La Dénonciation-Ch 27

loulourna

28-La Dénonciation Ch. 27 

Julius Grünwald dirigeait un service d’une dizaine de personnes qui épluchaient l’énorme quantité de lettres anonymes envoyées à la gestapo et à la kommandantur. La plupart de ces lettres dénonçaient des juifs, des trafiquants de marché noir ou simplement l’écoute par le voisin de la radio anglaise. Il lui arrivait d’avoir la nausée par le contenu de certaines lettres ; des femmes accusant leur mari, des dénonciations de voisins par malveillance, jalousie ou par antipathie ordinaire. Après leur lecture, la plupart allaient aux paniers. Parfois, pour plus amples informations, une enquête était ordonnée et les gens dénoncés étaient convoqués ou même carrément arrêté. Un jour de Janvier 41, c’est une de ces lettres qui normalement allait directement au panier que le lieutenant Grünwald tenait dans les mains. .

Paris, le 15 avril 1942

 

Monsieur le chef de la Gestapo

 

Depuis plusieurs années ; même avant votre arrivée, j’ai toujours été un grand admirateur de l'Allemagne ; le seul pays qui a le courage de lutter efficacement contre les juifs et les rouges. J’espère que l’union de nos deux cultures sera durable et je vous écris cette lettre par patriotisme.  J’habite rue du Temple en face du numéro 17. Depuis un certain temps, j’observe un manège qui me semble étrange. L’immeuble est occupé par une entreprise de serrurerie. À 18 heures les bureaux ferment et j’ai constaté plusieurs fois un homme, parfois accompagné d’une femme, qui la nuit tombée, pénètre dans l’immeuble désert, y reste parfois une demi-heure, parfois plus. J’ai identifié la femme, enfin c’est surtout mon épouse qui l’a reconnue. Par les temps difficiles que nous vivons , elle est allée plusieurs fois dans sa boutique de la rue du Renard pour faire retourner des vêtements. Elle est couturière et s’appelle Arlette Langier. Je sais qu’elle est mariée, mais je ne connais que son nom de jeune fille.

 

Je vous prie de croire à mon profond respect

La signature était illisible. La lettre n’était pas anonyme, mais sans intérêt pour la suite de l’histoire.

Intrigué par le nom de Langier, le lieutenant Grünwald resta pensif. Ou avait-il entendu ce nom qui lui semblait familier ? En temps ordinaire, il aurait jeté cette lettre à la poubelle mais pour sa simple curiosité, il convoqua cette madame Langier.

Quelques jours plus tard, un planton introduisit dans son bureau, une jeune femme, qu’il catalogua comme typiquement parisienne. Jolie blonde, habillée avec élégance et manifestement enceinte de trois ou quatre mois.

Il se leva et proposa un siège à la jeune femme, puis revient derrière son bureau.

Arlette était devant un jeune officier SS. Bel homme, une véritable caricature d’Arien, tel que le voyait la propagande nazie. Grand, visage fin, menton volontaire, cheveux blond, plaqué avec une raie sur le côté, des yeux bleus presque transparent. Trop occupée par son inspection, elle fut surprise par la première question.

---Mme Langier qu’allez vous faire le soir, aux 17 de la rue du Temple, alors qu’il n’y a plus personne dans l’immeuble. 

Son français n’était pas mauvais avec un accent germanique très prononcé.

Arlette lui répondit du tac au tac.

---Vous avez dû recevoir une lettre d’un bon Français (en appuyant sur bon Français) On vous dérange pour n’importe quoi.

---Vous avez raison, vos compatriotes (en appuyant sur compatriotes) dénoncent beaucoup et mon rôle est de vérifier le vrai du faux, mais vous ne répondez pas à ma question... Comment se fait-il que vous avez la clef de cet immeuble.

---C’est très simple ; avant la guerre une cliente m’avait confié des clés. J’ai négligé de les rendre, voilà tout. Je me sers de ces clés pour une raison personnelle. Au fait, mon nom est Nimier. Langier est mon nom de jeune fille.

--- Apprenez chère madame qu’ici les raisons personnelles n’existent pas. Donnez-moi une meilleure réponse.

Après une longue hésitation,---J’y rejoins un homme.

--- Cet homme, qui est-il ?

---Mon amant. Mon mari, a été mobilisé en 1939, je suis sans nouvelles depuis.

---Comment se fait-il que votre amant va souvent seul dans cet immeuble.

---Oui, en effet, mais parfois mes obligations m’empêchent de le rejoindre. Comme vous devez le savoir, je suis propriétaire d’une boutique de retouches pour vêtements et depuis que vous êtes en France, nous manquons de tout. Vous avez dû voir les queues devant les magasins ? Vous savez que nous sommes rationnés et que nous avons une carte textile ? Les gens font retoucher leurs vieux vêtements et ça me donne beaucoup de travail. Au fond, je devrais peut-être vous dire merci. Ces paroles furent dites d’un ton ironique.

Le lieutenant savait qu’il avait en face de lui une femme intelligente, et que les Allemands n’avaient pas ses faveurs.

--- Je pourrais convoquer cet homme...quel est son nom ?

--- René Valet, mais je vous demande d’être discret, c’est un homme marié.

Cette femme mentait, il en était sûr. Pourquoi aller dans un immeuble inoccupé de nuit pour se rencontrer ? Elle devait bien avoir un endroit plus commode pour joindre son amant. Se cacher de quoi, de qui ? Si elle habitait seule, rien ne l’empêchait de faire venir son amant chez elle. Son histoire ne tenait pas debout et il serait très facile de la démonter.

Langier, ce nom le travaillait. La femme avait à peu près son âge.

---Que font vos parents ? --- Mes parents sont décédés.

Le lieutenant Grunfeld regarda la carte d’identité de la jeune femme. Arlette Langier--née le 12 septembre 1918 à Beauvais.

23 ans ; encore jeune pour avoir ses parents décédés.

---Accident ?

---Comment ?

--- Vos parents sont morts dans un accident ?

--- Non, mon père est mort en 1917... durant la Grande Guerre et ma mère récemment. On peut dire qu’elle est morte de chagrin. Julius avait très bien ressenti qu’elle le rendait responsable de ce drame. Il fit tout à coup la liaison “ Grande Guerre et le nom de Langier. Il réalisa qu’il avait peut-être devant lui la fille de l’homme que son père tua en 1917. Adrien Langier ; voilà son nom !

En cachant son émotion il demanda --- Quel était le prénom de votre père ?

---Adrien.

Arlette ne comprenait rien à toutes ces questions sûres sa famille. Elle avait peur. Elle savait qu’il suffisait de faire quelques vérifications et s’apercevoir que son histoire était cousue de fil blanc. Elle commençait à se sentir mal à l’aise et se rendait compte qu’ils avaient été légers et n’avaient pas bien préparé les réponses à un éventuel interrogatoire. La convocation ne disait pas grand-chose : affaire vous concernant, c’était vague. ---Ce ne doit pas être trop grave, lui avait dit Pierre. Dans le cas contraire, on ne t’aurait pas donné le choix, mais on serait venu t’arrêter. Ensemble, ils avaient échafaudé un tas de questions réponses. Si on te parle de moi, je ne suis pas ton mari, mais ton amant et donne mon nom d’emprunt. Dans le quartier, personne ne le connaissait. Avant sa mobilisation, ils avaient vécu très peu de temps ensemble. Revenu dans la clandestinité, pour les voisins, il n’était pas le mari d’Arlette mais un cousin de son mari prisonnier en Allemagne.

---Un drôle de cousin ! avait dit l’épicière à la bouchère. ---Vous avez vu son ventre. C’est un cousin à la mode de Bretagne. --- Encore un cocu de plus dans les stalags allemands, avait répondu la bouchère d’une voix sarcastique. La concierge de son immeuble venue lui rapporter la discussion, espérait ainsi connaître la vérité de la bouche d’Arlette. Elle en fut pour ses frais. Arlette avait souri sans répondre.

Pourquoi le lieutenant demandait-il des renseignements sur son père ? Cela n’avait aucun sens. Son interrogateur restait silencieux et le bruit qu’il faisait en tapotant avec son crayon l’exaspérait et l’inquiétait au plus au point.

Regardant avec insistance la fille d’Adrien Langier, Julius pensa que le monde était bien petit. Que devait-il faire ? Dans un cas ordinaire, il retenait la jeune femme, le temps de vérifier ses dires. Mais là..... ? 

--- Voulez-vous m’excuser un moment, dit-il en se dirigeant vers la porte. Une fois dans le couloir il se mit à faire les cent pas en pensant à ses parents. Son père avait involontairement tué un homme dans une tranché. 25 ans plus tard, le hasard le mettait en face de sa fille qui le prenait pour un imbécile avec une histoire à dormir debout. Qu’avait-elle à se reprocher ?  L’arrêter ? C’était la condamner. Maman, c’est là que j’aurais besoin de toi, se dit-il. Que ferais-tu à ma place ? Tu dirais probablement que Dieu me donnait une chance de racheter l’erreur de papa. Je doute fort que Dieu intervienne dans ce genre d’affaire. Et de toute façon, pour papa, il est trop tard. La décision que je vais prendre, elle est pour toi maman, uniquement pour toi. Quelques minutes plus tard, il revint s’asseoir dans son bureau. Il regarda encore intensément la jeune femme ,--- le nom de Franz Grünwald vous dit quelque chose ?

---Non ! ça devrait ?

Julius la regarda comme pour fixer à jamais son visage dans sa mémoire et pensa que le destin lui jouait un drôle de tour.

--- Disparaissez ! dit-il en se levant.

Il vit l’étonnement sur le visage de la jeune femme, ce qui pour lui signifiait qu’il avait raison lorsqu’il pensait qu’elle avait quelque chose à cacher. Au moment de franchir le seuil il la regarda intensément,---Soyez prudente... vous attendez un bébé. Une prochaine fois, vous n’aurez peut-être pas la chance d’avoir affaire à moi.

Arlette entra directement rue des Blancs Manteaux ou l’attendait Pierre visiblement soulagé de la voir arriver. Elle lui raconta son aventure. ---Je ne comprend pas ce qui s’est passé. Ce SS...le lieutenant Grünwald m’a visiblement sauvée. Pourquoi ?... Nous avions pris cette convocation à la légère. Mon histoire ne tenait pas debout, il l’a très vite compris et pourtant il m’a laissé partir. Ces dernières paroles furent ---soyez prudente...vous attendez un bébé. Une prochaine fois vous n’aurez peut-être pas la chance d’avoir affaire à moi... À ne rien y comprendre.

--- Ceci doit nous servir de leçon, nous avons probablement été dénoncés par un voisin, qui nous a vus entrer dans l’immeuble. Il faudra trouver une autre planque.

Si Arlette avait consulté les souvenirs de sa mère, elle aurait su qui était le lieutenant Grünwald et qu’en tombant sous les balles de Franz en 1917, son père lui sauvait la vie en 1942.

Toute la période du front populaire et jusqu’en 1939, Arlette avait cru sincèrement que la gauche française, était un grand espoir pour le peuple. Après le pacte germano-soviétique, elle perdit ses illusions lorsque les communistes firent allégeance à l’URSS, allié des Allemands. Chrétienne par son éducation, elle s’était retournée vers ses amis du clergé, qui très tôt avaient perçu le danger du nazisme. Son confesseur, le père André, faisait partie de ses hommes proches d’une publication clandestine, fondée par le père Chaillet : “Témoignage Chrétien “ qui paru la première fois en novembre 1941. Le père André mit Arlette en relation avec d’autres chrétiens, résistant de la première heure et ensemble organisa deux filières d’évasions vers l’Angleterre ; une par la Bretagne, l’autre vers l’Espagne et le Portugal. Pierre de son côté devenu prudent par l’affaire de la rue du Temple n’émettait pas plus d’une semaine au même endroit. Avec de faux papiers fournis par la résistance les deux jeunes juives Autrichiennes, Elsa et Gudrun se firent embaucher comme femmes de ménages dans les bureaux de la Feldgendarmerie, rue de Rivoli, en cachant leur connaissance de la langue allemande. Elles fournirent de précieux renseignements à Pierre jusqu’au moment de leur arrestation. Avant d’être déporté en 1943, elles résistèrent courageusement à la torture. Elles ne donnèrent jamais le nom de leur contact. La troisième, Josepha, femme de ménage à la Gestapo ne fut jamais inquiétée. Elle aussi fournit des renseignements à la résistance. Pierre tenta maintes fois de faire promettre à Arlette, que s’il était arrêté, de cesser sa dangereuse activité. Devant le refus de sa femme, de guerre lasse il laissa tomber.

Le 5 septembre 1942, rue des Blancs Manteaux, Arlette mit au monde une petite fille. Pierre passait de plus en plus de temps à Belleville, dans une imprimerie improvisée, dans une cave de la rue Palikao avec deux de ses camarades de combat. Il était le principal rédacteur d’une feuille clandestine ronéotypée “”Nous Vaincrons “” et en sous-titre ” Vive la France- Vive De Gaulle “”. Ils ne tirèrent jamais à plus de 200 exemplaires qu’ils faisaient circuler par des amis sûrs. Lorsqu’il apprit qu’il était papa, il n’avait pas vu Arlette depuis plus de 15 jours. Il savait qu’il était surveillé mais prit quand même le risque d’assister au baptême de la petite Monique, nommée ainsi en souvenir de sa grand mère. Ce fut la dernière fois qu’il vit sa femme et l’unique fois ou il vit sa fille. Pierre avait bien raison de se sentir épié, Le 26 novembre 1942 , il tomba dans une souricière organisée par l’Abwer alors qu’il s’apprêtait à émettre vers Londre. Heureusement sous sa fausse identité, personne ne fit le lien entre lui et Arlette.

Celle-ci, désemparée avait appris qu’il avait été enfermé à la prison du Cherche Midi. Elle tint sa promesse et ne se dévoila pas comme sa femme, mais essaya par tous les moyens d’avoir de ses nouvelles, en vain. Elle apprit quelques mois plus tard qu’il fut déporté à Auschwitz. Ce n’est qu’après la libération qu’un de ses camarades lui raconta la triste vérité. Un travail pénible dans les usines d’IG-Farben aggravé par la malnutrition eut raison de sa santé : Pierre mourut le 12 janvier 1944. Arlette continua seul le combat jusqu’à la libération de Paris, le 25 août 1944. En un an, les deux filières d’évasion vers l’Angleterre, permirent d’évacuer une quinzaine d’aviateurs anglais et américains, ainsi que des combattants de l’ombre allant chercher des instructions à Londre. Pour sa dernière bataille, elle participa à la construction de la barricade de la rue de la Huchette. Le 21 avril 1945 elle fut décorée de la Croix de la Libération. Plus tard, le général de Gaule lui remit personnellement la Légion d’Honneur ainsi que la croix de la Libération, à titre posthume pour son mari.

Entré dans la police peu de temps après son arrivée à Bordeaux et pendant toutes les années d’occupation, Julien avait été un collaborateur actif et efficace dans la répression contre les ennemis de l’intérieur. Bercé par l’idée d’une France irréelle, utopique, complètement déconnectée de la réalité, son idéologie, si on peut l’appeler ainsi, était simple ; les bons Français, dont il faisait partie, extirpaient du pays la partie gangrenée par le bolchevisme, les terroristes du FFI, la lèpre juive, les gaullistes et les francs-Maçons. Son patron, le commissaire de police Pierre Poinsot était au service de la police secrète allemande, le KDS. La dérive de Julien Langier fut sans limite et sa participation aux interrogatoires musclés, aux exécutions d’otages et arrestations des juifs était de notoriété publique. La tête de Legos et Langier étaient mises à prix. Ils ne sortaient plus qu’avec des gardes du corps recrutés dans la milice. Avec la bénédiction de Maurice Sabatier, préfet et de Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture, en 1942, en onze convois 1690 juifs furent déportés. C’est la veille de l’attenta qui tua François et ses deux gardes du corps : des miliciens recrutés parmi les jeunes marginaux sans aucune formation que celui-ci fit irruption dans son bureau.---Langier, nous devons foutre le camps, j’ai appris qu’un accord entre le commandant FFI Rougès et le commandant du port de Bordeaux ; Kühnemann que les 30000 hommes de la division allemande allaient quitter la ville.

---Tu fais ce que tu veux. Moi je reste jusqu’au bout, j’ai une mission à remplir.

---Nous sommes arrivés au bout, mon petit Julien, et puis tu me fais rire avec ta mission, tu te prends pour Jeanne d’Arc.

---Jeanne d’Arc a sauvé la France.

---Elle a peut-être sauvé la France, mais je me souviens aussi qu’elle a été brûlée. Tu ne t’imagines quand même pas que je veux subir son sort, même sous une autre forme. Tu es aveuglé par ta mission de merde et tu ne vois pas le vent tourné. Moi je fous le camp. Le lendemain, on retrouva les restes calcinés de Legos dans sa traction avant visiblement mitraillée sur la nationale 10 à la hauteur de Belin-Béliet. Dans le coffre les restes de deux valises de billets de banque inutilisables.

Avant l’instauration des tribunaux spéciaux pour juger les traîtres et les collaborateurs, il y eut beaucoup d’exécutions sommaires et des règlements de comptes dans toute la France. Julien fut collé contre un mur et fusillé sans procès, à la libération de Bordeaux, le 28 août 1944. Avant de mourir, il demanda pardon à ses parents pour ne pas avoir pu mener sa tâche à bien.

Comme oraison funèbre, il eut droit à un entrefilet peu élogieux dans la presse locale.

A suivre...

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