La dame en noir
Fabien Dumaitre
J'étais là, debout telle une statue de pierre, dans ce bois de pins terrifiant dont les cimes semblaient tutoyer le ciel. L'atmosphère enténébrée me donnait la chair de poule et j'aimais cela. Soudain, se dessina entre les troncs rugueux des arbres, la silhouette d'une femme au corps d'albâtre nuancé d'une chevelure noire longue et soyeuse. Je la suivais des yeux telle une extraterrestre, une entité à l'apparence humaine qui m'ensorcelait, moi, pauvre petit humain. Elle louvoya entre les pins pour s'arrêter à quelques mètres devant moi. Je tombai genoux à terre totalement envoûté. Son corps gracile inondait mon regard embué d'un bonheur malsain. Elle se rapprocha avec lenteur puis posa une main sur ma tête. Sa main glissa le long de mon visage pour aller caresser mon torse. Je ne pouvais bouger. J'étais comme pétrifié par une puissante magie noire. De ses ongles acérés elle me griffa la poitrine laissant quatre sillons noirâtres dans ma chair tendre. Je serrai les dents. Mon regard ne pouvait se détourner des yeux noirs enivrant de la jeune femme. Elle me poussa en arrière avec fermeté puis me chevaucha. Tous mes sens étaient en éveils. Elle empoigna l'objet de ses désirs et l'immisça en elle fiévreusement. Nous fîmes l'amour avec volupté, sensualité, allongés au milieu de ces tapis de feuilles et de mousse, herbes et fougères caressants nos corps offerts. Tout n'était que paradoxe, amour, haine, douceur, violence, bien et mal. L'ambiance était étrange. Une lumière mordorée emplissait l'espace. Je prenais plaisir à m'accoupler avec cette étrange et terrifiante créature. Sur l'écorce des arbres naissaient des veines noires symbole de la vie. Les draps verdoyants de la nature nous enveloppèrent de leurs feuillages souples et rugueux. Ses yeux me contemplaient avec une extase certaine. L'environnement tout entier était en symbiose avec nos corps. Les fougères vibraient au rythme de mes coups de rein. La canopée accompagnait, dans de grandes envolées lyriques impulsées par un vent violent, les cris de jouissance voluptueux de ma partenaire. Les arbres émettaient d'excitantes vibrations. J'étais bien et mal à la fois. Elle m'embrassait dans le creux de mon épaule comme pour m'arracher un morceau de chair. Mes doigts hésitants caressaient sa peau douce et légèrement humide. Je sentais son bas ventre tressaillir sous les assauts répétés de mes coups de reins. De sa tête, plongeant au-dessus de mes pectoraux, tombait une pluie de cheveux accompagnée de fines gouttelettes. J'attrapai ses hanches à pleines mains et suivis le mouvement frénétique d'un coït terriblement enivrant. Soudainement, ses cris de plaisir se transformèrent en un souffle rauque. Les muscles de ses jambes et de ses cuisses se bandèrent au maximum et elle accéléra le mouvement de va et vient, s'empalant plus profond à chaque instant sur mon sexe turgescent. Elle posa les paumes de ses mains sur mon torse et le lacéra de nouveau. Cela s'accompagna de hurlements inhumains s'extirpant de sa gorge serrée. J'étais terrorisé. Je sentais qu'il se passait quelque chose d'anormal. En fait, tout ce que je vivais depuis quelques minutes maintenant était totalement incroyable. Quand je pus enfin capter son regard, je distinguais deux taches noires en lieu et place des yeux tels des puits sans fonds. Ses lèvres se soulevèrent dévoilant des dents d'un blanc ivoirin et quatre canines longues et pointues. Elle plongea son visage démoniaque dans le creux de mon cou et mordit à pleines dents dans ma jugulaire. Aucune résistance de ma part, J'étais comme hypnotisé, dans un autre monde. Des bruits de sussions loin d'être si désagréables accompagnèrent l'absorption massive d'hémoglobine. Une fois terminé, elle s'affala sur moi et me glissa à l'oreille.
- « Nous pouvons vivre ensembles éternellement si tu le désires… »
J'étais torturé. Une simple action me séparait de l'immortalité. Mais le voulais-je vraiment. Sans même la connaître, je savais que je l'aimais plus que tout au monde. Seulement, elle restait un être maléfique et la vie qui s'offrait à moi si j'acceptais n'était pas celle que je voulais. Pourtant, qui refuserait la vie éternelle ? J'avais le choix, soit mourir et m'offrir le paradis comme on dit, où vivre et rejoindre l'enfer d'une vie éternelle et malsaine. La seule chose qui me fit prendre cette décision fut l'amour…l'amour de cette femme. Même si je ne la connaissais pas vraiment, elle m'avait ensorcelé de ses charmes vénéneux. Je restais convaincu qu'elle aussi me voulait pour compagnon. Elle errait depuis tant d'années seule dans ce monde effrayant, elle qui était si différente. Le vampirisme n'excluait pas l'amour ni l'amitié. Ces êtres, considérés comme des créatures de l'ombre, gardaient une part d'humanité. Même si elles commettaient des atrocités pour se nourrir, et survivre, elles restaient douées de sentiments. Je repensais à tous les livres, les séries, les films qui avaient forgé mon opinion sur la chose et je constatais que, non seulement les vampires existaient (et probablement d'autres créatures du bestiaire fantastique) mais qu'en plus, leurs huis et coutumes étaient exactement comme décrits dans les légendes.
La femme me dévisageait, ses yeux ayant retrouvés leur apparence originelle. J'avais pris ma décision et elle le comprit dans mon regard. Elle sourit puis s'ouvrit l'intérieur du poignet à l'aide d'un de ses longs et acérés ongles. Je bus le liquide pourpre du bout des lèvres. Le goût, étrange mais agréable, me monta à la tête. J'avais fait le grand saut vers l'inconnu, pour celle que j'aimais. Du bout de son index, elle dessina les contours de mon visage, glissa avec douceur le long mon arrête nasale puis termina sur mes lèvres entrouvertes. Elle prit la parole d'une voix douce :
- « Nous allons passer l'éternité ensembles mon tendre et cher amour. Je te cherchais depuis si longtemps…J'ai vu dans ton esprit que tu raffolais des femmes slave…et bien, sache que je suis Hongroise. Pour être plus précise, je suis née tout près des Carpates. Comme quoi, les légendes sont parfois vraies. »
Un peu étourdi par le début de ma mutation, je tentais de rassembler les questions qui se bousculaient dans ma tête et en posa une qui me semblait importante :
- « Tu…tu as quel âge ? »
Elle eut un sourire affable.
- « Je suis née en 1560, je te laisse faire le compte ! »
- « Tu es une grand-mère… » dis-je sur le ton de la plaisanterie.
Toujours aussi douce, elle rétorqua :
- « Tu en connais beaucoup des grand-mères avec un corps pareil ? »
Je souris et lui caressai le bas ventre. Un goût métallique dans la gorge me gênait énormément. Je déglutis péniblement. Ma pomme d'Adam se coinça l'espace de quelques secondes avant de reprendre sa position initiale. Je me passais la langue sur les lèvres avant de parler à nouveau :
- « Puis-je connaître le nom de ma promise ? »
- « Bien entendu. Je me nomme Elisabeth…Elisabeth Bathory...D'où je viens on m'appelle Ersébet. C'est mon prénom magyar. D'ailleurs, je préfèrerais que tu m'appelles Ersébet. Je suis très attachée à ce patronyme qui représente tant pour moi. »
- « Si nous avions pu avoir des enfants…J'aurais voulu un garçon… » dis-je légèrement nostalgique.
- « Ah ! C'est réglé alors ! Mon plus grand désir était d'avoir une grande famille, avec uniquement des filles…Elles sont si douces, attentionnée, délicates, sensuelles, délicieuses… »
- « Filles ou garçons, je n'aurais jamais imposé cette vie à un de mes enfants. »
- « C'est vrai, et puis, la question ne se pose même pas. Je te sens fébrile. Il te faut achever ta mutation. Je vais m'asseoir sur ce tronc de chêne séculaire et t'assister dans ta transformation. En fait, je vais surtout t'épauler psychologiquement car je ne peux rien faire d'autre. »
Les coins de ses lèvres charnues se soulevèrent dans un ersatz de sourire. Elle se leva et fit ce qu'elle avait dit, sous mon regard angoissé. Soudain, des douleurs atroces se réveillèrent en moi. Je me mis à hurler. Ersébet me regardait avec compassion. Plus que quelques minutes de douleurs, en espérant que ce ne soit pas des heures, puis une éternité à partager avec l'élue de mon cœur…Ersébet.