La demeure

patrizia

Il pleut dehors et dedans, la maison est une passoire ; je pensais pourtant avoir fait une bonne affaire ; nous étions installés depuis un mois seulement dans ce patelin paumé.
Mon mari et moi sommes respectivement peintre et écrivain, il fait des gribouillis abstraits qu’il vend une fortune et mes bouquins, sans être des best-sellers se vendent bien. Notre vie est somme toute agréable hormis cette mauvaise acquisition immobilière ; nos enfants sont des adolescents plutôt sympathiques et sans faire trop d’efforts, ils arrivent à se maintenir à un niveau scolaire correct. Ces quelques lignes pour planter le décor. Donc, à première vue, notre vie se déroulait sous de bons auspices jusqu’à ce jour fatidique...
C’est arrivé un matin très tôt dans notre existence. C’est incroyable comme quelques mots peuvent changer le cours des choses. Un simple papier blanc format A5 : ‘vous avez sept jours pour quitter les lieux’.
Nous nous sommes concertés en famille, sommes allés au commissariat le jour même. La journée s’est passée dans l’inquiétude.
‘vous avez six jours pour quitter les lieux’ fut la nouvelle missive dans la boîte aux lettres, nous sommes retournés au commissariat qui, après inspection auprès du service postal, n’a pas eu d’informations. Effervescence dans nos esprits, enquête de voisinage, pas plus d’informations.
Le cinquième jour, j’attends de pied ferme le facteur ; lorsqu’il apparaît, je sors pour vérifier le courrier qu’il apporte mais pas de lettre.
Le quatrième jour, je fais de même et toujours pas de lettre ; j’en déduis que c’était une mauvaise plaisanterie et j’estime que l’affaire est close.
Le lendemain, j’avais un rendez-vous chez mon éditeur pour mon prochain livre, je suis partie de bonne heure afin d’être à Paris dans la matinée. De son côté, mon mari est parti pour trois jours faire une exposition picturale à Madrid.
Dans l’après-midi, je reçus un appel de ma fille aînée : ‘maman, il y a une lettre qui dit qu’il nous reste trois jours pour partir de la maison’ ; je rentre de suite et retourne voir la police ; l’accueil fut assez décevant, tout ceci leur paraissait n’être qu’une farce.
Si j’en croyais l’écrit, dans trois jours, qu’adviendrait-il ? je ne pouvais pas déménager tous les effets en si peu de temps et je ne devais pas succomber à la terreur mais j’avais peur bien entendu ; je pris contact avec mon mari et après une heure de discussion, la décision fut prise : il fallait partir, du moins pendant les jours qui restaient et voir ce qui se produirait.
Je conduisis mes enfants chez mes parents qui habitent un village proche et j’allai à l’hôtel ; j’avais aussi fait venir des déménageurs pour mettre à l’abri un maximum de nos biens.
Le second jour, je rode autour de ma maison mais aucun signe de changement ; bien qu’étant fébrile, j’ouvre la boîte aux lettres et au fond brille un morceau clair : ‘plus que deux jours’.
Je retourne vite vers ma voiture et je pars ; je n’ai pu dormir et écrivis toute la nuit cette histoire.

Le dernier jour, je rejoins mes enfants ; nous étions tous angoissés. Dans l’après midi, je reçus un appel de la société de déménagement pour m’avertir qu’un carton est resté dans la maison, contenant des livres scolaires ; un employé doit passer sous peu ; nous nous fixons donc un rendez-vous sur le lieu.
La peur au ventre, j’ouvre la boîte aux lettres et sous plusieurs prospectus, une feuille avec la phrase : ‘c’est le dernier jour’.
Cette nuit-là, n’y tenant plus, j’appelle chez moi, après plusieurs sonneries j’allais raccrocher lorsqu’un clic se fit à l’autre bout : mon cœur bondit en synchrone.
‘qui êtes-vous ?’ demandai-je, le souffle court,
‘c’est ma maison, vous me l’avez volé !’,
‘mais enfin, je suis chez moi ! qui êtes-vous ?’,
‘non, c’est ma maison, vous me l’avez volé et vous allez payer !’ et il raccroche.
J’appelle de suite la police pour les mettre au courant de la nouvelle ; elle envoie une voiture sur les lieux.
Je n’avais pas le droit de venir ; j’attendis un appel de sa part, morte de peur.
Une heure après, le commissariat me rappelle disant qu’il n’avait rien trouvé ni personne malgré une recherche approfondie des parages et de la maison ; l’individu avait dû s’éloigner ; un des inspecteurs me sondait étrangement, il ne me croyait certainement pas ; exténuée, je finis par m’assoupir.
Le jour dit, je me réveillais très tôt, avec cette histoire à l’esprit : ‘c’est aujourd’hui !’ ; que devais-je faire ? attendre patiemment que la journée s’écoule ? retourner voir la police afin d’être accompagnée jusqu’à mon domicile ? attendre le retour de mon mari, prévu le jour même ? commencer l’écriture de mon nouveau roman ?
Les minutes, les heures s’égrenaient, plus ou moins facilement à mon goût ; j’avais peur, qu’allait-il se passer ?
J’appris la nouvelle au journal télévisé ; ma maison avait brûlé !.
Seule, une pièce attenante à la cave, dans un renfoncement inconnu de nous, insonorisé, en matériau ignifugé, avait été épargnée par l’incendie ; là, gisait le cadavre d’un homme, une balle dans la tête ; près de lui une lettre indiquant qu’il avait été séquestré depuis des années par mon mari car il avait causé la mort de sa mère, lors d’une conduite en état d’ivresse ; personne ne l’avait retrouvé car mon mari avait mené une enquête et avait enfermé cet homme dans la bâtisse à l’abandon, jusqu’à il y a un mois où elle devait être rachetée par la commune et qu’il m’avait convaincu d’y vivre, sans que je connaisse bien sûr la sordide vérité.
Cela fait deux ans que tout ceci est arrivé ; mon mari séjourne en prison, pour longtemps : séquestré pour cause de séquestration.

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