la cuisine

waxette

Il n'y a plus beaucoup de lumière dans ses yeux.

Elle a peu dormi cette nuit, et, depuis que son frère est rentré, assise à la table de la cuisine, elle épluche obstinément les pommes de terres qu'elle désœuille mécaniquement. Tout à l'heure, elle battra les œufs ramassés ce matin dans la paille chaude du poulailler, et l'huile une fois crépitante, elle fera cuire un peu les pommes de terre avant de les mêler à l'omelette. Ses mains collent un peu du jus qu'elles laissent dans les paumes et sur les doigts.

Hier soir, lorsqu'il est parti, elle lui a souri dans le noir, lui envoyant un baiser léger, emprisonné entre ses doigts recourbés qu'elle n'a pas ouverts.

« - Celui là garde-le, je viendrais le chercher demain. »

Alors, elle l'a gardé.

Il est dans sa main, celle qui tient le couteau au manche de bois un peu blanchi par l'usure, et qui noirci au contact de la pelure tout juste rincée. Il est là,  un peu glissant, un peu pégueux de jus des pommes de terre, écrasé sur le manche effilé. Son frère est ressorti, elle l'entends couper du bois devant le cabanon où le père le range. La grosse scie tourne avec son bourdonnement habituel, et, à chaque fois qu'Alfred lui présente une bûche ou une branche, elle rugit et gémit, le fer luttant contre la résistance morte du bois qui se tranche dans un long cri strident.

Elle entends alors le bruit des morceaux de bois que son frère jette dans la brouette en fer, et qui s'assourdit au fur et à mesure que le tas grandit. Et lorsque le sifflement de rotation de la roue s'éteins, c'est la roue de la brouette qui perturbe son silence par son grincement cahotant. Lorsque le père rentrera, il saura déjà, sûrement. Il s'attardera un instant dans la cour, avec son fils, après avoir rentré la charrue à bras. Elle entendra peut-être tout juste le bruit leur phrases brèves. Le père n'est pas un bavard : il ne dira rien en entrant. Il s'installera juste à la table en marmonnant l'habituel bonjour, avec sans doute moins d'entrain cependant. Il sortira son canif de la poche et l'essuiera des deux revers sur la jambe de son pantalon, au niveau de la cuisse, dans un geste machinal et précis.

Il sera temps alors pour elle de servir le repas.

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