La complainte d'Irwam

Anna Combelles

Un extrait du prologue ... 

« Aux confins des temps, alors que les hommes commençaient à poserleurs émotions et leur volonté sur des parchemins ou des tablettesencore naïves, ils libérèrent la plus puissante magie, celle de lacréation.— C'est pour cela que, partout, des monstres sont apparus sur Terre ?Aewle acquiesça. Elle resserra la lourde couverture de laine sur lecorps fluet de la fillette avant de poursuivre son histoire. L'enfant laconnaissait par coeur, mais ne se lassait pas de l'entendre.— La crédulité des humains qui recopièrent de fameuses histoires,jusque-là narrées seulement, avec moult pouvoirs destructeursaccordés aux créatures malignes qui les rendaient quasi invinciblespuisque devenant incroyablement dangereuses, engendra les premiersdégâts. Les scripts annotaient les histoires et dans les marais, lesgrottes, les gouffres sombres, mais aussi au coeur des arbres des forêtsperdues, les coins reculés et inexplorés, des êtres naissaient,grandissaient avant d’envahir le monde humain et de venir s’yabreuver. Or, chaque monstre démontrant sa force, sa puissance,générait une nouvelle chronique que les hommes s’empressaient derelater…L'enfant frissonna. Elle chercha un peu de chaleur près du feu, quibrûlait sagement sous la voûte arrondie de la grotte. La fuméemontait, aspirée par une crevasse dans la roche. Sur les murs, desdessins racontaient l'histoire des hommes, faisant écho aux mots de laconteuse.— Les murs des temples Inca ou Maya, les tombeaux des grands roisde Chine et d‘ailleurs, les parchemins en Égypte, les manuscrits auxenluminures faramineuses que les marchands s’offraient pour montrerleurs richesses, regorgeaient de tous les contes dont les hommesgardaient souvenir. Et dès que l’un d’entre eux, relisant ces mots ainsidonnés à l’histoire, croyait en ces êtres maléfiques, en rêvait et enespérait la véracité, les lieux de création bouillonnaient et répondaientd’une nouvelle entité.Première partieConscientes du phénomène mais ne parvenant pas à l’éradiquer, desgénérations de grands Sorciers oeuvrèrent pour enfermer la puissantemagie des mots. Ils parvinrent à empêcher des monstressanguinaires…— Les démons ? la coupa l'enfant.— Oui, et les ogres, loups-garous, ou autres succubes…— De nuire aux hommes, récita Irwam, faisant sourire sa mère.— De nuire aux hommes, reprit-elle d'une voix douce mais imposantune écoute silencieuse, en les ramenant au stade de légendesracontées, d’histoires désuètes légèrement impressionnantes, que l’onoubliait dès les écrits refermés. Ils s’obstinèrent à détruire, tant quepossible, les milliers d’ouvrages existants, massacrant lessoubassements merveilleux, brûlant les écrits péremptoires, maistoujours les hommes recommençaient, reproduisaient… réécrivaient.— Alors, six d’entre eux s’unirent pour créer une protection magique,continua Nawej en venant s'asseoir près d'elles.Irwam lui prit la main et la glissa sous sa tête. Le jeune Àlwar la laissaagir avant de plonger ses grands yeux noirs au fond de ceux de leurmère. Elle accepta cette demande silencieuse, même si cette partie lalaissait toujours triste.

« Aux confins des temps, alors que les hommes commençaient à poserleurs émotions et leur volonté sur des parchemins ou des tablettes encore naïves, ils libérèrent la plus puissante magie, celle de la création.

— C'est pour cela que, partout, des monstres sont apparus sur Terre ?

Aewle acquiesça. Elle resserra la lourde couverture de laine sur le corps fluet de la fillette avant de poursuivre son histoire. L'enfant la connaissait par coeur, mais ne se lassait pas de l'entendre.

— La crédulité des humains qui recopièrent de fameuses histoires, jusque-là narrées seulement, avec moult pouvoirs destructeurs accordés aux créatures malignes qui les rendaient quasi invincibles puisque devenant incroyablement dangereuses, engendra les premiers dégâts. Les scripts annotaient les histoires et dans les marais, les grottes, les gouffres sombres, mais aussi au coeur des arbres des forêts perdues, les coins reculés et inexplorés, des êtres naissaient, grandissaient avant d’envahir le monde humain et de venir s’yabreuver. Or, chaque monstre démontrant sa force, sa puissance, générait une nouvelle chronique que les hommes s’empressaient de relater…

L'enfant frissonna. Elle chercha un peu de chaleur près du feu, qui brûlait sagement sous la voûte arrondie de la grotte. La fumée montait, aspirée par une crevasse dans la roche. Sur les murs, des dessins racontaient l'histoire des hommes, faisant écho aux mots de la conteuse.

— Les murs des temples Inca ou Maya, les tombeaux des grands rois de Chine et d‘ailleurs, les parchemins en Égypte, les manuscrits aux enluminures faramineuses que les marchands s’offraient pour montrer leurs richesses, regorgeaient de tous les contes dont les hommes gardaient souvenir. Et dès que l’un d’entre eux, relisant ces mots ainsi donnés à l’histoire, croyait en ces êtres maléfiques, en rêvait et en espérait la véracité, les lieux de création bouillonnaient et répondaient d’une nouvelle entité. Conscientes du phénomène mais ne parvenant pas à l’éradiquer, des générations de grands Sorciers oeuvrèrent pour enfermer la puissante magie des mots. Ils parvinrent à empêcher des monstres sanguinaires…

— Les démons ? la coupa l'enfant.

— Oui, et les ogres, loups-garous, ou autres succubes…

— De nuire aux hommes, récita Irwam, faisant sourire sa mère.

— De nuire aux hommes, reprit-elle d'une voix douce mais imposant une écoute silencieuse, en les ramenant au stade de légendes racontées, d’histoires désuètes légèrement impressionnantes, que l’on oubliait dès les écrits refermés. Ils s’obstinèrent à détruire, tant que possible, les milliers d’ouvrages existants, massacrant les soubassements merveilleux, brûlant les écrits péremptoires, mais toujours les hommes recommençaient, reproduisaient… réécrivaient.

— Alors, six d’entre eux s’unirent pour créer une protection magique, continua Nawej en venant s'asseoir près d'elles.

Irwam lui prit la main et la glissa sous sa tête. Le jeune Àlwar la laissa agir avant de plonger ses grands yeux noirs au fond de ceux de leur mère. Elle accepta cette demande silencieuse, même si cette partie la laissait toujours triste.

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