La construction atypique d'une vie

coco-nbks

Un an vient de s'écouler depuis la dernière fois que j'ai posé quelques mots sur une page blanche. Le temps passe à une de ces vitesse, cela fait froid dans le dos.


Une période étrange, la vie en confinement après la propagation d'un virus, une atmosphère pesante dehors nous fait rester chez nous. La recherche d'activité pour fuir l'ennui devient de plus en plus compliquée à mesure que le temps passe. Après un mois de confinement et l'annonce d'un mois de plus, j'en viens à déterrer les trésors du passé.


Ouvrir à nouveau ce dossier, revoir ce titre, parcourir ces écrits, ces dates clés. Au bout de quelques lignes je comprends que je n'ai pas ouvert qu'un dossier, mais un passé encore bien ancré dans ma mémoire. Une ligne, un paragraphe, un texte, puis deux, trois, quarte, 25ème, 30ème page… plus rien ne peux m'arrêter. Je parcours avec effroi ces mots -ou devrais je écrire- « ces maux », collés les uns aux autres, ne faisant alors plus qu'un, formant un tout, un concentré de sentiments qui ne demandent qu'à s'exprimer.


Les paragraphes sont mis en page, mode « ajuster », ce n'est que sur papier car en réalité nous en sommes loin. Ressentis et pensées se mêlent aux émotions difficilement gérées et aux idées arrivées en vrac sur ces pages blanches qui noircissent à mesure que mes affects prennent forme et s'expriment.


La relecture de ces écrits me plonge dans des souvenirs douloureux mais indispensables à ma vie actuelle. Aux premiers abords mes émotions semblent positives mais plus les lignes défilent et plus le sentiment d'abandon me gagne. Je n'ai pas laissé qu'un passé derrière moi, mais une personne pleine et entière. Entièrement perdue, avide de sensations fortes, d'émotions délirantes, d'attachements pathologiques, de projections et de transferts. En somme, une vie tumultueuse, en proie à de nombreux doutes, lourdes peines et déceptions.


Ce sentiment d'abandon peut paraître étrange et relever de la folie, cependant en acceptant le projet de soin dont j'ai bénéficié, en acceptant d'exprimer mes maux ailleurs que sur papier, en le manifestant à des professionnels, apte à les recevoir et à les comprendre, j'ai alors pu petit à petit évoluer et changer. Apprendre à vivre autrement n'a pas été une mince affaire. Après bientôt six années, j'y suis parvenue, les suivis ne sont plus indispensables même si la gestion des émotions reste un terrain fragile. Une vie meilleure, plus et saine et plus stable s'est construite autour de moi, y prendre ses marques fut difficile mais toucher le bonheur et la sérénité du bout des doigts m'a encouragé à continuer. Ma famille et certaines rencontres m'ont également bien aidé à me reconstruire. Il suffit parfois d'une seule personne, une seule rencontre pour nous réveiller.


Cependant ce passé reste et restera ancré en moi, gravé au marqueur indélébile. J'ai vécu dans ce passé et une partie de moi y demeure encore. Cette partie explique ce sentiment d'abandon, une sensation de vide réside en moi depuis plusieurs années, comme si j'avais dû tourner le dos à cette partie restée dans le passé, car trop dangereuse pour pouvoir continuer à vivre.

 

Culpabilité débarque à vive allure sans crier gare, car ressentir se vide ne signifie pas que je regrette et désir ce passé. Non. Je ne le préfère pas à ma vie actuelle, je le pense simplement différent. Il m'est encore difficile de réaliser qu'un tel chemin ai pu être fait, mais lorsque j'y pense, j'en suis fière. Je pense à ces années passées, comme un sentiment d'inachevé et pourtant tout cela est bien terminé. Pourquoi s'en soucier ? Pourquoi ressasser ? Je n'en ai aucune idée.

 

Je pense que cela prendra un certain temps pour accepter d'avoir été dans des tourbillons de pensées bien obscures et d'en être sorti un beau jour. Je pense également qu'il me faudra du temps pour comprendre qu'aucune partie de moi n'est restée dans le passé mais qu'au contraire, celle-ci réside et résidera en moi in perpetuum, et qu'elle est en grande partie responsable et a grandement contribué à ce que je devienne celle que je suis devenue aujourd'hui. Cette envie d'aller de l'avant et la soif de projet d'avenir ne serait sans doute pas si importantes et les efforts pour y parvenir si forts sans cette partie de moi meurtrie par un passé dont on pourrait avoir l'envie de taire l'existence.

 

Alors, mon passé, moi je lui dit merci.

Signaler ce texte