La cuisine au miel (8)

Mon père me mettait le couteau sous la gorge, il fallait que je réagisse, j'ai pleuré et pleuré puis j'ai pris des feuilles et j'ai tracé des ronds tout biscornus, des triangles et des carrés qui n'avaient de carré que le nom. Puis comme d'habitude j'ai écrit des mots à l'intérieur chômage, travail, inflation, usine. A ce dernier mot je me suis mise à trembler comme une feuille en plein hiver. Puis m'est venu le mot "caissière" qui me faisait horreur. Oui mais il fallait que je me décide! Sur ma feuille je n'ai pu m'empêcher de former des coeurs et d'écrire le prénom de mes tourments, Pierre. Il fallait que je le bannisse de ma vie, mais comment?, J'appellerai Julia demain, elle saurait trouver une solution. Quelqu'un soudain a frappé à ma porte, c'était ma grande soeur Amélie à qui je suis allée ouvrir en silence.

"ça va? m'a-t-elle chuchoté.

Que j'aime les chuchotements! Ils me rappellent ces soirées en été où l'on discutait dans le balcon pendant que mes parents étaient couché, tous ces mots prononcés pendant la sieste le dimanche. Mon père n'aimait pas que l'on crie. Moi j'étais  dans une situation où je devais aller crier ma détresse quelque part tout en haut d'une montagne. Je n'ai pas tout de suite répondu à ma soeur.

- Tu veux pas aller à l'ANPE demain m'a demandé ma soeur avec toute la bienveillance du monde, ou bien t'inscrire dans des agences intérim?

- Ouais je vais faire ça, mais c'est pas gagné, j'ai même pas mon bac.

- Tu trouveras quand même, t'en fais pas m'a rassurée Amélie.

Et puis c'est le moment de passer ton permis aussi.

- Quoi? Mais je n'aurais jamais le temps de tout faire, travailler et passer mon permis!

- Tu le passeras pendant que tu chercheras du travail, comment ils font les autres?

- Mais je travaille déjà!

- Bon, écoute fais au mieux. C'est fini de rêver au Prince charmant ma vieille. Pierre, il est à fond dans ses études, et si tu veux le savoir, les filles ça ne l'intéresse pas.

- Ah bon? Tu veux dire qu'il est... Enfin, tu comprends quoi...

- Je sais qu'il étudie et c'est tout!

Ma soeur commençait à s'impatienter.

- Bon allez, je te laisse.

- Ok, merci."