeux du lapin et une larme finit sa trajectoire sur le sceau royale, une bague de saphir que l’apprenti sorcier avait reconnu, celle que portait l’enfant roi à son doigt quand il était parti à la recherche du remède pour sa mère. Dieu tout puissant, cet être étrange est l’enfant roi se dit l’apprenti sorcier.

   Transformé en lapin, l’apprenti sorcier comprenait le langage des animaux de la clairière. C’est ainsi qu’il surprit  les chouettes bavardes qui racontaient que bientôt la transformation de l’enfant roi allait être complète, il deviendra une fleur immortelle.

   Elles ricanaient entre elles, se moquant de l’enfant roi, de sa naïveté. Il suffisait pourtant disaient-elles, de se regarder dans la mare aux nénuphars pour que le charme soit rompu. Or, cette mare lui est interdite. Il y a les horribles gardiennes avec leurs voix stridentes pour l’empêcher de s’approche effrayé par ce qu’il venait d’entendre, le lapin voulait en savoir plus et demanda d’un air détaché et « quel est le secret de la mare aux nénuphars ? »

- s’il regarde au fond de la mare, il va voir apercevoir ses souvenirs et sa mémoire lui reviendra rompant ainsi le maléfice que la fée argentine lui a jet

  L’apprenti sorcier comprit donc que la mémoire est le seul moyen de sauver son ami et maître. Il se transforma alors en puce et s’introduit dans l’oreille de l’enfant roi. La nuit durant, il se mit à lui raconter des tas de choses, sur sa naissance, sur son enfance, sur ses parents, sur ses amis, et sur son royaume…. Toute la nuit, il s’attela à réintroduire petit à petit dans sa mémoire tous les souvenirs perdus.

   Le lendemain matin, poussé comme par une force inexplicable l’enfant-roi alla s’asseoir sur le bord de la mare. L’apprenti sorcier avait pris soin durant le sommeil de son ami d’introduire dans ses oreille du coton pour l’empêcher d’entendre la voix des gardiennes et tromper leur vigilance.  Attiré par les eaux dormantes, l’enfant roi se pencha sur la mare claire comme un miroir et vit, d’abord un reflet flou puis plus distinct, un visage dansant se dessina, un  visage étrange, c’était son visage avec une couleur étrange, rosâtre et des pétales vertes et rondes poussaient sur sa tête.

        « C’est ton visage que tu vois ! Lui disait une voix venant du fond de l’étang, c’est ton visage, puis regarde bien, ici enfant roi, regarde le visage de ta mère paisible, endormie, souffrante de ton absence, luttant impuissante contre la maladie,  t’attendant enfant roi, elle t’attend, souviens toi de ces jours heureux que tu passais auprès d’elle, souviens toi »

   Il se vit, alors, enfant heureux, courant dans les champs en compagnie d’une douce femme au teint laiteux. Puis d’un coup le ciel s’obscurcit, des orages volaient bas, s’éclatait la colère de la fée argentée en une pluie houleuse, se déchaînaient les vents, les rafales cinglaient les branches d’arbres qui voltigeaient dans les airs, les dépouillant de leurs feuilles, les animaux se terraient, les crapauds affolés fuyaient sous les eaux.

   La nature se déchaînait, puis deux arbres s’ouvrirent en deux, frappés par la foudre et au fond d’une crevasse, se reposait une magnifique fleur, d’une couleur unique, indescriptible, tantôt translucide, tantôt cristalline. L’enfant roi la vit et a fur et à mesure qu’il s’approchait d’elle, son corps se débarrassait de ses  bourgeons, de ses pétales, de ses branchages.

   L’enfant roi redevenait un être humain, un enfant fragile et rêveur. Il cueillit la fleur, l’enveloppa délicatement dans un mouchoir de soie et sur le dos de son ami l’apprenti sorcier devenu une oie, il s’envola chez lui où sa mère l’attendait où son royaume l’attendait.