La DDE XII
Thomas Toledo
Sur le plateau télévisé, les négociations prenaient fin : des carcasses de tanks jonchaient le sol, des employés gisaient, criblés de boulettes de papier mâché; mais malgré cela, le médiateur s'était engouffré dans le bâtiment à la recherche de l'huclain.
Utilisant toujours ses arguments diplomatiques, tels que “allons, soyez sympa, montrez-toi” ou encore “je vous assure que personne ne vous fera aucun mal”, il avait néanmoins perdu toute crédibilité lorsque, l'huclain acceptant de se rendre, il avait tenté (toujours avec diplomatie), de l'écraser sous son pied. C'est donc en plein dans ce bâtiment, dans une atmosphère tendue, que nous retrouvons l'huclain.
L'huclain se trouve actuellement caché dans la boîte vocale du standard de l'accueil. Il prépare quelque chose, mais quoi donc ? Pendant ce temps, le médiateur se trouve un étage au-dessus, cherchant soigneusement la cachette de “cette espèce de truc d'huclain”, comme il aime à l'appeler. Quelques bureaux renversés, deux ordinateurs explosés et des dizaines de piles de dossiers foutus en l'air plus tard, le médiateur sent qu'il est temps d'exprimer son mécontentement, et ce par une technique qui lui permet d'intérioriser par l'extérieur tout son ressenti, et permet à l'auteur de faire une phrase de quatre lignes au moins, ce qui a le don d'énerver encore plus le médiateur - sauf qu'il ne va rien tenter contre l'auteur, sinon c'est décidé que le diplomate de mes deux sera habillé en robe verte à pois roses et même qu'on l'appellera Tatie Simone.
Le médiateur ferme donc ìes yeux. Il sent la colère affluer et refluer en lui. Puis il réouvre les yeux. C'est alors que le cri intérieur de trois heures de recherches parmi les feuilles, les notes de services, les écrans, les dossiers, bref; parmi un indescriptible foutoir, se fait entendre : ”AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!!!!!”.
À l'étage du dessous, forcément, l'huclain se marre comme un gogol dans son boitier téléphonique. Mais il ne rit pas seulement parce que le médiateur craque. Non, il rit au lait, et aussi parce qu'il songe à ce qu'il va faire. Pendant que l'autre cherchait au mauvais endroit, l'huclain avait trouvé un fil conducteur menant à un confrère sur une sortie de secours. Or, c'était exactement ce qu'il lui fallait. Il s'était arrangé avec l'huclain de la porte de secours : tout était en règle pour pouvoir emprunter la sortie. Mais avant cela, il avait eu une idée monumentalement indécente de cruauté envers les petits nerfs déjà tous fragiles du médiateur : il allait passer une annonce à l'accueil.
-Le petit médiateur est attendu à l'accueil, je répète : le petit médiateur est attendu à l'accueil, dit l'huclain en empruntant la voix d'une caissière d'Auchan.
Le concerné n'avait pas tardé : il était arrivé quelques secondes plus tard, trébuchant dans des dossiers et envoyant valdinguer les ordinateurs dans lesquels il s'était pris les pieds. Malheureusement pour lui, l'huclain avait déjà filé par la porte entrouverte de la sortie de secours, hilare.
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Bernard et Jacques ont enfin fini de réparer leur avion. Ils avaient remis en place la nuit - ce qui avait duré jusqu'au lever du jour - et étaient maintenant prêts à repartir : malheureusement pour eux, il leur était impossible de repasser par le champ de grues; d'une part parce que c'était interdit, et d'autre part parce que de l'autre côté, ils risquaient de retrouver l'employé de l'administration. Employé qui, de surcroît, pouvait tout aussi bien contourner le champ que le traverser - car, rappelons-le, l'Administration évolue perpendiculairement par rapport à la dimension de la DDE et la notre.
Il était donc important que nos deux amis daignent bouger leur arrière-train, autrement l'auteur s'en chargerait et les enverrait en plein sur le plateau d'une émission télé-réalité dont le thème serait “Quelle est la capacité du corps humain à respirer très fort de la moutarde par le nez ?”.
Ne tenant pas à le savoir, Bernard avait remballé ses clefs de douze et tout le reste de ses outils tandis que Jacques avait fourré toutes ses affaires dans son plot avant de vérifier une dernière fois l'écharpe pour le nez de l'avion - il ne s'agissait pas de s'enrouler l'écharpe autour des hélices.
Tout était en prêt, ils échappaient donc au pot de moutarde avant de se lancer vers l'inconnu.
-Bernard?
-Oui Jacques?
-Faites attention tout de même, il ne faudrait pas retomber sur une putain de dérivée pour se faire piétiner par les extremums.
Vous l'aurez remarqué, plus ça allait, plus l'ouvrier devenait poète. Mais à peine avait-il finit sa phrase qu'un bruit, vaguement semblable à un frémissement de moustaches, se fit percevoir.
Bernard eut soudain l'air très inquiet. Jacques, qui n'est pas homme à se laisser impressionner, lui demanda ce qui n'allait pas.
-Bernard ? Vous avez l'air encore plus anxieux que lorsque nous avions dépassé la borne…
-C'est normal… Ce frémissement de moustaches… Aucun humain n'est capable d'en faire un aussi… aussi… aussi… aussi…
-AUSSI QUOOOOOOOOOOOOOOIIII ?
Jacques vient de craquer : Bernard se fait un peu vieux, et le voilà qui se met à bugger. L'ouvrier ne réfléchit pas - un peu comme à son habitude, me direz-vous, mais passons -, l'ouvrier ne réfléchit donc pas : il n'y a pas trente-six solutions pour ce genre de cas. D'un bon coup sec, il lui remet les idées en place; mais il n'en reste pas moins inquiet : il ne sait toujours pas ce qu'était le bruit, et il faut vite trouver un spécialiste pour Bernard qui risque de rebugger d'un instant à l'autre.
-Vous êtes certain de pouvoir continuer à piloter?
-Puisque je vous le dis Jacques!
-Non mais je veux dire… Vous n'allez pas me faire le coup de la panne?
-Non, et maintenant soyez sympa, rembobinez.
-Pardon ?
-Je voulais dire “Surveillez l'horizon”, ma langue a fourché. Non très sérieusement, ce bruit de moustache était drôlement statistique… J'espère pouvoir trouver un endroit où s'arrêter pour vérifier ce que c'était et… Ho mon Dieu.
Bernard se retrouva, une fois de plus, fasciné par l'ouvrier.
À l'arrière de l'avion, ce dernier, devenu soudain très joueur, s'était approché discrètement de Bernard, le plot porté à sa bouche et quasiment collé à son oreille afin de “lui faire une blagounette”. Après un bon taquet, il s'était finalement rassi et avait surveillé l'horizon tandis que Bernard faisait attention de ne pas entrer en collision avec les lignes de niveaux, ces passages empruntés par divers animaux afin de voyager sur les différentes routes bornées.
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Le Conducteur, Basile et M. Répondeur semblaient voler sans but dans le désert. Du moins c'était ce que pensait l'huclain, qui l'avait déjà fait savoir au Conducteur et à Basile. Le premier lui avait alors expliqué que la seul façon qu'avait put avoir l'huclain du relai de s'échapper était, à son humble avis, de prendre une sortie de secours : autrement il y avait belle lurette qu'il serait revenu du relai par un quelconque moyen radiophonique. En effet, en prenant cette fameuse sortie, il atterrissait à la Croisée des Portes de Secours. Il leur était donc possible, par la suite, de se retrouver à une sortie de secours donnée.
Jusque là, tout allait bien, M. Répondeur comprenait parfaitement ce système (bien qu'il n'eut jemais l'occasion de l'utiliser); en revanche, ce qui le tracassait plus, c'était le fait que la sortie de secours en question était celle du désert. Au cas où celui-ci prendrait feu.
-Surtout, ne me dites pas qui a eu l'idée d'une telle chose, avait alors déclaré d'un ton des plus laconiques le petit bonhomme.
Bref, tous les trois volaient dans leur petit hélicoptère, quand soulain Basile aperçu, à quelques mètres devant eux, une sortie de secours. Cette dernière était placée juste avant un petit chemin qui menait à une sorte de hameau. Ils venaient d'arriver à la sortie du désert. Mais ce n'était pas ça qui était intéressant. Non, ce qui l'était, c'était le petit bonhomme qui se tordait de rire dans le dessins de la porte entrouverte. Il n'était d'ailleurs pas le seul : deux huclains de sortie de secours étaient avec lui.
Quand enfin ils arrivèrent devant la porte, celle-ci s'ouvrit (elle s'était fermée pour éviter le sable que les hélices leur balançaient à la figure) et en sorti l'huclain du relai. Les retrouvailles furent émouvantes : sautant dans les bras de son collègue, l'huclain exprima toute sa joie à Basile : ”Je l'ai eu Basile ! Hahaha, vous auriez vu sa tête après le placage que je lui ai fait !”.
-Hé bien je suis très heureux pour vous, on a eu une petite frayeur à vrai dire.
-Ho mais ne vous en faites pas, ces deux messieurs m'ont très gentiment aidé. D'ailleurs je vous les présente: voici John et Johny, qui se trouvent être cousins. En plus eux aussi font partie du CHL figurez-vous!
-Allons, moins fort voyons…
Heureusement, personne ne l'avait entendu. Le CHL était le Comité des Huclains Libres : c'était un mouvement consistant à supprimer une bonne fois pour toutes les conditions abusives dans lesquelles se retrouvaient certains huclains. Seulement le CHL n'était pas très bien vu par tout le monde, et il fallait se méfier des personnes à qui on le disait. Remerciant les deux huclains, la petite bande alla à la recherche d'un endroit tranquille afin de planifier le sauvetage de Jacques et Bernard. Derrière eux, soudain, des flammes jaillirent de la porte de secours des deux huclains. Aussitôt, ils la refèrmèrent tandis que l'un d'entre eux s'écriait :
-Courez, c'est sûrement le médiateur qui a retrouvé votre trace ! Nous allons tenter de garder la porte fermée, à moins que vous n'ayez quelque chose pour la sceller!
Le Conducteur, toujours prévoyant, avait en permanence un petit pot de blanc correcteur de la Laitière. Appliquant avec dextérité le produit sur le dessin de la porte, il n'en fut plus rien des flammes.
-Voilà, à la prochaine pluie, ça devrait disparaître.
L'ennui, c'est que pour avoir une quelconque prochaine pluie dans le désert, il aurait d'abord fallut qu'il y en a une première. Heureusement, cela devait être le jour du neurone chez le Conducteur, car il pensa tout de même à leur en dessiner une autre. Ils pouvaient maintenant partir en direction du hameau au loin, en même temps que John et Johny repartaient par la petite porte dessinée par le Conducteur.
À suivre point par point.