La Crue

peter-oroy

Janvier 1955. La Seine alimentée par l'Yonne et l'Oise prend possession des rues de la petite ville d'Andrésy. Mes yeux d'enfant d'alors me restituent les images toujours présentes en ma mémoire.

La Crue

 

Comme en transhumance née entre Thiérache et verdoyants plateaux de Fagnes, elle baigne toute la Picardie, rivalise avec son ami le Canal de la Sambre peu après Guise, se faufile en Île de France par Compiègne et Creil et vient se jeter dans les bras de sa grande sœur devant le Pointil, à son confluent avec la Seine, en désunissant la plaine entre Maurecourt, Andrésy et Conflans Ste Honorine.

Paisible, elle coule en douceur sillonnée par des centaines de péniches remontant vers le Nord ou se laissant glisser depuis la Belgique avant de prendre le grand virage sur Paris où la Seine les conduira.

Les jours de grand flux on devine le mascaret que dessine le flot boueux en pénétrant perpendiculairement dans les eaux du grand fleuve Bourguignon de naissance.

En été, de grands événements sont dédiés à ces deux pourvoyeurs de commerce, témoins de la grande et belle tradition de la batellerie.

Plus en aval, lorsque les berges de la Seine se resserrent vers le vieil Andrésy, les saules opulents se mirent dans les flots paresseux. Les splendides mais discrètes demeures sises au bord de l'eau se cachent au fond de parcs boisés où les oiseaux donnent l'aubade. Les parfums de seringats se mêlent aux effluves de menthe sauvage croissant dans l'herbe aux pieds des grands arbres à la ramure exubérante que le soleil traverse à peine de ses rayons.

Et quand vient le soir, aux dernières lueurs du soleil couchant, l'Oise s'assoupit et tisse sa robe d'or. Elle lisse le miroir de sa surface avant de s'endormir dans une nuit parcourue de myriade de paillettes de couleurs.

         Cet hiver 1955 entamait son déclin. Une douceur inhabituelle avait, pour quelques jours, succédé aux frimas de saison. Les berges mortes, hébétées par une morne léthargie, attendaient patiemment l'arrivée du printemps. Les arbres nus de l'ancien chemin de halage frissonnaient encore du froid qui les enveloppait depuis de longs mois. 

         Un matin triste et gris se levait sur des eaux boueuses charriant des détritus de toutes sortes. De grands bouts de bois arrachés en amont, flottaient entre deux  eaux, sombres comme des noyés ballottés dans les flots tumultueux. Les vagues déferlant contre les rives vulnérables faisaient s'entrechoquer les coques des bateaux amarrés à couple1. La Seine était grise. L'Oise virait au brun en la pénétrant encore plus profondément qu'à l'ordinaire.

         Lorsque les remorqueurs, d'habitude discrets, se montraient insolents et toisaient les passants en montrant le flanc de leur coque noire qui bouchait l'horizon, on savait que l'inondation était imminente.

         Dans l'après-midi on apprit que l'Yonne était sortie de son lit. La diablesse faisait encore parler d'elle ! Cet affluent Morvandiau de la Seine, capricieux et violent, était souvent source de malheur pour les riverains.

         Arrivées dans le Bassin Parisien toutes ces eaux se réunissaient sans pouvoir s'échapper. Les biefs n'étaient pas encore bien répartis et rien n'arrêtait la force des fleuves et rivières en furie qui s'alimentaient l'un l'autre.

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         La nuit tomba après un dernier regard aux berges qui sombraient inexorablement sous les eaux marneuses et bouillonnantes. Ce n'était pourtant pas la première fois mais on s'attendait au pire. On n'osait à peine prononcer le mot. A Paris le zouave du Pont de l'Alma servait de baromètre et chaque matin la presse se faisait l'écho de la montée des eaux. Il y eut les pieds, les mollets, les genoux. Telle une gangrène pourrissant les chairs, la montée des eaux faisait disparaître le corps de l'illustre soldat.

         La crue était déjà bien amorcée. Le mot était dit : La crue. Mot plein de résonances sombres et synonyme de luttes inégales contre l'élément liquide. Les maisons du bord de l'eau seront les premières touchées. Ses habitants ne connaîtront plus de répit avant la décrue. Les caves, les garages, les jardins, les rez-de-chaussée seront la proie des eaux. Où s'arrêtera l'inondation ? Personne ne le savait. Les meilleurs pronostics faisaient encore état de la montée de l'eau, on ne parlait pas de stabilisation et encore moins de décrue. Allait-on dépasser 1910 ? On devra s'organiser : changer ses itinéraires, ses déplacements, chambouler ses habitudes, prévoir, être vigilant, encore plus subtil que le serpent liquide, presque invisible rampant sur les quais, gravissant subrepticement les talus, montant sur les trottoirs et bouchant l'horizon des rues finissant sur une étendue d'eau sinistre et sans frontière. A regarder le fleuve ainsi gonflé et mouvant, on étouffait, on se noyait déjà, tant il était large et ondulait en cachant les pires pièges mortels. Tout était humide et froid.

         Tapie dans l'ombre du fond des jardins résignés dans le silence en attendant le prédateur qui les recouvrirait de néant froid et nauséabond, l'eau aux yeux reflets anthracite guettait sa proie.

         Les bateaux ne circulaient plus. Ils attendaient ainsi, serrés les uns contre les autres, en craignant de rompre les amarres à tout moment.

         Les pompiers mobilisés préparaient les tréteaux et les planches destinés à permettre de circuler malgré tout à pied au-dessus des flots, après l'invasion des trottoirs et des routes. L'avenue de Fin d'Oise était devenue un étang qui allait se perdre loin dans la plaine d'Achères. L'île avait rapetissé et la guinguette prenait l'eau. Les premiers arbres de l'île Nancy perdaient racines et glissaient dans le tumulte du courant. On avait ouvert les écluses d'Orgeval. Un tout petit remorqueur, moteur poussé à plein régime, voulant s'acquitter de quelque mission,  bravant la puissance de l'eau, se risquait à grand peine à remonter le courant en direction de Conflans. En une fraction de seconde il se retrouva à la dérive, à toute allure, à contre courant. Après une manœuvre désespérée il parvint à regagner la rive droite vers la place du marché et à s'y amarrer. Ses occupants en étaient quittes pour la peur. Ils ne tentèrent plus le diable et débarquèrent après avoir sécurisé les amarres du frêle esquif.

         Il fallait user de toutes les ruses pour se rendre à la Grand messe le dimanche matin.

Protégée par son parvis rehaussé de larges marches la majestueuse église prenait des airs de Mont-Saint-Michel. 

         Dans l'après-midi il y avait malgré tout séance au cinéma Family. On venait pour la part de rêve qu'offrait cette accueillante petite salle, par désœuvrement ou pour oublier cette réalité du dehors ; ne plus voir ce monstre tentaculaire qui nous étouffe et réduit notre espace.

Peu avant la fin du film les lumières se rallumèrent vivement. On commençait à faire évacuer la salle en s'excusant. Il fallait prêter l'oreille, alors le gargouillis de l'eau cachée dans un coin du mur sous la scène devenait audible. Le clapotis s'amplifiait au fond du bâtiment construit à la manière d'un amphithéâtre.

         — La rue Désavis est sous l'eau ! informa quelqu'un. Les Guêpes1 ne fonctionnent plus.

         — La Gadoue2 s'est transformée en lac, ajouta une femme venue rechercher ses enfants à la sortie de la représentation.

         On entendait quelques pompes s'essoufflant à refouler l'eau vers la Seine qui avec constance repoussait immédiatement ce trop plein vers les terres, un peu plus en aval, un peu plus traîtreusement.

         Même la sirène des pompiers restait muette et avait capitulé, résignée devant l'évidence de la montée des eaux. Elle n'annoncerait de toute façon rien de plus. La crue avait une fois de plus gagné la bataille et la seule issue allait être l'évacuation comme en 14 et comme en 40, maudissaient quelques anciens.

         Plus on s'approchait des berges, plus le spectacle était désolant. Les bouches d'égouts vomissaient des torrents d'eau nauséabonde en émettant un affreux borborygme.

         On regagnait alors son domicile dans le froid humide en tentant de faire face.

         Il subsistait pourtant au bord de la Seine, comme un îlot,  une rue où quelques maisons résistaient à la crue.

         Au bout de la rue du Maréchal Gallieni il y avait un îlot d'épargnés. Les bâtisses construites sur l'ancienne montée du pont-passerelle qui, avant 1914 réunissait les berges d'Andrésy et celles de Conflans, restaient protégées par ces quelques mètres qui faisaient toute la différence. Construites selon la mémoire des anciens elles se préservaient de l'eau par un rez-de-chaussée surélevé par six ou sept marches fermées par une petite cour aux grilles scellées dans des pilastres de bonnes briques. Etroites et hautes elles étaient faites pour résister aux inondations. De briques et de pierres meulières, elles avaient survécu aux guerres, aux bombardements et à 19101. Elles bravaient les flots, fières et altières. Elles représentaient pour les habitants du quartier la limite fatidique, l'ultime repère. Si l'eau parvenait à prendre possession de la rue, alors il y aurait danger.

         Pour l'heure on avait remonté des caves tout ce qui était périssable ou utile. Pommes de terre, bois, charbon de chauffage, vélo, Vélosolex, lessiveuses et vieux tapis avaient pris place sous des bâches dans les petites cours surélevées devant les maisons. Certaines ressemblaient à un souk2. Un amoncellement de choses hétéroclites s'accumulait pêle-mêle et bouchait presque le passage vers les portes d'entrée. Aucune de ces habitations n'était pourvue de chauffage central. Donc le bon vieux poêle à feu continu de la cuisine chauffera toute la maison, au plus grand plaisir du chat réfugié derrière la cuisinière ronflante. Au moins le froid ne fera pas trop souffrir. On était prêt.

         En face, le café Le Balto montait la garde au coin de la rue qui du côté amont de l'Oise plongeait les lourdes colonnades du nouveau pont dans l'eau noire. Passé la butte encore équipée de ses bornes à cônes tronqués reliés par de lourdes chaînes marquant l'ancien passage vers la passerelle, on replongeait dans la Seine omniprésente et menaçante.

         L'atelier de réparation des Guêpes3 avait cessé ses activités. On n'entendait plus la machine à vapeur réguler le temps comme un métronome géant. Les larges courroies de cuir n'entraînaient plus les poulies des tours et fraiseuses maintenant muettes. Le martèlement régulier de l'enclume à vapeur s'était éteint. Ce silence contraint était pesant. L'eau montait toujours. L'impuissance et l'inaction forcée érodaient le moral des hommes. La mesure était à son comble.

         Par des moyens dérisoires on luttait pour évacuer les caves, les sous-sol, les rez-de-chaussée, les cuisines, les salles à manger envahies par le froid et l'eau.

         Des bachots de bois que l'on menait à la godille circulaient dans les rues d'une Venise imposée. Les pompiers effectuaient des reconnaissances dans les rues sinistrées. Chacun aidait chacun, unis par cette solidarité digne et sincère des victimes. Les souvenirs de la guerre n'étaient pas effacés des mémoires. On retrouvait les gestes de solidarité chrétienne, ceux-là même que l'on a, volontairement ou pas, oubliés aujourd'hui. On prêtait, on donnait à plus pauvre parce que cette détermination à survivre et à créer un renouveau galvanisait les êtres. On avait trop souffert, trop pleuré, tant espéré. Il fallait lutter, ne pas céder. Le printemps reviendrait. L'eau ne peut pas rester là éternellement.

         Pourtant elle restait. Elle ne montait plus, mais elle restait. Les jardins noyés sombraient dans l'oubli. Seuls des arbres fantomatiques, glabres et nus émergeaient de la surface gelée des eaux stagnantes. Le froid avait réapparu et avait figé le miroir trouble de l'eau. Quand un pâle rayon de soleil se hasardait à éclairer l'étendue liquide, un reflet d'acier s'élevait alors de l'immensité plate et figée.

         Quelques enfants turbulents allaient braver l'interdit et, riant à gorge déployée, se lançaient sur la glace qui pouvait rompre à tout moment. Parfois, attirée par les cris et rires, une maman venait le feu aux joues et le regard sombre sermonner vertement toute cette marmaille bruyante et inconsciente. Alors, telle une volée de moineaux, les enfants s'éparpillaient en regagnant prestement la maison ou inventant un nouveau jeu tout aussi dangereux : celui de détacher un bachot de marinier de ses amarres et de parcourir ainsi quelques mètres entre péniches et remorqueurs à quai avant l'engueulade fatale qui voyait les garnements fuir de nouveau en riant. Alors les jeux devenaient plus secrets et tout aussi intrépides. A l'abri des hauts murs ceinturant les jardins noyés, des planches reliées entre elles par des cordes solides se transformaient en gondoles que l'on menait à l'aide d'une longue perche servant à faire grimper les haricots en été.

         Le chemin de l'école était devenu un terrain de jeu audacieux et insolite. La route du bord de l'eau impraticable obligeait les enfants à un long détour par les rues hautes. Mais pourquoi construisent-ils les écoles dans des endroits si préservés ?, se demandait-on alors. L'eau n'atteignait même pas la grille fermant la cour de l'école des garçons pourtant en contrebas de celle des filles. Le monument aux morts avait les pieds dans l'eau et le petit jardin était dévasté. Seule la stèle de marbre levait son doigt vers un ciel gris et lourd.

         Les nouvelles de Paris n'étaient pas bonnes. Le Zouave du Pont de l'Alma se noyait lentement. On assistait impuissant à sa longue agonie. Les amoureux du Vert-Galant avaient été chassés. La Seine scindait Paris en deux en déferlant entre la brèche de ses berges. Paris qui prenait ses dispositions pour parer au pire. La situation était très préoccupante. A l'époque il ne fallait pas trop compter sur l'aide des pouvoirs publics trop occupés à la reconstruction de la France.

         Lentement on s'installa dans la vie de sinistrés. Les nouvelles habitudes se prenaient au gré des besoins.

         Le camion des poubelles ne passait plus qu'une fois par semaine. Le laitier avait trouvé la parade : un camarade marinier au chômage forcé -on ne disait pas encore technique- l'aidait dans sa tournée. Le boucher et le poissonnier s'étaient entendus avec le boulanger qui possédait un vieux camion militaire de la libération, très haut sur pattes et assez puissant pour lutter contre le courant quelquefois violent. Du bout de la rue on entendait sa venue précédée par le long mugissement de la sirène du véhicule. Alors chacun se préparait et, au travers des grilles on troquait marchandises contre espèces sonnantes et trébuchantes. On échangeait alors quelques mots avec ce trait d'union entre les sinistrés. On prenait des nouvelles de parents ou d'amis. La vie se faisait en autarcie. On échangeait un seau de charbon contre des pommes de terre. Parfois les pompiers prêtaient main forte à tout ce petit monde d'artisans qui voulaient survivre et livrer leur marchandise malgré la crue.

Par chance le réseau électrique, encore aérien à l'époque, fonctionnait sans problèmes majeurs. Les chandelles et bougies restaient malgré tout à portée de main. Il fallait faire bouillir l'eau qui était régulièrement contrôlée. De temps en temps les pompiers effectuaient une distribution pour les plus démunis et les foyers sans eau. Le charbon était livré par bateau.

Toute une vie lacustre s'établissait et faisait front. Le pouvoir d'adaptation était grand. On sentait que la guerre avait laissé quelques réflexes de survie que chacun retrouvait. Pour certains bien sûr ces activités étaient liées au profit et à l'enrichissement. On ne pourra jamais éradiquer cette frange de la population vivant aux limites de la légalité : cancrelats ou morpions accrochés à la misère des autres pour en tirer bénéfice. Quelques noms de personnes influentes ou respectables circulaient. Ceux-là même qui quelques années auparavant s'adonnaient au marché noir. Las, on laissait faire. Qu'y pouvait-on d'ailleurs ? L'eau et la situation croupissaient dans une stagnation résignée et fataliste. Tous les matins on jaugeait la hauteur des flots. Le trait de peinture sur le pilastre d'une grille restait visible. L'eau avait cessé sa progression. 

         Un beau matin le soleil revint. Un soleil glacé, pâle, frileux et discret. Le trait de peinture était bien visible et la marque humide laissée par l'eau se situait cinq centimètres en dessous. On observait au loin puis plus près. On spéculait, donnait son pronostic, comptait les heures, se fixait une limite pour recontrôler le niveau. « Si, si !, il avait bougé. » Ce matin on ne voyait pas encore la bordure du trottoir. « Si ça tombe, demain la rue Désavis sera dégagée ! » s'exclama une voisine sans trop y croire.

         Alors on se remit à espérer. « Comment c'était avant ? »

Déjà on se posait des questions : « Que va-t-on trouver lorsque les eaux se seront retirées ? » On avait du mal à se réinventer le passé.

 

Et puis un jour, par petits bonds, tout à reculons, en catimini de petits clapotis, comme pour s'excuser, l'eau consentit graduellement à se retirer définitivement.

Ce fut d'abord un muret qui réapparut, là un escalier, ici un talus, trois marches au bas d'une cour, puis les trottoirs se dégagèrent petit à petit. La décrue était lente et laissait derrière elle une boue visqueuse et nauséabonde qu'il fallait retirer à la pelle puis laver au jet pour finir par chasser à la raclette de caoutchouc. Tous les détritus et objets divers charriés par les flots se retrouvaient en un lieu où ils n'auraient pas dû être. Quelques poissons pourrissaient au milieu des rues. De vieux meubles, des matelas, des journaux encore liés par une ficelle, trempés et détruits par l'eau se retrouvaient sur les bords de trottoirs et formaient des tas informes que le soleil revenu enrobait d'une croûte de boue puante. Des rats firent leur apparition ; de gros rats d'eau bruns à longue queue, surpris par la décrue soudaine.

Les services de la voirie et les pompiers se mirent immédiatement en action. On vit souvent La Rosalie1, les flancs remplis d'eau venir asperger routes et trottoirs, cours et caves, entresols et rez-de-chaussée. Le garde champêtre et les associations de chasseurs reprirent du service. On vit aussi certains nostalgiques ressortir leur Lebel2 ou bien le Luger 9 mm 3piqué à un officier de la Wehrmacht pendant la débâcle. On faisait des cartons sur les rongeurs indésirables.

Parfois un tableau insolite faisait sourire, comme cette vieille barque à demi éventrée cramponnée sur un banc de la promenade de l'avenue de Fin d'Oise, les grilles du parc d'une villa, bouchées par un treillage de branches entrelacées par le flux. Les pompes à bout de souffle vomissant par à coups le trop plein dans la Seine. Le petit remorqueur avait disparu, emporté par les flots ou déplacé par les mariniers. On nettoyait les rues et, les trottoirs retrouvaient leur asphalte par endroit bosselé et soulevé par la force de l'eau. Dans les jardins, le chaos régnait. Des branchages jonchaient le sol détrempé. Le chat se hasardait de nouveau dans son territoire et le marquait abondamment. L'énorme Dodge du boulanger continuait sa tournée, pour le plaisir. Les mariniers regagnaient un à un leur bord. Le halètement de la machine à vapeur de l'atelier de réparation des Guêpes retrouva son souffle puissant. L'enclume rythma à nouveau la journée que la sirène marquant la pose de midi coupait en deux.

A Paris le gouvernement se félicitait d'être arrivé à bout des événements. Les amoureux retrouvaient leur Vert-Galant et, sur les quais on s'embrassait au soleil revenu sous l'œil bienveillant du Zouave qui souriait à la Tour Eiffel. Les vedettes du Pont Neuf sillonnaient de nouveau la Seine et la visite agrémentée du commentaire d'actualité destiné aux touristes nouvellement arrivés, les emportait du Pont de Grenelle au Pont Sully. Un air d'accordéon s'échappait parfois de nulle part au passage d'une arche d'un pont. Les autobus Düsenberg aux fesses arrondies circulaient de nouveau sur le pavé. Le printemps accrochait ses premières feuilles aux branches des arbres des quais. Paris vivait, Paris riait. On était en 1955.

 

FIN

 

© by Olivier Blandenier. Mai 2004

 

        


1 à couple : Se dit de deux bateaux ou plus amarrés côte à côte à quai ou en navigation.

1 Les Guêpes : Société de remorqueurs.

2 La Gadoue : Terrain laissé vague après la guerre de 1940.

1 1910 : Grande crue mémorable de la Seine et de l'Oise.

2 souk : Marché arabe où l'on trouve de tout.

3 Les Guêpes : Ancienne société de touage. Atelier de radoub et réparation de bateaux.

1 Rosalie : Nom donné au camion Tonne-pompe des pompiers de la commune.

2 Lebel : Fusil de la guerre 14

3 Luger : Pistolet de l'armée allemande en 1940

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